Les néo-fascistes s’auto-collent sur la ville
Les autocollants et tags ouvertement fascistes s’affichent dans les rues d’Arles depuis septembre 2022. La faute à l’apparition d’un groupuscule identitaire à l’idéologie des périodes les plus sombres de l’histoire. Côté public, sur les autocollants et prises de paroles, les pensées suprémacistes blanches et xénophobes sont lissées derrière une communication propre : en faveur des traditions ou de préoccupations sociales.
La scène est surréaliste. Une poignée de personnes lancent des saluts nazis et des slogans fascistes place de la République à Arles. Nous sommes le 18 juin 2022 et le défilé joyeux et multicolore de la marche des fiertés (LGBTQ+) quitte la place pour rentrer rue de la République. C’est le moment choisi par des jeunes de noir vêtus pour faire référence au IIIe Reich, coupable d’un génocide total il y a moins d’un siècle. En France, le racisme et la xénophobie sont un délit. Pourtant, les caméras de vidéo-surveillance de la ville n’ont pas été utilisées pour identifier les personnes. « La police n’a pas voulu prendre la plainte », raconte Camille (le prénom a été changé) une des responsables de l’organisation de la Pride arlésienne, qui s’est rendue le lendemain au commissariat. « On nous a dit : « ils ont le droit de ne pas être d’accord avec vous » », se souvient-elle. L’argument a du mal à passer : « Aujourd’hui, dire qu’on est fasciste, c’est une opinion, tout va bien, vous vous rendez compte où l’on en est arrivé ? », hallucine un membre de la Queer team, organisateur de la pride.
Ce n’est pas le premier épisode de revendication fasciste sur la ville de ces dernières années. à l’entrée de la ville, sur les palissades de la porte de la Cavalerie lorsqu’elle était encore en travaux (en juin 2023), les touristes pouvaient admirer une prose particulière issue de détournements de tags antifascistes : « Siamo tutti fascisti », « la France n’est pas multicolore », « la jeunesse, le front national ». La traduction littérale du premier tag : nous sommes tous fascistes…
Vernis social, fond suprémaciste blanc
Impossible de retracer les différents auteurs de ces actes. En revanche, comme un signe du temps, les propos identitaires et les références à l’extrême droite profonde se sont développés sur la ville ces dernières années depuis l’arrivée du groupe Arlé en septembre 2022. Ce groupuscule, constitué d’à peine une dizaine de jeunes de moins de 25 ans, affiche ses autocollants de lion : l’un bicolore jaune et bleu et l’autre encerclé de rouge et jaune. Ils se présentent sur le réseau social Instagram comme « jeunesse militante Arlésienne, Camarguaise et Provençale ». Côté face, le groupuscule identitaire affiche d’abord sa fibre sociale et culturelle avec une esthétique copiée sur les collages féministes. Leurs messagesrevendiqués sur leur compte Instagram affichent un « Oui à la Corrida » pendant la féria ou encore « Cotise et crève », lors de la mobilisation de la réforme des retraites.
Côté pile, le 21 mai 2023, en périphérie de la ville, sur la route de Tarascon, un collage indiquant le message : « Dominique Venner, présent ». Cette phrase est un cri de ralliement à celui qui a structuré la pensée raciste et suprémaciste en Europe¹. Ce dernier s’est donné la mort à Notre-Dame de Paris pendant le mouvement contre le mariage pour tous. En-dessous de ce collage revendiqué par le groupe Arlé sur son compte Instagram, une croix celtique, emblème fasciste des régimes qui ont donné le pire : les dictatures, les assassinats politiques comme ethniques. Petite précision, les constatations sur place montrent plus que la photo Instagram d’Arlé. à droite, un tag qui résonne comme un manifeste : « facho mais rigolo ».
