Episode I : Face à la CCI du Pays d’Arles, les salariés de l’association Cipen sonnent l’alarme
Episode I :
Le personnel contre-attaque
Les salariés du Cipen, association issue de la Chambre de commerce et d’industrie sonnent l’alarme. Endettée, au bord du redressement judiciaire, pilotée à distance par la CCI qui en retire un bénéfice, la structure souffre. Fin 2018, les salariés envoient une série de courriers pour mobiliser la justice et les services de l’Etat et dénoncer des irrégularités. Ils attendent encore des réponses.
Les griefs qu’exposent la Délégation unique du personnel sont nombreux. Au centre des accusations, elle dénonce la gestion de leur association par les élus de la Chambre de commerce et d’industrie. Après des mois d’enquête et de collectes de documents, les personnes rencontrées ont toutes un point commun, elles souhaitent arrêter un énorme gâchis, une machine à détruire leur outil de travail. « C’est pas un bordel, c’est une structure à gérer », « on n’est pas dans le Far-West », lancent nos nombreux interlocuteurs qui nous ont raconté leur quotidien en échange de l’anonymat. Tous ne demandent qu’une chose « le respect des lois et des statuts de l’association ».
Trompés sur la marchandise
Au départ, le Cipen (Cluster d’innovation pédagogique et numérique) part d’une belle idée sur le papier que les salariés épousent. Celle de construire un campus au top du numérique regroupant toutes les offres de formation de la CCI (Mopa, Ira et PFC). Effectivement, la CCI a une vraie carte à jouer, notamment avec son école d’images 3D (Mopa), qui envoie ses étudiants chez Pixar, Disney et les plus grands studios d’images animées internationaux. Moins connu du grand public : l’Institut de régulation et d’automation (Ira) est aussi un lieu remarquable pour la formation sur le contrôle des procédés industriels. Ajoutez à cela le PFC, Pôle formation compétences, de l’extérieur, le paquet est rutilant. Voilà pour les idées. Et pour la mise en place ?
Structurellement, c’est l’association Ira, déjà existante qui va héberger le Cipen et change de nom au 1er janvier 2016. Mais premier bémol, le projet ne part pas de zéro. Il y a une dette d’1,2 million d’euros que l’association doit à la CCI pour les loyers impayés ou la mise à disposition de personnel.A peine trois ans après sa naissance, le bébé de la CCI crie à la maltraitance. En 2016, pour son premier anniversaire, le Cipen perd exactement 718 514 euros pour un chiffre d’affaires de 5 574 765 d’euros. Pour 2017, les pertes s’élèvent autour d’1 million d’euros. Une situation qui représente « des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation », selon la définition du Code du commerce. Effectivement, le commissaire aux comptes de l’association a lancé au printemps 2018 une procédure d’alerte phase 2 auprès du Tribunal de grande instance de Tarascon, sait-on de source sûre. Ce dernier n’a pas décidé de placer l’association en redressement.
