Barriol : Démolitions, relogements, reconstruction, la rénovation qui vient
Les dessins du quartier présentent des nouvelles rues, des nouveaux espaces publics, des démolitions et des constructions. Le projet de rénovation urbaine à 120 millions d’euros prévoit de s’étaler jusqu’à 2030 pour le quartier le plus peuplé de la ville. Lors de la première présentation le 11 avril, les craintes sur les relogements et les préoccupations quotidiennes sont ressorties au révélateur de l’exercice de la réunion publique.
Comme tous les jours, en cette fin d’après-midi, Barriol vit au rythme des emplettes. Certains vont à la boulangerie, à la pharmacie ou à la boucherie quand les anciens du quartier achètent leurs légumes au primeur du centre commercial. Un lieu vétuste mais vivant, à l’image du quartier construit à la fin des années 70. À l’intérieur, un commerçant n’est pas au courant de la soirée exceptionnelle qui se prépare. D’ailleurs, lui n’a « été ni consulté, ni invité » pour la présentation du projet de rénovation. Il en a entendu parler, un peu comme tout le monde, mais pour lui, ce n’est « encore que des blablas, ça fait des années qu’on en parle. En tous cas, je n’ai rien reçu, on n’est pas venu me voir ». Pourtant, ce soir n’est pas comme tous les autres soirs. À la Chambre de commerce et d’industrie qui trône à l’entrée du quartier, plus de 250 personnes sont venues assister à cette première réunion publique. Ce soir, les diapositives vont défiler, présentant les plans de la rénovation de Barriol avec les commentaires des élus et des techniciens.
Des chiffres et des financements
Dans la fosse, debout, micro à la main, Patrick de Carolis introduit « un projet qu’on a voulu extrêmement ambitieux ». D’abord par les moyens mis en oeuvre. Il s’enorgueillit d’avoir rassemblé 120 millions d’euros, augmentant ainsi le projet lancé par l’ancienne municipalité. La part de l’État via l’Agence de rénovation urbaine (Anru) passe de 7 à 22 millions.
Aujourd’hui « ce que nous présentons, ce sont les esquisses qu’il a fallu faire, les grandes lignes pour présenter le projet aux partenaires. Nous sommes là à un début de processus qui va durer des années, donc pas d’impatience, on va travailler avec vous, (…) on va peaufiner, on va changer des choses », explique Patrick de Carolis.
Barriol dans le centre historique
À la tribune, Sophie Aspord, l’adjointe à l’urbanisme de la ville d’Arles décrit la philosophie : « Désormais l’objectif n’est plus d’avoir nos quartiers isolés, mais vraiment faire en sorte que notre centre historique se développe aussi sur le secteur Barriol ». Et pour ce faire, l’élue voit une partie de la 113 « supprimée partiellement » pour « créer des liens » vers les autres quartiers de la ville, des cheminements, vers Fourchon le long du canal du Vigueirat, le long du canal de Craponne vers la ville… « que Barriol soit partie intégrante dans ce que je pourrais appeler le grand centre historique d’Arles », lance tranquillement l’élue qui avertit que pour tous ces changements : « Les études sont lancées, ça va prendre du temps. »
La Convention entre l’Agence nationale de rénovation urbaine et la communauté d’agglomération votée en conseil municipal en dévoile plus sur le projet que les informations données à la réunion publique. Le document indique que le Quai des platanes laissera place à des logements non-locatifs-sociaux (153). Un projet de port de plaisance et de base de loisirs a été évoqué à proximité du canal d’Arles à Bouc.
