Parc de Camargue : une renaissance contre vents et marées
Il y a deux ans, le Parc naturel régional de Camargue (PNRC) traversait une importante crise politique le laissant sans gouvernance durant plusieurs mois. Aujourd’hui, il se relève doucement et est enfin prêt à lancer la révision de sa charte. Ce document, fruit d’une large concertation, doit entériner le projet du territoire pour la protection et le développement durable. Mais le retard semble trop grand pour être rattrapé et la perte de son label, même temporaire, semble inévitable.
Érosion du trait de côte et montée du niveau marin, diminution du débit du Rhône et de la pluviométrie, salinisation des terres,… Les effets du réchauffement climatique se font déjà sentir en Camargue et pèsent tout autant sur les activités humaines que sur les espaces naturels. Le PNRC a une place de choix pour permettre l’élaboration des réponses de manière concertée. « Le parc c’est un chef d’orchestre. C’est un endroit où on cherche à faire émerger des consensus pour que les gens travaillent de manière coordonnée. Parce que dans un delta comme ça tout est lié » détaille le directeur, Christophe Fontfreyde. « Quand quelqu’un décide d’ouvrir sa martelière, ça peut avoir un impact 50 kilomètres plus bas. Les acteurs le savent, c’est pour ça qu’ils s’engueulent tout le temps mais qu’ils finissent par se mettre d’accord. Parce qu’ils n’ont pas le choix. Tout est imbriqué, la gestion ne peut pas être individuelle. En Camargue encore plus qu’ailleurs les gens sont obligés de discuter ensemble pour ne pas se tirer une balle dans le pied. Et le Parc, c’est l’endroit où on discute. »
La perte de label en perspective
Comment ? Son outil principal, c’est sa charte. « Une charte c’est un projet de territoire écrit par le territoire » définit Christophe Fontfreyde. Elle détaille les engagements de tous les acteurs du territoire. Le parc coordonne son élaboration et est ensuite chargé du suivi et de l’évaluation. Ce document n’a pas de poids réglementaire, il a cependant une valeur juridique, définie par l’article L. 333-1 du code de l’environnement, qui indique que le Schéma de cohérence territoriale et le Plan local d’urbanisme doivent être compatibles avec ses orientations. C’est par exemple en vertu des orientations de la charte actuelle que le PNRC s’est positionné contre la ligne très haute tension (lire encart p.36). Des projets similaires en France ont déjà été suspendus par le tribunal administratif car ils contrevenaient à la charte du Parc régional.
La charte actuelle se termine en février 2026, dans un an et demi. Mais en 2022, un conflit entre le maire d’Arles, Patrick de Carolis, et le président de la Région, Renaud Muselier, a paralysé le Parc pendant de longs mois (lire encart p. 35). La révision de la charte a été longuement retardée, elle commence tout juste alors que le processus prend environ cinq ans. Sans charte, le Parc risque de perdre son label. « C’est embêtant, on essaiera de ne pas le perdre et, si on le perd, de le perdre le moins longtemps possible. Mais le parc pourra continuer à fonctionner, ça ne remettra pas en cause son existence » tempère le directeur. Une modération partagée par le président de la fédération des parcs Mickaël Weber : « La perte du label parc n’est pas un problème en soi. Il vaut mieux prendre le temps plutôt que d’avoir une charte mal ficelée. C’est déjà arrivé à d’autres parcs, si c’est sur une courte période ça ne pose pas de problème. » Mais sans label, le Parc n’est plus reconnu par l’état et les demandes de financements seront entravées. De plus, la charte perdra sa valeur juridique.
« Quand quelqu’un décide d’ouvrir sa martelière, ça peut avoir un impact 50 kilomètres plus bas. […] En Camargue encore plus qu’ailleurs les gens sont obligés de discuter ensemble pour ne pas se tirer une balle dans le pied. Et le Parc, c’est l’endroit où on discute. »
S’entendre, pour un territoire en commun
Mais, loin de se laisser abattre par cette perspective, le Parc vient de lancer un cycle de concertations, la première étape de l’élaboration de la nouvelle charte. « On est en train de se mettre en ordre de bataille. De septembre à février, on va consulter l’ensemble des habitants du territoire, pour qu’ils nous expliquent, de leur point de vue, quels sont leurs problèmes et qu’est-ce qui pourrait être fait, pour que ce soit toujours agréable de vivre en Camargue et que ce soit toujours riche en biodiversité dans quinze ans, dans cinquante ans. » explique Christophe Fontfreyde.