Dès le départ, les dés étaient-ils pipés ? C’est ce que pense la Délégation du personnel du Cipen qui « met en doute la sincérité des comptes mentionnés dans le traité d’apport » dans un courrier adressé au préfet de région. A l’époque, le plan prévisionnel présenté aux salariés prévoyait un premier exercice 2016 à l’équilibre avec un chiffre d’affaires de 5,8 millions d’euros. Cette projection a été travaillée par les directeurs des différentes entités de formation : Julien Deparis pour le Mopa, Alain Chaix pour l’Ira et Sébastien Phillibert pour le PFC, tous appuyés par le cabinet d’expert comptable Cerfrance Midi-Méditerranée. Sébastien Philibert, aujourd’hui directeur général de la CCI, annonçait un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros soit un chiffre semblable à ce que réalisait le PFC quand ses comptes étaient intégrés aux comptes de la CCI. Lors de la première année d’exercice au Cipen, il n’en réalisera qu’1,4. Entre une année du PFC à la CCI, et une année de PFC au Cipen, 600 000 euros manquent au bilan. Dans sa lettre au préfet de région, la Délégation unique du personnel remarque que dans « dans le même temps, la CCI fait état de comptes bénéficiaires ». Les salariés sous-entendent donc que les 600 000 euros de déficit n’ont pas été perdus pour tout le monde…
Plan social déguisé
Pendant le mois de décembre 2015, les salariés de la CCI « ont été fortement encouragés à démissionner au profit d’un contrat de droit privé du Cipen pour préserver leur emploi », remet en contexte une lettre de la Délégation du personnel adressée à la CCI de région Paca et à la CCI du Pays d’Arles. Les lettres de démission, des modèles fournis par la CCI ont toutes été envoyées à quelques jours d’intervalle. Aujourd’hui, les salariés estiment que leur démission ont été « provoquées par les pression des instances », les privant de leur « libre consentement ». « Les informations transmises par les parties prenantes de l’opération, qu’il s’agisse de la CCI du Pays d’Arles ou du cabinet d’études Remco Wallig ont été de nature trompeuse ». Aujourd’hui, de nombreux salariés réclament leurs indemnités de départ qu’ils ont concédées à la CCI en démissionnant lors du passage au Cipen.Effectivement, lors de leur démission, la CCI a économisé un plan social pour les 43 salariés. Avant leur démission, certains avaient demandé à bénéficier d’un Plan emploi consulaire alors en œuvre dans les CCI territoriales de la région Paca. « Ces demandes ont été rejetées en bloc par la gouvernance de la CCI du Pays d’Arles », souligne la DPU.
Sortons la calculette pour une estimation à minima. Quarante-trois salariés qui ont pour la plupart plus de dix ans de boîte. Mais retenons dix ans. Beaucoup sont payés au Smic, mais d’autres, ingénieurs ou directeurs sont autour de 5 000 euros par mois. Mais retenons le Smic. Pour obtenir l’indemnité de licenciement il faut multiplier le salaire net mensuel par le nombre d’années d’ancienneté. Ce qui fait un minimum de 559 860 euros d’économie par rapport à un plan de licenciement. Autre situation héritée de la CCI, les salariés ont gardé leur ancienneté et leurs acquis sociaux (primes d’ancienneté, RTT, primes lors du départ à la retraite). Utile pour convaincre les salariés à la démission mais lourd pour la structure qui les accueille. Toutes ces charges seront désormais pour le Cipen. Mais les promesses n’engagent que les structures qui sont encore vivantes… En attendant, dans leur lettre à la présidente du TGI, les salariés accusent la CCI de « licenciements déguisés avec la création d’une association transparente ».
Géré de fait par la CCI
Au-delà d’avoir été projetés dans une situation financière difficile, ce qui énerve les salariés du Cipen, c’est de voir tout ce que se permet la CCI au sein de leur structure. Pourtant les intentions étaient écrites là aussi noir sur blanc dans le traité d’apport. « Un constat a été réalisé par l’institution consulaire : les activités Mopa et PFC nécessitent une autonomie complète afin de permettre des partenariats extérieurs et d’assurer un développement solide ». Dans les faits, cette autonomie est inexistante, c’est quasi tout le contraire qui se produit. D’abord, dans les statuts, le président du Cipen doit être choisi parmi les élus de la CCI et le directeur général de la CCI doit assister à toutes les réunions des instances du Cipen avec avis consultatif. Ensuite, les pratiques vont plus loin que ça. Les salariés constatent que « l’autonomie du Cipen vis-à-vis de la CCI n’est pas effective », dans la lettre adressée à la CCI de la région Paca qui énumère les griefs : « Présence du président de la CCI à tous les bureaux. Le traité d’apport prévoit deux membres votants issus de la CCI, or ils sont majoritaires dans le conseil d’administration et au bureau ». Dans le fonctionnement puis dans le discours, le Cipen est vécu comme une filiale. Pour s’en assurer, il suffit de lire la plaquette de présentation de la chambre consulaire : il est présenté comme une des « activités CCI au travers de ses associations ».