Présence physique
Pour la première fois, sur le marché du samedi matin, le 23 mars 2024, le groupe Arlé était de sortie avec les collègues de Tenesoun, un groupe identitaire d’Aix-en-Provence pour distribuer Tenesoun mag, leur publication. « Tenesoun », littéralement la persévérance ou tenace en provençal. Le groupe est une recomposition du Bastion social, un groupuscule néo-fasciste, dissous le 24 avril 2019 après des manifestations armées à caractère raciste et antisémite notamment à Aix et Marseille². Mais avec une stratégie renouvelée. Sur place, les militants arlésiens d’Arlé sont avec Raphaël Ayma, le leader aixois de Tenesoun. Le groupuscule nationaliste essaye de s’implanter dans la ville, c’est un objectif affirmé lors d’un échange sur les réseaux sociaux. Les Aixois déjà également implantés à Orange cherchaient une ville dans les Bouches-du-Rhône pour une nouvelle implantation. Et Arles était à leur goût « un peu ghetto, mais ça va ». Entendez, pas trop dangereuse pour leur installation, assez accueillante aux yeux des Aixois pour projeter d’y installer un local. En terrasse sur la place du Forum, le leader aixois parle de la volonté de s’implanter à Arles « parce qu’on a vu qu’il y avait un fort attachement à la tradition provençale ». Il ignore peut-être qu’ici, la tradition n’a pas de couleur politique. S’il la pense synonyme de rejet, en même temps, l’Aixois ne connaît certainement pas un seul nom de raseteurs de course camarguaise.
Lors de cette prise de contact avec l’Arlésienne, Raphaël Ayma répondait qu’il était inutile de contacter Arlé, le groupe local, puisque « Arlé, c’est Tenesoun ». Si notre demande d’entretien n’a pas pu aboutir car il ne correspondait pas à leur agenda de l’annonce de leur implantation sur Arles, les militants étaient de nouveau devant le bar du marché le samedi 13 avril 2024 pour vendre leur magazine. « Bonjour monsieur, nous avons un article sur l’écologie, mais l’écologie des agriculteurs », tente de séduire Raphaël Ayma à destination des passants. Quelques-uns se laissent convaincre par les têtes d’ange. Le contenu du magazine propose une bouillie idéologique qui permet de reprendre des thématiques sous l’angle identitaire. Hier le bastion social, aujourd’hui Tenesoun est écolo. Comme cet article sur « l’écologie identitaire ».
Raphaël Ayma est une figure montante dans le moundillito identitaire. Il propose une « stratégie de prise de l’espace public » pour normaliser les mouvements d’extrême droite. Des propos toujours plus lisses mais toujours le même fond idéologique. Par exemple, il ne prône pas l’action violente. Pourtant, les dérapages ne sont pas loin. Les journalistes spécialisés sur l’extrême droite Arthur Weil-Rabaud et Daphné Deschamps ont réalisé un décryptage sur les origines de Tenesoun pour le journal Streetpress³. « Le 22 février 2022, une distribution alimentaire à destination des étudiants est organisée à la fac de lettres d’Aix-en-Provence. Une dizaine de militants d’extrême droite équipés de manches de pioche débarquent et tabassent un militant progressiste. Sur la photo de revendication, publiée sur le canal Telegram néonazi Ouest Casual, les nervis effectuent des saluts de Kühnen, des ersatz de saluts nazis. Streetpress a pu identifier dans le groupe Raphaël L.-M., militant de Tenesoun, de l’Action Française et de l’UNI, ainsi que Lenny T., un des militants les plus actifs de Tenesoun. » Lenny T. est identifié sur une vidéo du Parisien relatant la manifestation de la droite de l’extrême droite le 6 mai 2023, manifestation où slogans racistes et participants cagoulés ont donné des images glaçantes. Le slogan de la journée : Europe, jeunesse, révolution. Le même slogan retrouvé tagué au début de l’hiver, rue Gambetta, à Arles, en face d’un salon de coiffure.
Le festival des saluts nazis
L’enquête publiée sur Streepress⁴ a révélé d’autres aspects que Raphaël Ayma ne montre pas aux premiers abords. L’article raconte notamment un pèlerinage du leader de Tenesoun à la « »Valle de los Caídos », vaste monument de l’époque franquiste où furent enterrés Franco et le fondateur de la Phalange espagnole, José Antonio Primo de Rivera. Un voyage durant lequel, (selon les informations de Streetpress, ndlr), les deux compères ont brûlé un drapeau LGBT+ dans les rues de Madrid, action revendiquée une fois de plus sur le canal Telegram Ouest Casual avec un signe ‘‘White power’’ et un salut à trois doigts. Le salut néonazi est apprécié parmi les troupes de Tenesoun, effectué par le porte-parole Raphaël Ayma, l’entraîneur de boxe Briac Garel ou Marc Solina, le boss de la Cocarde Aix-Marseille lorsqu’il pose avec les bagarreurs suprémacistes de l’Active Club Marseille. » Pourquoi des saluts nazis ? Une question que nous avons posée sur le marché à Raphaël Ayma. Sans nier il répond : « Il n’y a pas de photos, en France, c’est à l’accusation d’apporter des preuves ».
