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Barriol, berceau de traditions

Barriol, berceau de traditions

Même en Espagne, aucun quartier n’a donné plus de toreros que Barriol l’a fait. Sous l’impulsion de l’association Destino de Mehdi Savalli et Estelle Espejo, une journée taurine et musicale a été organisée pour mettre en valeur cet héritage et susciter les vocations. Le retour d’une tradition perdue depuis des années.

Texte : Eric Besatti
Photos : E.B & Vanessa Sirven


 

« Mehdi, c’était en 1996 qu’il a toréé ici », se souvient Graziella Bortolin, professeure de l’école taurine pour le groupe des enfants. A l’époque, les journées taurines existaient déjà et le Mehdi Savalli de 11 ans avait eu le plaisir de toréer chez lui, en bas des tours. La suite ? Une carrière de matador, des arènes d’Arles jusqu’à celles de Madrid… Aujourd’hui rangé de l’habit de lumière, il est responsable de l’école taurine d’Arles et c’est avec son association Destino qu’à son tour, il rend la pareille pour les jeunes du quartier.

Ce samedi 26 mars 2022, il est 13h40 et progressivement, les enfants s’approchent des arènes pour apprendre à tenir une cape pour la première fois. Morad Balti, de l’association Passionado est venu bénévolement pour l’esprit et soutenir l’événement de Mehdi. Originaire du Trébon, lui aussi allait aux arènes quand elles se baladaient de quartier en quartier avant de toréer dans les arènes d’Arles sous le nom de Mojales d’Arles. Avec le micro casque sans fil branché sur la sono, à son tour d’enseigner les rudiments de la cape et de mettre l’ambiance. « L’école d’Arles recrute, s’il y a des pépites, c’est direct au centre de formation », joue-t-il de la comparaison footballistique. Bien vu, autour des arènes, la plupart des jeunes portent des joggings et maillots de leur équipe favorite.

Sur la place rouge, place centrale de la convivialité du quartier, impossible de compter le nombre d’habitants, mais une bonne partie du quartier est là. Jeunes, familles, anciens, ça fait longtemps qu’une fête n’avait pas autant rassemblé. Mehdi Savalli, enfant et habitant du quartier connaît tout le monde, ça aide pour mobiliser. Mais il ne fait rien tout seul. Devant chaque grande femme, il y a un homme qui prend la lumière. Estelle Espejo, la compagne de Mehdi Savalli est la digne héritière de son père, Francis, qui avait lancé cette tradition dans les années 1990 : « C’est le premier qui avait osé ». L’idée de départ de son père ? « Pourquoi on peut voir des taureaux en plein cœur de ville et pas dans les quartiers ? » Alors avec Mehdi, pour remettre la tradition en route, les bénévoles ont déposé des tracts partout, des affiches au centre social, dans tous les commerces et toutes les cages d’escalier du quartier. Sans oublier sur les réseaux sociaux. En tout, deux mois de travail.

Renouer
Aujourd’hui, l’idée reste la même : « Venir à eux, pas leur demander de venir. Ils habitent en Camargue, la tauromachie leur appartient aussi », récite Yves Lebas, président de l’école taurine d’Arles. Plus, Barriol est une exception dans le monde de la tauromachie. « Le quartier a produit autant de toreros que celui de Triana à Séville, un quartier de gitans en face des arènes ». Sur une soixantaine de Français dans l’histoire de la corrida, pas moins de huit toreros viennent d’ici dont le plus jeune, Andy Younès, n’a que 25 ans. Une statistique flatteuse aidée par la dynastie des toreros Leal dont trois ont habité le quartier. Frédéric Leal a fait le déplacement pour l’événement. A 54 ans il retrouve ses vieux amis sur la place où il jouait au foot étant petit, « Ça fait 25 ans que j’avais pas mis les pieds sur cette place ! ». Son fils Marco, 34 ans, lui aussi ancien habitant du quartier, sera demain dans des arènes des Landes en tant que banderillero du matador espagnol Clemente. Dans les années 1980-1990, quand Mehdi était petit, c’était Paquito Leal le torero du quartier. On le voyait descendre de son bloc en habit de lumière, les jours de corrida à Arles, aller avec sa cape et son épée, s’entraîner aux arènes du Patio de Camargue de Chico où il a créé l’école taurine d’Arles en 1989.

Planter la graine
Pour les jeunes de l’école taurine, l’élevage Tardieu de Mas-Thibert avait prévu des bêtes « un peu trop grosses », estime le professeur Savalli. « Mehdi va lidier l’excédent d’énergie (affronter en fragnol taurin, ndlr) », explique Morad au micro. Entendez, le professeur va un peu fatiguer les taureaux avant que ses élèves n’y aillent. « Olé, olé », se succèdent quand sur l’estrade, les New flamenco, un groupe gitan, accompagnent les passes. Le temps est comme suspendu sur ce carré d’herbe entre l’école maternelle et le centre social. Au pied d’un immeuble dont les fenêtres sont murées, tous les regards sont dirigés vers le centre des arènes.

