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Trinquetaille : un permis imposé par le maire

Trinquetaille : un permis imposé par le maire

Un permis signé personnellement par le maire, c’est rarissime. À Trinquetaille, Patrick de Carolis essaye de contourner l’avis négatif de l’architecte des bâtiments de France pour faire passer le permis de construire d’un ensemble de 24 logements qui pose des problèmes d’harmonie patrimoniale et architecturale. Et profite à une de ses soutiens politiques.

Sacrée tambouille à Trinquetaille : permis refusé par l’élue à l’urbanisme, recours gracieux du promoteur puis un ‘’retrait du refus de permis’’ et son acceptation par la main du maire. Et désormais, passage par la case tribunal administratif. Le permis de construire du Clos de la Verrerie, un immeuble de 19 logements et 5 villas a déjà une histoire chargée.
Dans le fond, c’est un permis initialement refusé pour son manque d’harmonie avec le quartier et sa proximité avec un monument historique. « La volumétrie de l’immeuble de logement collectif n’est pas à la juste mesure des bâtiments de l’environnement proche », analyse l’architecte des bâtiments de France (ABF) dans son avis défavorable le 3 mars 2023. Ce fonctionnaire du ministère de la Culture est le garant du respect du caractère patrimonial et de l’intégrité des monuments historiques. Et à Trinquetaille, le site de la Verrerie, avec ses voûtes monumentales de la fin du XVIIIe siècle, est classé depuis 1987. Selon l’avis de l’ABF, pas question de « faire émerger un bâtiment qui modifiera considérablement les vues sur le monument prises depuis les points du site, en particulier l’ancienne voie du chemin de fer qui […] est prévue pour devenir un axe d’une liaison à mode doux ».
En clair, la police du patrimoine a dit non à ce projet suivant l’article L 631-30 du Code du patrimoine avec l’argument de « la protection au titre des abords » qui « s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci ». Quand la police du patrimoine dit non, la mairie doit respecter cet avis, c’est comme ça, c’est la loi. On dit de cet avis qu’il est ‘’conforme’’, en opposition à un ‘’avis simple’’ dans les cas où les bâtiments ne sont pas visibles avec un monument historique. Alors Sophie Aspord, l’adjointe à l’urbanisme de la ville d’Arles, a tout simplement fait ce qu’elle a l’habitude de faire, ce qu’elle doit faire dans ces cas : elle signe un refus de permis de construire le 9 juin 2023. Conformément à l’avis de l’architecte des bâtiments de France.

Par la main du maire

D’habitude, l’histoire s’arrête là, mais pas celle-ci. Sans savoir pourquoi, avant même que le promoteur du projet ne poste un recours gracieux (il le fera le 10 août), Frédéric Aubanton, le chef de l’Unité départementale et du patrimoine (Udap) des Bouches-du-Rhône, vient au chevet des élus d’Arles pour s’intéresser au projet. M. Aubanton, c’est le chef de l’ABF d’Arles, Olivier Blanc, qui a rendu un avis défavorable. Le 4 juillet 2023 il vient donc « constater, sur le terrain, au sol et après ascension du remblai de l’ancienne voie ferrée désaffectée, l’absence de covisibilité du projet avec l’ancienne verrerie ». C’est ce que note noir sur blanc l’arrêté du ‘’retrait du refus de permis de construire’’ signé par la main du maire le 6 octobre 2023. « Dans ces circonstances, l’avis rendu par Olivier Blanc, ABF de l’antenne d’Arles au titre des abords, doit être considéré comme un avis simple et non comme un avis conforme liant l’autorité compétente ». Sauf qu’hormis ces deux phrases laconiques : rien. Pas de rapport, pas une photo, pas un schéma, pas une lettre de Frédéric Aubanton pour attester cette réalité et argumenter le changement de position. Seulement quelques lignes dans un arrêté municipal signé par Patrick de Carolis trois mois plus tard. Un peu rapide, un peu facile. Surtout que c’est sur cette base que le permis est finalement accordé par le maire – lui-même – le 9 octobre. Pour l’adjointe à l’urbanisme qui n’a pas voulu signer, la raison est simple : « Je suis l’avis de l’architecte des bâtiments de France, le projet en question ne répondait pas vraiment à ce qu’on peut faire au sein de ce quartier-là. Donc j’ai signé un refus. Après l’histoire… ce n’est pas moi », se défend poliment Sophie Aspord, renvoyant la responsabilité vers le maire. Toujours est-il que le permis signé est ensuite affiché sur place et le projet fait rapidement scandale. Les riverains s’unissent et décident de porter l’affaire en justice.