Créer des artères et fermer les îlots
Sur les diapositives, le plan du quartier avec des bâtiments supprimés, des nouvelles artères « traversantes », présente Benoît Campion, l’architecte en chef qui veut casser « le labyrinthe » que représente Barriol et « résidentialiser » le quartier. Le mot n’existe pas mais signifie ici créer des « îlots indépendants » au lieu d’un grand quartier « ouvert aux quatre vents, où tout est de l’espace public, où il y a des voitures partout, on ne sait plus ce qu’est une place, un parc ou un parking ». Concrètement, au long de la soirée la définition de ‘’résidentialiser’’ Barriol se précise. Il s’agira de fermer les pourtours des bâtiments pour les réserver aux seuls habitants, notamment pour en faire des parkings. Sur le large boulevard Allende, un long parc arboré pour un total de « 72 000 m² d’espaces publics créés », ponctue Sophie Aspord. Pour le côté concertation, un homme se lève dans le public et prend la parole : « je suis architecte et j’aide les habitants à comprendre et améliorer les projets », annonce Ahmed Guerroui, chef de projet concertation. La Maison du projet, qui permettra de suivre les actualités se tiendra au sein du centre social Christian Chèze, « au cœur du quartier », s’auto-satisfait l’élu Erick Souque, élu au quartier et président du CCAS, le centre communal d’action sociale, responsable des centres sociaux arlésiens, dont celui de Barriol qui vient d’accueillir son nouveau directeur après un recrutement qui aura duré deux ans. Pour permettre aux habitants de s’informer sur la rénovation, il est également prévu un journal dont le premier numéro sera distribué au mois de juin au moment de la première réunion de concertation.
Graillon encadre
Après presque une heure de présentation, la parole passe aux habitants. « Je ne vois pas comment vous travaillez avec la population », se lève un membre du « Conseil citoyen », l’instance de représentation obligatoire dans les quartiers prioritaires (Trébon, Barriol, Griffeuille). Il regrette le manque de solution pour la place des Troubadours, un jardin d’enfants transformé depuis des années en parking sauvage. Mandy Graillon, deuxième adjointe argumente techniquement sur des dossiers qu’elle connaît. « Nous avons fait des opérations de contraventions, de mise en fourrière des voitures ventouses […] quand vous faites des signalements, nous sommes à l’écoute. On essaye de trouver des solutions. » C’est ensuite aux personnes du Collectif Barriol en colère de prendre la parole et faire la liste de doléances. Elles regrettent le chauffage inopérant des écoles, le manque de concertation préalable à la présentation du projet…
C’est Mandy Graillon qui y retourne et explique que le chauffage de l’école va être remplacé cet été, qu’il est impossible de réaliser tous les travaux dans la minute, que le travail des élus est de prioriser. Elle réfute une quelconque « stigmatisation » de Barriol en prenant l’exemple du chauffage des Rencontres de la photo, lui aussi hors service et qui attend des réparations. L’élue prône une gestion « en bon père de famille : c’est investir à hauteur de nos moyens ». Une femme des rangs de Barriol en colère réagit « encadrement, bon père de famille… Ça me semble des termes abusifs, on n’infantilise pas les gens comme ça ». Ce à quoi Graillon détaille son point de vue. « Pour les gens qui payent des impôts, pardon mais c’est important, on ne fait pas n’importe quoi avec l’argent public. On ne peut pas continuer à vivre au-dessus de nos moyens », continue la deuxième adjointe. Plus tard, Mohamed Rafaï (PS), membre de l’opposition municipale, prendra le micro pour tenter de recadrer les propos. « Quand on parle des gens qui ne paient pas d’impôts, moi j’aimerais plutôt qu’on parle d’équité territoriale et qu’on utilise ces termes-là. »
Face aux élus et techniciens, les habitants ont alerté sur la manière humaine dont les relogements doivent être conduits et sur la nécessité de prendre en compte leurs remarques.
Moins de logements sociaux
Dans le public, un jeune s’inquiète « de la gentrification » et demande « où vont être relogés les gens » des bâtiments détruits, « obligés d’aller toujours plus en périphérie ? ». Mandy Graillon ne semble pas avoir compris le sens de la question et répond en confirmant les craintes tout en voulant les calmer. « Arles est une ville avec 29 % de taux de pauvreté contre 14 % au niveau national, donc la gentrification, on en est loin. Et justement si on fait des projets comme celui du NPRU (Nouveau programme de rénovation urbaine) c’est pour essayer d’amener dans ces quartiers des personnes qui aujourd’hui disent : ‘‘Non moi le logement social j’en veux pas.’’ Pour remettre de la mixité sociale dans ces quartiers demain, on aura un cadre de vie qui sera plus attractif. » Donc clairement, oui, le projet souhaite attirer des nouvelles populations à Barriol. L’élue est droite dans ses bottes, elle rappelle simplement les termes de la convention avec l’Anru votée en conseil municipal quelques jours plus tôt. À Barriol, le pourcentage de logements sociaux dans le quartier va passer de 89 % à 75 %, soit 209 logements sociaux en moins. Concernant le quartier gitan du Quai des platanes, l’avenant prévoit purement et simplement sa suppression pour installer un bâtiment aux abords d’un port de plaisance et d’une base de loisirs (lire encart ci-après). Au bout du processus, il y aura donc des départs de familles et l’arrivée de nouveaux habitants.