La CCI racle tout
Dans la lettre au préfet de région, les salariés dénoncent une pression financière trop importante exercée par la CCI sur le Cipen. Notamment pour la location des locaux. « Les loyers versés nous paraissent exorbitants compte tenu de leur vétusté. Ce prix injustifié nous laisse à penser que la CCI récupère les fruits de l’externalisation ». Effectivement, le Cipen paye 280 000 euros par an pour les locaux de l’Ira (4 270m²), 210 000 pour le PFC (2 670m²) et 110 000 pour le Mopa (1 450m²) soit 600 000 euros au total. Une belle rente immobilière. Que l’on pourrait estimer moralement illégitime. Pour le loyer du Mopa notamment. Le bâtiment, construit en 2004 sur des terrains municipaux avec un bail emphytéotique, a été financé à 100% par des fonds européens et la Région Paca. La CCI n’a rien déboursé et en tire encore aujourd’hui des bénéfices. Pour les locaux de l’Ira en zone Nord, l’association paye un loyer depuis 1992. « Ils se sont remboursés les locaux depuis longtemps avec tous les loyers payés, s’ils voulaient nous aider, nous permettre d’exister, ils pourraient nous donner les locaux ou juste baisser les loyers », lâche un salarié du Cipen dégoûté par la situation. Et on ne va pas parler du fait que la CCI a souhaité rester propriétaire de la marque Mopa. A terme, elle souhaite mettre en place un contrat de licence pour recevoir des contre-parties à son usage de la part du Cipen. C’est écrit noir sur blanc sur le traité d’apport. Noir sur blanc, té, comme la couleur d’une vache à lait.
Le président de la CCI, DRH du Cipen ?
Plus grave, l’intrusion dans la gestion va jusque dans le choix lors des embauches. Les Arlésiens se souviennent du licenciement soudain de Julien Deparis, directeur de l’école Mopa en janvier 2017. Devant plusieurs témoins, Stéphane Paglia alors récemment élu président de la CCI, demande à Alain Chaix, le directeur du Cipen, de licencier Julien Deparis, le directeur du Mopa. Un événement qui va provoquer une tempête médiatique et un départ de 128 élèves qui suivront leur directeur dans une école concurrente. A posteriori, le président de la CCI justifiera le licenciement pour faute grave du directeur du Mopa. Mais le mal est fait. Et l’histoire continue sur les même bases. Plus récemment, pour l’embauche du nouveau directeur adjoint du Cipen, la CCI a imposé le nom de Philippe Hurdebourcq, ancien directeur général de la CCI du Gard, sans concerter qui que ce soit, ni les salariés, ni la direction du Cipen.
Stéphane Paglia, président de la CCI élu en novembre 2016 était précédemment trésorier du Cipen. Photo E.B.
Pire, l’ingérence irait jusqu’au « favoritisme dans la nomination d’un consultant sans appel d’offres alors que le montant à l’année de ses prestations représente plus de 60 000 € et qu’il travaille pour la société du président de la CCI », dénonce la lettre des salariés. Effectivement dès l’arrivée à la présidence du Cipen de Julie Escalier au printemps 2018, une des premières décisions prises par la nouvelle présidente du Cipen a été de commander un audit à JPM Consulting de Jean-Pierre Mollard. Ce dernier a notamment travaillé avec Stéphane Paglia, le président de la CCI lors de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif de sa société Resys Electricité radiée en 2015. Pour le Cipen, ce consultant à 1 650 euros hors taxe la journée a été choisi sans appel d’offres. Alors que l’association passe par la plate-forme de marchés publics de la CCI régionale pour l’équipement en téléphonie ou les travaux sur le toit de ses locaux pour prendre un exemple récent.
