Un parc naturel en état de mort clinique
Handicapé par un directeur controversé, boudé politiquement, le Parc naturel régional de Camargue est à l’arrêt. Il est orphelin de projets au moment où le travail sur sa future charte devrait battre son plein.
Article publié dans l’Arlésienne n°14
Une marque de désintérêt ? Un désaveu ? Un boycott ? Une incompétence collective ? Le 17 décembre dernier à Salin-de-Giraud, tout était pourtant installé : tables, chaises, micros. Ne manquaient que les 16 élus nécessaires à la tenue du comité syndical du Parc de Camargue. Le quorum n’est pas atteint alors que la Camargue gronde et que le Parc est en proie à des blocages en interne. Loupé, le moment de vie démocratique où les élus discutent et votent les décisions qui engagent les actions et l’avenir de l’établissement public.
« Du jamais vu », affirme Jacques Mailhan, qui était là à la création du Parc et reste aujourd’hui conseiller syndical pour représenter la Chambre d’agriculture. Cette situation de blocage apparaît comme une preuve supplémentaire qu’aujourd’hui l’outil est en panne. Il faut dire que la date est mal choisie. Au même moment se tiennent à Marseille les réunions plénières des conseils régional et départemental. Cyril Juglaret, premier vice-président du Parc est à la région, Mandy Graillon, représentante du département au Parc, a le covid. Patrick de Carolis, le président du Parc est là, Martial Alvarez, maire de Port-Saint-Louis aussi, la maire des Saintes s’est faite représentée par son suppléant. Finalement, il ne manquait que deux élus pour atteindre le quorum. Quelle que soit la raison, beaucoup ont trouvé mieux à faire.
Un parc à l’arrêt
« Le Parc ronronne », admet Cyril Juglaret, conseiller régional et premier vice-président du Parc. Cette année, une vingtaine de projets vont être menés contre encore 80 en 2019. La faute à qui ? En interne on se décharge facilement sur le nouveau directeur arrivé en mars 2020, Régis Visiedo. En amont de ce conseil syndical annulé, il avait oublié d’organiser le bureau du parc : une instance de gouvernance entre les vice-présidents qui est pourtant nécessaire au bon fonctionnement. « Il ne fait rien, ne prend aucune initiative, n’insuffle rien », souffle-t-on en interne. « Une erreur de casting », enfonce un élu. Le Parc se meurt lentement. « Il n’y a pas de travail, pas de préparation », décrit Jacques Mailhan. « C’est un jeu politique trouble avec cette politique de la chaise vide, on se retrouve dans une situation de blocage. Ça nuit au Parc et ça nuit au territoire et aux habitants, en attendant, on perd du temps. Y’a une inertie, rien n’a été proposé depuis l’arrivée du nouveau directeur. Si c’est un règlement de compte politique, on peut mettre les peaux de banane ailleurs », résume-t-il sans détour.
Pire, c’est la crise. Les arrêts maladies s’enchaînent. Une situation telle qu’elle a motivé le CHSCT (Comité hygiène sécurité et condition de travail) du Parc à commander un rapport à un cabinet pour savoir ce qui ne tournait pas rond. Les conclusions sont sans équivoque. Le 26 novembre, Patrick de Carolis en communiquait la substantifique moelle aux équipes du Parc dans un courrier. « Désorganisation », « manque de procédure », « pilotage obscur », « incompréhension dans la répartition des tâches », « impacts psychologiques dus aux dysfonctionnements » et « réel mal-être du personnel » : voilà ce qui cloche dans l’établissement public.
Pour Cyril Juglaret, là n’est pas le problème. « Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage », défend le conseiller régional qui a connu un « directeur consciencieux » lors de son rapide intérim au poste de président du Parc entre le décès de l’ancien maire des Saintes Roland Chassain et l’élection de Patrick de Carolis au printemps 2021. Pour lui, la problématique du Parc, c’est : « on attend Patrick ». « Il manque un pilotage, une direction à donner, si les consignes sont claires, ensuite l’organisation suivra. »
Des blocages politiques
Malgré la belle communication aux équipes et la prise de conscience d’une « situation très préoccupante », Patrick de Carolis reste un « président distant » selon l’analyse d’un salarié du Parc. Cumulant la mairie d’Arles, la présidence de la communauté d’agglomération ACCM et du Parc, le grand homme n’a pas encore le don d’ubiquité. Par exemple, le 26 novembre, il annonçait par courriel qu’il proposerait « une profonde réorganisation générale des services », « dans les meilleurs délais ». Début février 2022, toujours rien à l’ordre du jour du conseil syndical… Puis se séparer d’un directeur dans la fonction publique, c’est compliqué. Alors il faudra peut-être faire avec Régis Visiedo, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
Le Parc paralysé par des dysfonctionnements internes, ça tombe mal alors qu’un travail importantissime l’attend : la révision de sa charte. C’est un document qui donne les principes de gestion et les objectifs pour les décennies à venir. Ce texte qui doit normalement être voté avant 2026, nécessite au minimum cinq ans de travail. Le travail aurait déjà dû commencer.
« La charte devra être votée par le conseil régional », rappelle Cyril Juglaret, qui insiste sur le terme « régional » de l’intitulé du Parc. « C’est un outil de mise en œuvre de la politique environnementale de la région », placé sous le sceau très marketing de « Cop d’avance », en référence au cycle de conférences internationales sur le climat. Pour le conseiller régional, « il faut que le politique reprenne la main ». « La conservation et les études scientifiques, c’est bien, mais le Parc doit aussi être une vitrine du territoire pour son activité », délivre le premier vice-président du Parc.
Bref, les egos politiques ne sont pas loin et Cyril Juglaret attend Patrick de Carolis au tournant. Ce dernier, qui a bien compris la situation, communique comme il faut mais reste absent du terrain. In fine, c’est tout le Parc qui se retrouve bloqué politiquement. Le président a promis le 26 novembre 2021 de proposer « prochainement au conseil syndical de nommer un vice-président en charge de la révision de la charte ». Un point qui n’est pas à l’ordre du jour du conseil du 8 février 2022, tout comme la réorganisation des services. « Prochainement », c’est un peu comme « les meilleurs délais ». Toujours des mots, encore des mots…
Les équipes du Parc assistent à ce bras de fer politique, ce « triste théâtre », reprend une salariée. Le Parc perd du temps, de l’argent et les projets n’avancent pas. Le « parlement de Camargue », voulu par de Carolis, est pour l’heure en état de mort clinique, sans voir pointer de choc de réanimation.
Eric Besatti
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