Les destructions déjà actées
Un habitant d’un bâtiment voué à la destruction se questionne sur l’opportunité de choisir un autre bâtiment pour la destruction. C’est toujours Mandy Graillon, efficace et technique, qui répond aux inquiétudes. « Le problème, c’est qu’il y a un grand nombre de logements, donc on ne peut pas les détruire parce que cela nécessiterait beaucoup de relogements ». À cette réunion, dans les discours, tout semble ouvert, alors que l’avenant voté au conseil municipal, le document que l’ACCM a signé avec l’Anru, affiche des choix radicaux qui ne semblent plus soumis à discussion, mais qui ne sont pas présentés ainsi. Pour preuve, personne ne dit que les bâtiments voués à la destruction sont choisis définitivement. Pourtant « au bout d’un moment, il faut donner le go », ponctue et assume Elisabeth Paghan, chef de projet renouvellement urbain pour 13 Habitat. En mai prochain, les locataires concernés par la destruction de leur bâtiment recevront une lettre pour leur proposer une date de rendez-vous. Et 13 Habitat va déléguer ce travail à une association spécialisée nommé Amli qui sera l’interlocutrice des locataires. « Suite à cela on va se remettre à la recherche du logement idéal pour vous. C’est peut-être un logement qui se trouve dans Barriol ou ailleurs dans la ville, ou sur d’autres localisations » continue Elisabeth Paghan. Dans les apparences, le temps de la discussion vient de s’ouvrir, tout est encore possible. Dans les faits, des décisions sont déjà prises et cette réunion va marquer le début des actions relatives aux plans d’actions proposés dans l’avenant.
« Certaines familles sont installées dans le quartier depuis plusieurs décennies, elles auront certainement besoin d’un accompagnement psychologique, et leur annoncer par une lettre ce peut être violent », souligne une habitante. « Ce qu’il manque à Barriol, c’est du lien humain, j’ai de l’expérience, notamment à Miramas où j’ai travaillé pour un programme de rénovation. Pour faire attention au côté psychologique, il faudra faire des visites à domicile pour accompagner dignement les habitants. » Un commerçant prend la parole. « Monsieur le maire. Je pense que se rapprocher du centre ville, c’est utopique, avec les barrières naturelles, le canal du Vigueirat, mais bref, passons. Je pense que l’important dans un quartier c’est le commerce de proximité, là depuis des années ». Si la destruction du centre commercial semble déjà actée dans le projet, lui insiste pour garder au centre du quartier les magasins, « c’est ça qui fait vivre un quartier ». « Nous prendrons cette remarque en compte », assure Patrick de Carolis. Du bâtiment du centre commercial, il est pour l’instant prévu de ne garder qu’une seule aile, celle du centre médical. Astrid Guy est installée à Barriol depuis 2016, par conviction, pour aider un quartier. Elle reste la dernière généraliste sur place : « vous savez, j’ai deux collègues dentistes qui viennent d’arriver et qui se demandent s’ ils vont rester ».
Effectivement, la Mairie a négocié avec l’Agence régionale de santé pour que les médecins puissent avoir des facilités et des subventions pour s’installer. Et Carolis vient de s’en féliciter à la tribune. Sauf que sur le terrain, les beaux discours ne se transforment pas en actes. « Malheureusement ils s’entendent dire que l’ARS n’a pas les fonds avant fin 2024, donc ça bloque pour les emprunts, ils découvrent la vétusté de nos locaux qui ont 42 ans avec le toit qui est une véritable passoire, l’électricité qui n’est pas aux normes. Donc ne soyez pas rassurés de leur exercice pérenne sur le quartier. C’est quand même angoissant. Ils sont témoins de tout ce que nous traversons, je parlais aussi de la porte qui a été à nouveau cassée, l’ascenseur qui est panne. Là, il est vraiment temps de reconsidérer nos locaux de travail. Est-ce qu’il est vraiment pertinent de garder cette aile, sachant qu’il y a de l’amiante… ». « Vous m’apprenez cette information. Dès demain, je vais plaider le dossier à l’ARS », promet Patrick de Carolis.