Le conseil scientifique est partie prenante de la révision de la charte. « Notre rôle, c’est de partager les connaissances dont nous disposons. De s’assurer que ce que dit la science est pris en compte et est bien compris. Nous avons vocation à éclairer les enjeux, pour accompagner les habitants comme les élus » détaille Raphaël Mathevet, spécialiste en écologie et en géographie politique et co-président du conseil scientifique. « L’enjeu est très important. Est-ce que l’attachement à la Camargue va permettre d’élaborer une charte proposant une adaptation transformatrice du territoire face au changement climatique ? Qu’il s’agisse de l’Etat ou de la Région, les enjeux d’arbitrage et de mise en cohérence des politiques publiques sectorielles sont importants, entre par exemple garantir l’intégrité écologique et culturelle du PNRC et déployer de grands aménagements (la Région, principal financeur du Parc, soutient le projet de ligne très haute tension, ndlr). Face à de tels enjeux, il apparaît important que les camarguaises et les camarguais s’expriment. Le Parc doit animer un véritable dialogue territorial permettant à tous de partager leur point de vue. Que souhaitent-ils en termes de développement des énergies renouvelables et des infrastructures ? Quel projet pour la Camargue veulent-ils dans le contexte du changement climatique et de la crise de la biodiversité ? La révision de la charte devrait permettre de discuter de tout cela. »
« Il apparaît important que les Camarguaises et les Camarguais s’expriment. […] Quel projet pour la Camargue veulent-ils dans le contexte du changement climatique et de la crise de la biodiversité ? »
Entre conflits et résilience
Un dialogue qui n’est pas toujours facile. La Camargue est composée d’une multiplicité d’acteurs aux intérêts parfois divergents. Mais la situation semble s’apaiser. Jacques Mailhan, manadier et président de la commission « préservation, gestion de l’eau et des milieux naturels », a participé à de nombreuses réunions au cours des derniers mois. « La discussion s’est améliorée. Il y a des engueulades, mais dans le bon sens. On cherche un consensus où chacun trouve son profit. On ne peut pas avoir un seul corps qui tire la couverture à lui. » Certains clivages persistent, Entre acteurs de l’écologie et de la riziculture, le dialogue est quasiment impossible et le débat autour de l’Avanza était particulièrement vif (lire encart). « Certains ne peuvent pas discuter ensemble. Il y a les ayatollahs de l’écologie et les ayatollahs de l’agriculture. Mais on est tous complémentaires, il faut savoir vivre ensemble et se parler » insiste le manadier.
Le territoire est également affecté par les premiers effets du réchauffement climatique et les inquiétudes quant à son évolution. « On travaille sur le temps long, mais il ne faut pas que ce soit un horizon bloquant pour les esprits. C’est ça le danger » alerte Christophe Fontfreyde. « Le territoire est très tendu. Il y a des gens qui sont tétanisés de peur. Oui en 2100 il y a des prévisions avec des incertitudes, oui il faut qu’on réfléchisse et il ne faut pas attendre 2099. Moi je répète en boucle: “Pour grimper sur une montagne, on regarde ses pieds, et on avance”. Est-ce que le territoire aura la même forme qu’aujourd’hui? Peut-être pas. Mais aujourd’hui il n’a pas non plus la tête qu’il avait il y a cinquante ans ou cent ans. À une époque, il n’y avait pas de riziculture, il n’y avait que des vignes. Avant, il y avait des moutons, et puis demain il y aura peut-être autre chose. En fait, c’est un territoire résilient. Les gens et les écosystèmes ont su s’adapter depuis des centaines d’années. Après ça aura peut-être pas la même tête qu’aujourd’hui ! Mais il y aura toujours des gens, qui auront une culture et tradition, et qui pourront y vivre. » 🌬
Clémentine Morot-Sir
Réparer le Parc
« À mon arrivée, le sujet c’était de réparer l’outil parc avant de pouvoir s’en servir. Honnêtement il n’était plus opérationnel » confie Christophe Fontfreyde, directeur du parc depuis mars 2023. « L’année dernière on a fait vraiment le ménage, on a regardé toutes les dettes qu’on avait, on a remis des procédures à l’endroit, mais ça a entrainé une perte de fonctionnement importante, qui est en fait le rattrapage d’années de non-traitement des dossiers. Pour faire face à ça on a demandé à nos partenaires une subvention de fonctionnement exceptionnelle d’à peu près 12% de sa contribution annuelle. Et tout le monde nous l’a donnée. J’ai pris ça comme une marque de confiance. » La ville d’Arles a voté cette subvention, d’un montant de 11 663€, lors du conseil municipal de juillet, ainsi qu’une contribution exceptionnelle de 40 000 €, correspondant à sa participation au plan d’action du Parc pour 2023.
La restructuration concerne également l’équipe technique, composée d’une cinquantaine de salariés. L’organigramme a été révisé. « La bonne surprise c’était de trouver une équipe qui avait souffert mais qui était toujours compétente et bosseuse. » Une ancienne personne salariée, dont le CDD n’a pas été renouvelé, témoigne des conditions de travail difficiles au cours de ces dernières années : « Il y avait un vrai manque de moyens humains et financiers, tout le monde était débordé. Il y a eu plusieurs burn-out et un turn-over énorme. » Pour le directeur « il y a eu du turn-over avec la restructuration, beaucoup de gens sont partis. Mais cette étape-là, on est à la fin ».
