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La municipalité de Carolis fait planter le service informatique

La municipalité de Carolis fait planter le service informatique

Le trésor du service informatique va être liquidé. Des logiciels Microsoft payants vont remplacer la culture maison tournée vers le libre. Celle-là même qui a fait d’Arles une ville d’excellence et d’innovation en la matière avec pas moins de 30 logiciels programmés par les agents dont certains utilisés par d’autres collectivités. Une nouvelle facture lourde à porter pour satisfaire le goût de la nouvelle administration, quand parallèlement, le service est au pain sec, placé en sous-effectif, incapable de répondre à toutes ses missions.
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Au service informatique, un sabordage approche à grand pas. Au deuxième semestre 2022, la Ville s’apprête à changer son client de messagerie. Soit le logiciel qui permet de recevoir les courriels, échanger en interne ou partager des agendas. Zimbra, l’outil actuel, est un logiciel en licence libre et gratuit d’utilisation. Son seul défaut : il ne serait pas du goût de la directrice générale des services. La direction préfèrerait faire installer sur les 700 ordinateurs de la Ville, Exchange. Le logiciel de Microsoft équipe les ordinateurs de la région Paca, pour laquelle elle travaillait avant de prendre son poste à Arles après les dernières élections.

« On a dit plusieurs fois que ça allait coûter un bras. Au fil des réunions, dans des notes de service… Mais peu importe, ils n’écoutent pas. Ils ont dit : on le fait », témoigne un agent du service informatique. Selon les options, la facture pourrait représenter entre 42 336 et 170 016 euros par an(1). Une somme qui pourrait par exemple être utile pour financer un ou plusieurs postes de techniciens qualifiés. « De la gabegie pour un caprice », dénonce un autre agent du service informatique. La directrice générale des services n’a pas souhaité répondre à nos questions. Pourtant, l’enjeu n’est pas mince. Avec l’usage des logiciels libres et le développement d’outils sur mesure en interne, l’économie des licences représentait « 450.000 euros d’économie entre 2006 et 2014 », estime François Raynaud, responsable du service informatique, cité par le site spécialisé Numerama.

L’affaire est peut-être un détail pour vous, mais pour les geeks, ça veut dire beaucoup. Pour le seul confort de la hiérarchie, l’idée est de migrer d’une solution libre de droits, coopérative et économe en deniers publics à une solution payante, maîtrisée par une multinationale. Même pour le traitement de texte, Libre office serait délaissé, au profit des outils de Microsoft : Word, Excel et Powerpoint. Au fond, c’est toute une culture qui quitte la ville d’Arles.

Une culture du libre qui s’envole
À l’image du service patrimoine, au fil des années, le service informatique est devenu une référence nationale3. En 2020, Arles est la seule ville en France a avoir obtenu cinq étoiles au concours « Territoires numériques libres ». Seule Nancy a fait aussi bien en 2019. Pas moins de 30 logiciels libres maison ont été développés par les agents pour répondre aux besoins spécifiques des services : pour gérer les cimetières, le courrier… Openelec, le logiciel créé pour gérer les élections, est aujourd’hui utilisé par plus d’un millier de communes.

Certains logiciels conçus à Arles sont même traduits en anglais et en espagnol. Cultivé en interne, l’engagement pour l’informatique libre a été transmis aux élus de l’ancienne majorité. Ils ont voté en 2005 une délibération en faveur de l’utilisation des logiciels libres qui permettait « d’acquérir de l’indépendance vis-à-vis du secteur marchand des logiciels ».

Les partenaires pénalisés ?
Le remplacement de logiciels impactera aussi le fonctionnement de la collectivité. « Au moins six mois de travail de réglage seront nécessaires », prévient un agent du service informatique. C’est qu’il faudra tout reconfigurer, boîtes mail et agenda partagés et former l’ensemble des agents aux nouveaux outils. Bref, « un sacré bordel à gérer », estime notre interlocuteur, pour des équipes déjà surchargées.

Des difficultés sont également probables pour les systèmes informatiques des partenaires de la Ville. Le service informatique municipal partage ses compétences et les coûts de maintenance avec la communauté d’agglomération ACCM, le syndicat de gestion des digues du Rhône et de la mer (Symadrem), le Parc naturel régional de Camargue et l’établissement public du Pays d’Arles (PETR). Depuis 2012, pour éviter les doublons, le service informatique et télécom de la ville d’Arles met du temps de travail à disposition de l’ACCM et établit une facture autour de 215 000 euros par an. « Dans un souci de rationalisation des coûts et d’homogénéisation des moyens. Cela a permis en effet de réaliser des économies de masse salariale », rappelle une note de synthèse de mars 2021. Sans appui de la Ville d’Arles et son service, les partenaires devront-ils se trouver leur propre solution, quitte à demander un devis à Microsoft ?

En sous-effectifs
Le service informatique fait également face à un dégraissage de ses effectifs, mené dans le cadre de la réorganisation des services, chère à Patrick de Carolis. Comme un symbole, le développeur émérite François Raynaud part bientôt à la retraite. Depuis plus d’un an, il était seul à assurer les affaires courantes et la maintenance des logiciels maisons en open source utilisés par la mairie.