Théoriquement, la concertation et les relogements se dérouleront jusqu’en 2026, les travaux jusqu’en 2030. Mohamed Rafaï soulève qu’il n’est pas nécessaire d’attendre 2030 pour faire des travaux d’isolation des bâtiments. Sous-entendant que les 50 millions d’investissement promis par le bailleur 13 Habitat, pourraient être investis en dehors d’une grande rénovation. « Nous voulons créer une nouvelle attractivité au quartier et pas juste isoler les logements », rétorque la représentante de 13 Habitat. La route sera longue pour cette rénovation en profondeur du quartier. Au verre de l’amitié, la durée de 10 ans est évoquée pour venir à bout de tous ces grands travaux. Une chose est sûre, les réunions entre les élus, bailleurs et habitants ne vont pas manquer de sujets de conversation.
Le point d’interrogation du Quai des platanes
Un peu à l’écart de Barriol, le Quai des platanes est un quartier de familles gitanes construit au début des années 2000. À la base, il a été créé pour sédentariser des Gitans vivant jusqu’alors en caravane. Le projet prévoit l’entière destruction des petites maisons pour les remplacer par un immeuble. Les maisons ont mal vieilli et les 47 logements souffrent de surpopulation avec 24 familles en plus, annonce le document de présentation. Les familles ontelles été consultées ? Comment vont-elles être relogées ? Madame André, chargée de projet à l’ACCM prend la parole avec le pasteur Fernandez à ses côtés pour assurer que le lien avec la communauté existe. Une réunion était prévue la semaine suivante. Alors que les familles veulent rester regroupées pour vivre ensemble, quelles seront les possibilités proposées avec cette rénovation ? Affaire à suivre.
Partenaires particuliers
C’est une manière de mettre tout le monde autour de la table et de synchroniser les travaux. C’est l’avantage du Nouveau plan de rénovation urbaine (NPRU) pour lequel Barriol a été lauréat. Avec l’argent donné par l’État, mobilisé via l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), tous les acteurs du quartier ont intérêt à mettre leurs efforts en commun. En l’occurrence, pour obtenir les 120 millions, pas moins de 11 partenaires ont signé. Au crédit de l’équipe de Carolis ? Avoir demandé une rallonge à l’Anru, qui a retenu le dossier arlésien « parce que nous avons présenté ce projet relié à l’ensemble de rénovation de la ville d’Arles ». Avec ce discours, l’investissement de l’agence de l’Etat est passé de 7 à 22 millions. À la coordination de la rénovation de Barriol : la Communauté d’agglomération Arles Crau Camargue Montagnette (ACCM), dont il est le président. Et pour coordonner les onze partenaires des 120 millions d’investissement, il va falloir investir en budget gobelets pour les réunions. Entre le plus grand bailleur du quartier, 13 Habitat, qui a promis 50 millions pour rénover ses bâtiments, Grand Delta Habitat 10 millions, Erilia, 1,8 million, ou les collectivités (2 millions pour le Département, 1,8 pour la Région, 3,4 pour la ville d’Arles), il va falloir être diplomate. Et ce soir, tout le monde est là, sauf la Région « qui n’est pas représentée », souligne Patrick de Carolis, comme un petit tacle à Cyril Juglaret, le conseiller régional arlésien de la majorité Muselier (Les Républicains).
Un Conservatoire de musique à Barriol
Annoncée avec le projet de rénovation, mais sans financement inclus dans le programme, il est prévu l’installation du conservatoire de musique de l’ACCM dans le quartier « que ça fonctionne aussi avec les habitants du quartier, qu’il y ait des liens d’activité forts ». Les habitantes du quartier en colère ramènent au terre à terre. « Si on parle de culture dans le quartier, où en est le médiabus qui devrait venir toutes les semaines et que l’on n’a pas vu depuis des années ?. » Souque sort son argument classique : « les recrutements sont en cours », mais ne convainc personne «beh ça fait un moment alors que vous êtes en recrutement », rétorque la femme qui a posé la question.
Eric Besatti
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