Tenesoun a pignon sur rue à Aix-en-Provence avec un local de plus de 200m² contenant un gymnase pour s’entraîner aux sports de combat. Ils ont également un local et une antenne dans le Vaucluse dans la ville d’Orange, gérée par l’extrême droite version Ligue du sud. Ainsi, le 25 novembre 2022, les militants d’Arlé étaient à Orange, pour écouter Fabrice Lesade, le fondateur de l’institut Iliade « l’institut pour la longue histoire européenne ». Ici, on est adepte de la thèse du grand remplacement et l’immigration est vue comme un fléau à combattre pour garder une identité prétendument européenne. Les références historiques sont loin de la Convivencia, période de paix entre les trois religions monothéistes et de mélange dans l’Espagne du XIIIe siècle. Période de paix « qui n’a jamais existé », selon Raphaël Ayma en quelques mots échangés sur le marché et il ajoute « regardez comment ça a fini », avant de dévoiler le fond de sa pensée « une société multiculturelle est toujours multi-conflictuelle ». Autre échange : pourquoi à côté de collages d’Arlé, on retrouve des croix celtiques, symbole fasciste ? « Je ne sais pas, ce n’est pas Tenesoun, c’est Arlé. » Un discours bien différent de quelques semaines plus tôt où « Arlé, c’est Tenesoun ». Et sur les références idéologiques au fascisme ? « écoutez, je crois que nous avons refusé l’interview, donc n’essayez pas », stoppe Raphaël Ayma.
Et il faut aller chercher plus loin dans le projet politique et idéologique de Raphaël Ayma et des siens. Celui qui s’invite depuis quelques mois sur le marché d’Arles est une figure montante de la droite de la droite. Il est invité pour tenir des conférences à l’institut Iliade. Cette organisation propose des colloques où un prétendu déclin européen serait dû à la « fécondité des couches les moins éduquées de la population, issues en grande partie de l’immigration extra-européenne ». Un institut qui affiche une citation de Dominique Venner comme un manifeste : « Concernant les Européens […] Je crois à leur individualité agissante, à leur inventivité et au réveil de leur énergie. Le réveil viendra ».
Des individus isolés
« Y’en a marre des gauchiasses en Arles ! Le pays d’Arles est d’extrême droite et le demeurera », lançait un compte intitulé Gud-arlésien sur la page Instagram de l’Angerie. Le 28 février dernier, il prenait à nouveau l’Angerie pour cible avec un commentaire qui résonnait comme une menace en parlant du bar associatif après sa période de réorganisation : « Et il ne fera pas long feu ». Un commentaire dénoncé par la communauté de l’Angerie auprès d’Instagram qui fermera le compte quelques heures plus tard. Le Gud ? Groupe action défense, organisation étudiante française d’extrême droite réputée pour ses actions violentes et très active dans les années 1970. Aujourd’hui, elle est surtout présente à Paris, le compte avait l’air d’être l’œuvre d’une personne isolée. L’Angerie, le café associatif affilié au mouvement LGBTQ+ arlésien depuis l’accueil de la soirée de la première marche des fiertés en 2022 a été également la cible d’autocollants d’Arlé, le groupe d’identitaires. « à chaque fois plus ou moins autour de la Pride », situe une bénévole de l’Angerie. En juin 2022, c’était un autocollant «White Boy Summer» (masculinistes suprémacistes blancs américains, ndlr). Si les comptes Instagram se suppriment et les autocollants se décollent, les idées restent, qu’elles émanent d’un groupe ou d’un autre. Comme un reflet de la société, les néo-fascistes tentent de prendre leurs aises à Arles.
Eric Besatti
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