Contourner l’avis réglementaire

« C’est la première fois que je suis confrontée à une telle situation », remarque Maître Jessica Jouan, l’avocate spécialisée dans les affaires d’urbanisme choisie par les riverains. « Je m’étonne des raisons qui, en droit, ont motivé le changement d’avis de l’ABF, qui n’a pas rendu de nouvel avis (écrit) suite à cette visite du 4 juillet. » En résumé, un permis reçoit un avis négatif de l’ABF d’Arles, à cause d’une covisibilité avec un monument, l’adjointe à l’urbanisme refuse donc le permis. Sans même que le promoteur ne demande par écrit une révision de son dossier, quelqu’un demande au chef de l’ABF de revoir la situation. Sans laisser de trace écrite, le chef déjuge son ABF, ce qui permet au maire d’Arles de valider le projet de sa main puisque l’adjointe à l’urbanisme ne le cautionne pas. En clair, Patrick de Carolis a forcé pour faire passer un projet architecturalement refusé par l’architecte des bâtiments de France, en signant de sa main un permis à l’issue d’une procédure pour le moins surprenante.

Le promoteur : une candidate aux législatives macroniste proche de Carolis

En attendant, ça jase sévère à Trinquetaille. Notamment sur la méthode employée par la municipalité : aucune réunion de présentation préalable, une découverte par les riverains du projet devant le panneau du permis de construire… Alors que les réseaux s’affolent à cette découverte, au pied levé, la mairie organise une rencontre entre les riverains et le promoteur. Une quarantaine d’habitants sont venus écouter le promoteur Dubis promotion expliquer le projet, entouré du premier adjoint Jean-Michel Jalabert et de Sébastien Abonneau l’élu du quartier. À la tribune également les représentants du promoteur SAS Dubis promotion : Fabien Dugas, Laurent Biscione et sa fille Marion Biscione. Ce soir-là, cette dernière se présente comme conseillère juridique du promoteur SAS Dubis promotion, son père Laurent. C’est son profil qui fait le plus jaser.
Marion Biscione est proche du milieu macroniste local. Elle a soutenu avec vigueur la campagne de Mariana Caillaud et Patrick de Carolis pour les législatives 2022. Sur sa page Facebook, ses photos avec le maire d’Arles lors de sa paëlla annuelle, avec Edouard Philippe, Emmanuel Macron à Marseille, entourée d’un badge Renaissance 13. Conseillère municipale à Fontvieille, elle s’est fait retirer ses délégations à l’urbanisme au bout de deux ans de mandat pour des raisons ‘‘de savoir être humain avec les administrés’’, témoigne Gérard Garnier, maire de Fontvieille. Candidate aux élections sénatoriales en 2020, aux législatives en 2024… Habituée des couloirs politiques, c’est elle qui était en réunion en mairie pour défendre le projet, une semaine avant que le maire fasse la valse des signatures : retrait du refus de permis le 6 octobre, puis son acceptation le 9 octobre 2023. Depuis, l’ABF d’Arles Olivier Blanc a reçu une promotion pour changer de ville et Sophie Aspord l’adjointe à l’urbanisme continue de signer les permis de constuire. Alors que dira le tribunal administratif de la situation ? La date de l’audience sera fixée dans les mois qui viennent. La tambouille trinquetaillaise pourrait se transformer en bourbier pour la mairie d’Arles et son premier magistrat.

Eric Besatti

 

[Patrick de Carolis, Marion Biscione et Frédéric Aubanton n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretiens.]

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