Alors qu’il tente une passe à genoux, un élève de l’école taurine reçoit un choc. Tout remué, le jeune homme quitte l’arène pour souffler quelques minutes. Pendant ce temps Mehdi invite les volontaires à venir essayer. C’est Ali le plus téméraire, poussé par ses collègues, qui ose escalader la barrière. Mehdi lui tend la cape et lui montre comment la tenir. L’adolescent de 14 ans est un peu pressé. Sa première passe est poussive et il se prend le taureau de face. Sans pour autant tomber. Volontaire, il enchaîne la deuxième et la troisième passe. Il s’approche à quelques centimètres de l’animal pour provoquer le déclenchement d’une charge. A sa sortie sous les applaudissements, Ali El Asissik est fier et a « l’envie d’y retourner ». Ses amis qui l’ont « chauffé pour le faire », l’encouragent à continuer « wallah va voir Mehdi », pousse l’un, « franchement tu le fais le sang », ajoute l’autre. « Tacos », comme l’appellent ses amis, a fait le premier pas : « je connaissais même pas ce que c’était un taureau, juste j’en avais vu de loin à la féria ». Mais demain peut-être que  »Tacosito del barrio » sera à l’affiche dans les grandes arènes d’Arles. Qui sait. Quant à Lysio, 13 ans, l’élève de l’école qui a toréé cet après-midi à domicile, il est déjà bien lancé dans le milieu avec son grand-père aficionado et déjà quelques années de pratique derrière et devant lui.

Après la démonstration de tauromachie, une dernière vache est sortie pour que tout le monde puisse se lancer dans l’arène. C’est le moment pour la course camarguaise et chacun peut tenter son raset. Bref, s’amuser un peu. Au début seuls quelques intrépides se risquent et petit à petit, les minuscules arènes se noircissent de jeunes hommes qui multiplient les courses. Le taureau ne sait plus où donner de la tête. Un ballon fait son apparition pour tenter de jouer avec le taureau. Les taureaux ne réagissent pas à la couleur, mais au mouvement. Il y a trop de monde, la bête est acculée. Il est temps de la rentrer. Après les arènes, dernier moment lié à la tauromachie, Morad et Graziella animent un  »encierro de cajon », un lâcher de taureaux en carton pour les plus petits. Graziella manie la tête de taureau sur roulette à merveille : les petites filles et les petits garçons courent, crient et rigolent. « Attention, il arrive », « allez, attrapez-le », « attention, il s’échappe », affole Morad. Le vocabulaire est lancé, la culture commence à rentrer. Le premier objectif est rempli : offrir des sensations et mettre les taureaux au milieu du quartier. Pourtant, la journée n’est pas finie.

Un disque d’or du quartier à l’oeil
C’est en réalité toute la richesse associative du quartier qui s’est mobilisée. Tennis, pétanque, maquillage, danse. L’association La belle étoile qui d’habitude vient en aide aux plus démunis, mais aujourd’hui tient la buvette. Tout le monde est bénévole. Sur la scène, Mehdi Savalli va changer de casquette. Ce n’est plus Mehdi, mais Destino. « Barriol est-ce que vous êtes là ? », harangue Mehdi « ça fait plaisir de voir du monde », ponctue-t-il avant de lancer l’instru de sa musique latina. « J’ai grandi ici, j’habite ici, j’ai toréé ici… Matador, j’ai préféré garder mon nom et mon prénom », dit Mehdi entre deux chansons pour exprimer la fierté de ses origines.

En fin d’après-midi, c’est ensuite un défilé de talents musicaux de la scène rap barriolaise. La nouvelle génération : Atlas, Zaaz, Fikry « en ce moment y’a des balles qui s’perdent, tous les jours on a les mêmes galères », et enfin, ceux qui ont déjà cassé les compteurs sur Youtube. Malaa et enfin, Zbig, disque d’or avec Jul pour son Album projet  »13’organisé ». Devant, les ados du quartier, filles et garçons bougent la tête. « Vous me régalez, wallah vous êtes des bons, l’équipe », remercie Zbig pour les quelques uns qui sont restés pour son concert. Et le talent fait le reste. La diction la plus accrocheuse du quartier, des textes crus et une voix qui fait bouger : « j’sors du bitume j’veux des tunes pas autre chose / ta tête qui bouge quand je compose », crache-t-il au dessus du son. C’est le feu, les fumigènes craquent, les jeunes se portent au dessus des têtes. « Ça fait du bien », résume, Sohane, 15 ans, « trop bonne ambiance », ajoute sa copine Najwa, 16 ans. Mehdi, l’organisateur a le sourire : « A refaire ».

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