La Région prend les rênes
En 2022, l’arrivée de la nouvelle présidente du Parc, Anne Claudius-Petit, s’accompagne d’une refonte des statuts pour modifier la gouvernance. La CCI, la Chambre de l’Agriculture et la Chambre des Métiers de l’artisanat cessent de siéger au comité syndical. Restent les représentants des communes, des Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), du Département, de la Région, ainsi que du syndicat mixte des associations syndicales du pays d’Arles. Le nombre de voix par représentant a également été modifié, en faveur des élus régionaux : le poids de leur vote passe de 5 à 10 voix par personne, les dotant de 43% du total des voix. Une modification obtenue au prix d’un blocage institutionnel qui s’inscrit dans la lignée de ce que Renaud Muselier avait annoncé lors de sa reprise du Parc* : « C’est moi qui paye, c’est moi qui fixe la ligne » (les financements de la Région représentent 44% du budget annuel du Parc). La Fédération des Parcs régionaux souhaite faire évoluer ce mode de gouvernance, commun à tous les parcs régionaux. « On aimerait que toutes les strates des collectivités soient représentées et pouvoir ajouter une dose de représentants des acteurs économiques, des associations et des habitants » explique Mickaël Weber, le président de la Fédération. « La Fédération a fait une demande pour élargir le champ de la gouvernance mais elle a été rejetée par l’Etat. » Le conseil consultatif, composé de près de 80 acteurs du territoire camarguais, vient en complément. Il est divisé en commissions thématiques (Eau et espaces naturels, agriculture et élevage, économie et tourisme, patrimoine et culture, participation citoyenne et sensibilisation) qui élaborent des recommandations à destination du comité syndical.
En Camargue, à cette représentativité resserrée sur les élus s’ajoute un nombre très faible d’élus. Le Parc compte trois communes : Arles, Port-Saint-Louis et les Saintes-Maries-de-la-mer. Les autres Parcs régionaux en comptent généralement entre 50 et 100, et autant d’élus différents. Alors ici, la pluralité politique est, de fait, bien plus restreinte. « Toutes les collectivités étant passées à droite, les intérêts économiques ont repris le dessus sur la gestion du delta » analyse Bernard Picon, sociologue spécialiste de la Camargue (lire entretien p. 38). Un constat nuancé par le directeur du Parc. « Il n’y a plus de guerre politique et pour l’instant, je n’ai pas de problème de politique politicienne. Les élus sont plutôt à la recherche de l’intérêt collectif en mettant leur commune d’abord. Je croise les doigts, parce que plus on se rapproche des élections municipales, plus la tentation sera forte d’instrumentaliser certains dossiers. » Le Parc est surnommé “le petit Parlement de Camargue”. Et si cette ambition de démocratie locale et participative semble se déployer au sein du comité consultatif, le pouvoir demeure aux mains d’un comité syndical restreint et dominé par la Région.
* “Camargue : un Parc naturel régional dévoyé par Renaud Muselier”, 23 juin 2022, larlesienne.info
Projet de ligne THT : un avis défavorable très discret
Son silence avait fait grand bruit durant la mobilisation citoyenne contre le projet de ligne très haute tension porté par RTE. En particulier, l’absence très remarquée de la signature du PNRC à une lettre pourtant co-signée par l’ensemble des instances de protection de l’environnement du territoire concerné par la ligne, du Parc régional des Alpilles à la tour du Valat, en passant par les marais du Vigueirat. Le Parc de Camargue avait pourtant émis un avis défavorable dans une délibération en date du 19 septembre 2023, au motif que le projet est incompatible avec la charte et ne respecte pas les objectifs prévus en zone Natura 2000. Un document qu’il est possible de trouver, en cherchant dans les méandres du site internet du Parc. Son silence lors de la mobilisation quelques mois plus tard a cependant de quoi interroger. Aurait-il un lien avec le soutien de la Région pour le projet de ligne très haute tension? « On a été les premiers à se prononcer, mais c’est passé sous le radar. Et depuis, c’est vrai qu’on ne fait pas de pub pour rappeler cette position » explique Christophe Fontreyde. « Le parc a bien émis un avis défavorable au passage de la THT sur son territoire. D’après notre analyse, ce n’est pas compatible avec la charte, alors ce n’est pas possible. Même si le comité syndical était d’accord, ça ne serait quand même pas possible. » Néanmoins, si le parc perd son label, la charte n’aura plus de valeur juridique.
Impacts de l’Avanza: “il y a un trou dans la raquette”
L’herbicide, utilisé depuis quatre ans par les riziculteurs grâce à une série de dérogations, a fait l’objet d’un débat médiatisé à l’échelle nationale. « La difficulté de l’Avanza c’est que la science ne sait pas grand chose et il faut quand même prendre des décisions » déplore le directeur du PNRC. « Mais une des difficultés, qui a été reprochée à l’Etat, c’est que comme c’est une dérogation, ce n’est pas une molécule autorisée. Comme ce n’est pas une molécule autorisée, il n’y a pas les procédures de suivi des molécules autorisées. Il y a quand même un trou dans la raquette. C’est l’une des choses qu’a dit le Parc à ce moment-là. Donc j’espère que ce trou a été bouché et qu’on aura quelques enseignements pour l’année prochaine. Autorisation ou pas, ce qui compte c’est l’impact qu’il a sur l’écosystème. »
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