Demain sera vert algue
Entrer dans l’Atelier de la Mécanique, c’est un peu mettre le pied dans l’antre d’un savant fou. Ou plutôt de plusieurs savants fous. Ici, l’atelier Luma a pris ses aises. Un regroupement de designers internationaux venus imaginer les objets de demain à partir des ressources du territoire.
« Vous voulez goûter ? » Tout sourire, Eric Klarenbeek ouvre sa main et y déverse quelques granules verdâtres. De l’algue. C’est le matériau que ce designer hollandais a choisi de travailler pour trouver une alternative au plastique. Une idée qu’il infuse depuis trois ans et qu’il montre cet été au public sous l’imposante charpente métallique d’un des anciens ateliers SNCF. Et il n’est pas seul. Eric, son mètre quatre-vingts (à la louche) et sa stagiaire studieuse ont pris place en face d’une consœur qui expérimente un papier recyclé électrique. Plus loin, des Twizy ornées de croix de Camargue marquetées ouvrent leurs portières, des pierres antiques trouvées sur place sont découpées et rénovées en mobilier urbain. Un méli-mélo de matières premières locales transformées à la sauce internationale.
Lancé depuis mars 2016, l’atelier Luma est un espace de production autour du design social. Une concrétisation de l’envie de la Fondation de tendre vers une « bio-région ». Ph.P.P.
Étrangement, tout est calme dans ce qui devrait être une ruche. « Ils sont partis en vacances », s’excuse presque une médiatrice des Ateliers. Du repos mérité entre les Luma Days et la très proche tornade estivale. Seul Eric Klarenbeek s’active avec ses algues, ses yeux bleus ont gardé quelque chose d’enfantin. Autour de lui, des ballons de chimistes gargouillent, des fioles sont brinquebalées par des agitateurs. Et des dizaines de petits vases, de coupelles, de bols 100 % »algue made » s’alignent sur une étagère. « On est allé scanner des bouteilles et des vases au Musée de l’Arles antique pour pouvoir les reproduire en algues grâce à une imprimante 3D », explique, moitié en français, moitié en anglais, le « social designer » hollandais. « Ce qui est drôle, c’est que ce sont des objets sortis du Rhône qui étaient devenus verts à cause de la vase et, déjà, des algues… »
De l’éprouvette… à l’usine ?
Avant de passer à l’imprimante 3D, les algues ont été recueillies en Camargue. Sur les étiquettes, on lit « Sprirulina » ou encore « Dunaliella Salina ». Cette dernière, « c’est l’algue que mangent les crevettes que mangent ensuite les flamants roses. » D’où sa couleur rose pâle. Un pur produit du terroir. Avec des algues, de nombreuses couleurs sont possibles. Pour preuve, le chercheur de 38 ans montre une éprouvette remplie d’un liquide bleu Klein. Un coup de lampe de poche, et hop, à la lumière, le liquide paraît violet vif. Un peu magique, un peu chimique mais tout à fait naturel. C’est d’ailleurs une des lignes directrices de l’atelier Luma : chercher de nouveaux savoir-faire à partir des ressources arlésiennes. Et les expérimentations pourraient devenir, à terme, des chaînes de production. Eric Klarenbeek espère d’ailleurs voir un jour ses objets en algues sortir d’une usine du coin, pour se retrouver dans les cafés ou les hôtels de la ville. Des avenirs comme celui-ci pour les créations des designers, la Fondation ne les exclut pas. Le projet de l’atelier entre dans la volonté »lumatique » de penser la ville et la Camargue pour s’ancrer au mieux dans cette terre hostile, pleine de moustiques et de toros, et de leur donner un souffle d’innovation.
Ces vases en algues pourraient peut-être un jour être vendus comme souvenirs
au Musée de l’Arles antique. Ph. PP
Et ça plaît. Venus un peu par hasard, après la visite de l’exposition d’Annie Leibovitz, trois Gardois arpentent le lieu, guidés par une médiatrice. « C’est impressionnant parce que c’est une transformation globale. Physique, intellectuelle et énergétique », lâche Nicolas, petites lunettes de soleil rondes vissées sur le nez, croix de Camargue au cou. « C’est hyper-bluffant », résume Renaud, à côté de lui. Séduits par la pluridisciplinarité et l’aspect pédagogique de l’endroit, les trois touristes repartent avec un seul regret : « On aurait bien aimé pouvoir toucher les objets... » A ce propos, j’allais oublier. Oui, j’ai accepté la proposition et goûté les algues. Si par hasard Eric vous le propose, refusez. C’est pas très bon.
Pauline Pidoux