La Délégation du personnel et les salariés qu’elle représente sont excédés par la situation et revendiquent aujourd’hui une réelle autonomie de gestion. Ce sont bien eux qui font vivre la structure et ne déméritent pas. Ils ont réussi à digérer la crise de l’école du Mopa et le départ des élèves. Aujourd’hui, ils sont revenus au nombre d’élèves d’avant le départ de Deparis. Les équipes tiennent à leur outil de travail et croient en leur projet.
La justice a toujours raison
Gonflés par les problèmes de gestion, les salariés attendaient avec impatience l’assemblée générale du 20 décembre 2018. Mais surprise ! La veille, ils reçoivent un mail de Julie Escalier, la présidente du Cipen les informant d’un report. « J’ai sollicité Madame la présidente du tribunal du TGI de Tarascon afin de pouvoir décaler l’Assemblée Générale du Cipen », écrit Julie Escalier dans son mail. « En effet, il me paraît indispensable que cette séance de clôture des comptes 2017 soit également consacrée à la révision des statuts de l’association, qui en l’état ne sont pas opérationnels », argumente-t-elle, ajoutant que la présidente du TGI « a pris bonne note de mes arguments et m’a donné son accord ».Choqués par la méthode et pour avoir le cœur net, les salariés prennent la plume et écrivent à la présidente du TGI de Tarascon qui a autorisé, par ordonnance, un nouveau délai pour la tenue de l’assemblée générale qui valide les comptes de l’exercice 2017. « Si vous estimez que les statuts ne sont pas opérationnels, nous vous serons reconnaissants de nous préciser les bases juridiques factuelles et circonstancielles », écrit la Délégation unique du personnel. « Car dans ce cas, comment le TGI a-t-il pu valider le traité d’apport » d’une association dont les statuts n’étaient pas opérationnels ?
Ce qui rend les statuts en l’état « pas opérationnels » comme l’affirme Julie Escalier, c’est peut-être qu’ils permettent à tous les salariés du Cipen d’être membres de l’association. Et ce, grâce à un vote à l’unanimité lors de l’assemblée générale du 17 novembre 2017 présidée par Jean-Louis Veyrie, l’ancien président du Cipen. Majoritaires, les salariés peuvent donc peser sur la gouvernance de l’association, voire imposer leurs vues. Un droit qu’ils n’ont jusqu’alors jamais utilisé. Mais l’ingérence et l’attitude des élus de la CCI leur donnent des envies d’auto-gestion. Théoriquement, dans les statuts, la démocratie véritable est possible. Le Cipen, une future structure gérée par ses salariés ?Les statuts vont-ils pouvoir être changés comme le souhaite Julie Escalier, la présidente du Cipen ? « Pour rappel et comme le TGI l’a entériné, le traité d’apport est inviolable pendant 5 ans et celui-ci intègre les statuts », rappellent les salariés dans le courrier à la présidente du TGI de Tarascon. Le combat des salariés pour une gestion plus saine de l’association sera-t-il entendu ? Réponse au prochain épisode.
Eric Besatti avec JS.
L’élection de Julie Escalier entachée d’irrégularités ?
La Délégation du personnel (Dup) a alerté dans un courrier daté du 21 décembre 2018 le Tribunal de grande instance de Tarascon et sa présidente Sylvie Berbach en adressant une copie à la CCI régionale, la Direccte (direction régionale des entreprises) et l’Inspection du travail. Il souligne un problème de respect des statuts de l’association lors de l’élection de la nouvelle présidente élue en mars 2018. « L’élection de Julie Escalier à la présidence du Cipen pose problème. Son élection n’était pas à l’ordre du jour du conseil d’administration du 26 mars 2018 et n’a jamais été soumise à l’Assemblée générale. Malgré ce vice de forme cette dernière prend des dispositions sans consultation auprès de la Dup et multiplie les délits d’entrave ».
Enquête publiée dans l’Arlésienne n°4 « Le manifeste 2019 », sortie le 1er février 2019.
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