« Sur deux postes [deux derniers départ en retraite non remplacés pour l’heure], l’un va être pourvu, nous y travaillons actuellement », promettait Paule Birot-Valon, l’élue au personnel municipal, en comité technique devant les représentants du personnel le 27 septembre dernier. Début février, toujours rien. Le 14 octobre 2021, l’équipe du service manifestait sur le parvis de l’hôtel de ville en compagnie d’une centaine d’autres agents de la Ville à l’appel de la CGT. Le maintien de postes et la création de ceux qu’ils jugent manquants trônent au centre de leurs revendications. Dans l’organigramme présenté en comité technique par les élus et la direction générale quelques jours plus tôt, 19 postes sont renseignés pour prendre en charge toutes les missions : s’occuper du parc informatique, du réseau interne, des 39 écoles, du site internet… Mais déjà, ils ne sont plus que 17. Et la municipalité ne veut pas pourvoir les postes vacants, ni même remplacer tous les départs.

Depuis l’installation de la nouvelle majorité à l’été 2020, elle a même bloqué le recrutement en cours d’un technicien réseau. Pourtant, les deux techniciens en poste actuellement « sont déjà sous l’eau », décrit Maria Nogueira, déléguée CGT à la mairie d’Arles. Ils sont dépassés pour assurer la maintenance des 150 répartiteurs qui connectent les bâtiments au réseau de la Ville et à internet, ainsi que des centaines de téléphones mobiles des agents. Les grévistes ont cédé après neuf jours de conflit. « Nous avons suspendu la grève parce que nous avions la certitude qu’ils ne bougeraient pas sur le nombre de postes », dit la syndicaliste.

Toujours moins pour les services
Depuis fin février, le service fonctionne avec seulement 15 fonctionnaires. Ce qui en fait deux en moins. Le premier va traverser le Rhône pour travailler pour une autre collectivité et François Raynaud, futur retraité, n’est plus là que rarement, en dehors de ses congés qu’il lui reste à épuiser. Le maire avait annoncé la couleur et la méthode lors du vote de son premier budget. Il allait soutenir sa politique d’investissement « historique », « en étant rigoureux dans la gestion des services municipaux. Chaque euro dépensé devra être mûrement réfléchi et pesé », exposait-il dans une vidéo d’explication du budget postée le 21 février 2021. Sauf qu’entre les paroles et les actes, il y a contradiction (lire p.12) et les agents crient à l’injustice.

Avec un tel sous-effectif, impossible d’assurer toutes les missions, assurent les agents interrogés qui l’ont crié à la direction générale et aux élus avant de se mettre en grève. Il faut réduire la voilure répond la direction générale. « Il y a une nouvelle municipalité, et donc de nouvelles orientations, de nouveaux objectifs. Le but est de réorienter certaines missions, pas d’en rajouter », a tenté de désamorcer la directrice générale des services dans « La Provence du 11 octobre. On travaille à définir le périmètre d’intervention répondant aux objectifs de la municipalité », appuyait-elle juste avant la grève. Il faut « réguler et prioriser. Supprimer certaines des missions exercées. Il s’agit d’une commande politique que les agents de la DSIT doivent partager », assume la directrice générale des services dans un écrit à destination du service. « Cette organisation n’est pas définie comme un projet de service, mais comme un moyen de réduire la masse salariale avec des missions de plus en plus importantes et de moins en moins de moyens », dénonce la CGT.

Des missions abandonnées
Il faut réduire la voilure répond en somme la municipalité à son service. Et tant pis si des propres projets de la majorité sont abandonnés. À l’image du « socle numérique de base pour les classes non équipées (vidéoprojecteur, ordinateur) ». Une délibération votée en mars 2021 annonce une réalisation « sur les années 2021, 2022 ». L’investissement de la ville doit être de 111 872,35 euros, avec une prise en charge par l’État des 70 % restant de la facture. Le hic, c’est que les agents se disent incapables de prendre en charge cette mission supplémentaire d’installation de nouveau matériel dans les écoles. Le responsable du service informatique l’a indiqué lui-même à sa hiérarchie, dans une lettre de mission qu’elle lui a demandée. Pour le « schéma directeur du service », la direction demande au chef de service de reformuler le cadrage. Désormais, le document n’évoque pas un « arrêt » du plan numérique des écoles mais des « arbitrages à venir » ou des « phasages opérationnels ». « Ils se satisfont des mots, mais ils ne répondent jamais à une problématique réelle », regrette un agent du service.

Au-delà de la réduction des moyens, la méthode de dialogue est pointée du doigt. Lors de la mobilisation du mois d’octobre, Mandy Graillon et Jean-Michel Jalabert ont rendu visite au service sans inviter la représentante du personnel. Une présence pourtant nécessaire dans un contexte de grève. « De l’amateurisme, ponctue Maria Nogueira, ce sont des gens qui ne connaissent pas la réalité de notre collectivité. Parce qu’ils ont le pouvoir de décision, ils pensent ne pas avoir besoin d’écouter », regrette la représentante de la CGT des territoriaux arlésiens.

« Contenir les dépenses, c’est aussi s’assurer de la mobilisation du personnel dans un pacte de confiance gagnant-gagnant », déclarait Patrick de Carolis dans sa vidéo d’explication du budget en février 2021. « C’est que de la com », souffle la représentante CGT. « Des agents, des cadres sont déjà partis, d’autres sont en recherche active d’emploi ou passent déjà des entretiens dans d’autres collectivités, s’écrie un tract des agents du service informatique rédigé à plusieurs mains. Une insécurité professionnelle avec une démotivation générale s’est installée, cela ne préfigure rien de bon pour notre collectivité et pour le service rendu aux Arlésiens », proclame-t-il. Signe que le réseau est brouillé entre la municipalité et ses agents.

Eric Besatti 

  1. Entre 42 336 pour la suite basique et 170 352 euros pour la « toute option sécurisée » selon les prix affichés sur le site de Microsoft en comptant 700 postes de travail à la ville d’Arles.
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l’Arlésienne n°17 – automne 2023