Griffeuille, entre les deux tours
Ici, des tours, il y en a depuis les années 1970. Mais pas aussi grandes, pas aussi étincelantes que celle qui se construit derrière le quartier. A Griffeuille, la Tour de la Luma intrigue mais reste bien loin des préoccupations des habitants.
Fin d’après-midi à Griffeuille. La température est encore douce, les habitants sont dehors. Certains discutent sur les bancs, les enfants jouent sur la place… C’est agréable. D’ici, il paraît qu’on peut voir la Tour. Mais où ? « Ah ! Mais moi je pensais que vous me parliez de notre tour, mais c’est pas celle-là. C’est l’autre ! », reprend un résident, désignant d’un geste de la main la tour de huit étage, la plus haute du quartier.
Ici, la nouvelle Tour, celle de la fondation Luma, suscite autant d’interrogations que d’incompréhension. « On dirait un escargot sur un escargot ! », lance un retraité du haut d’un muret. Pour les »habitués » du quartier, ceux qui y résident depuis plus de 40 ans, il y a d’autres problèmes, d’autres préoccupations : la sécurité, l’emploi, les dégradations des habitations, le bien-être de chacun et surtout la voirie. « Comment voulez-vous qu’on pense à la Tour après ? », appuie Kader, retraité, le ton sec. Au sein du quartier, il n’est pas seul à ne pas s’en préoccuper. Sur leur banc, d’autres habitants se demandent ce que la Tour va apporter aux Arlésiens, si elle est faite aussi pour eux. D’autres relativisent : « Ça fait quelque chose de plus, c’est une ville touristique. » La Tour est là mais, pour eux, elle ne changera rien. Ça ne les empêchera pas de vivre, de se retrouver pour discuter. « C’est bien, mais ce n’est pas pour moi ».
Chez les plus jeunes, on avait d’autres idées pour les anciens ateliers SNCF. Comme des magasins plutôt qu’une grande tour. Alors, à propos de la Fondation, trois mots et une catch phrase suffisent parfois : « Je – m’en – fous », lance Bilel avec son humour adolescent. Moins catégorique, Hanane, qui habite elle aussi Griffeuille, trouve bizarre que la Tour soit si proche : « Tu montes une pente, et d’un coup c’est plus la même chose, plus les mêmes gens. » Elle pense surtout qu’il y a un manque de communication auprès des habitants, que les gens ne savent pas ce que cette nouvelle construction vient faire là.
Une entrée par la porte associative
Pourtant la Fondation Luma ne tourne pas le dos au quartier. Au contraire, elle souhaite l’intégrer à son projet. Elle a même commencé ses actions en partenariat avec certaines structures de Griffeuille. C’est le cas avec l’épicerie solidaire Solid’Arles. En septembre dernier, un designer de l’atelier Luma est venu rencontrer l’équipe pour faire du « design social ». Du quoi ? Tout simplement « ce que nous, nous appelons de l’éducation populaire », traduit une employée de l’épicerie. Ensemble, Luma, Solid’Arles et certains habitants ont commencé par s’apprivoiser autour de repas partagés. Le mieux, pour se fondre au territoire, c’était de venir sans l’étiquette « designer de l’atelier Luma », juste en tant qu’individu, curieux, pour rencontrer les habitants en toute simplicité. Depuis cette première approche, « un pique-nique sauvage, made in Griffeuille », a été préparé par Solid’Arles et ses bénévoles pour les invités internationaux des Luma Days, fin mai. Une réussite selon l’employée de l’association : « Les bénévoles étaient à l’aise avec les gens de la Fondation. Ils ont pu visiter l’atelier Luma et ils étaient invités aux cocktails… On a bien été accueilli ! ».
Le constat est partagé par Petit à petit, autre association implantée à Griffeuille. Elle intervient notamment avec des jardins partagés et des actions en pied d’immeuble. L’association a été contactée par la fondation Luma avec une volonté de se rapprocher des habitants pour faire un travail collaboratif, avec la présence de chargés de mission sur le terrain. Pour Petit à petit, cette collaboration est stimulante et positive pour le territoire : « C’est un ancrage local. Mais c’est à nous de construire quelque chose de pertinent avec eux. » Sans perdre de vue l’essentiel : « partir des besoins des habitants pour mieux vivre ensemble, en société et sur le territoire. »
« – C’était génial hier soir. – C’était pas génial, c’était grandiose pour notre petite école de quartier », échangent deux mères vers l’espace Ariane. Elle parlent du « vernissage » de la veille à l’école maternelle Louise Michel. Une restitution des travaux effectués par les enfants en lien avec la Fondation : des contes revisités dans l’univers des travaux de la Tour grâce à des visites. « Luma » et « Tour Gehry » rentrent petit à petit dans le vocabulaire et dans l’imaginaire des enfants de l’école.
Pour la Maison de quartier, la prise de contact avec Luma a été un peu différente : les premiers échanges ont commencé il y a deux ans, par une volonté des habitants, un petit peu des élus et de la Fondation. « Le contact est venu par évidence : la Tour est là, et dès que la Tour a commencé à prendre de la hauteur, à être visible du quartier, les gens ont commencé à se poser des questions. Et, nous, on n’avait pas forcément de réponses », explique Baptiste Guerri, coordinateur à la Maison de quartier. Un besoin d’information qui a débouché sur un dialogue entre les acteurs jusqu’à l’organisation de visites de la Tour pour les habitants. Depuis un an et demi, 90 habitants de Griffeuille ont pu en profiter. « A chaque fois, on a les mêmes réactions… C’est des gens qui y vont, qui s’attendent à rien et qui se prennent une claque », s’enthousiasme le salarié. La fondation Luma est également intervenue à la Maison de quartier pour présenter le projet de la Tour. Il y a aussi une intention de co-construire un chemin pédagogique entre la Fondation et le quartier de Griffeuille.
L’implication de toutes les structures et notamment des acteurs du quartier, permettent de créer un relais, entre les habitants de Griffeuille et Luma. « Après, la crainte de certains, c’est que le quartier soit utilisé comme un faire-valoir pour la Fondation », analyse Baptiste Guerri. Les projets sont en construction, ils commencent à peine…. Ce n’est qu’un début…
Marie-Océane Dubois
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