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Agriculture : une propriété de Cornille transformée en incinérateur à ciel ouvert

Agriculture : une propriété de Cornille transformée en incinérateur à ciel ouvert

Pendant près d’une semaine, d’énormes tas de plastiques ont brûlé sur les terres du Grand Mas du Roy, un domaine dont Didier Cornille a récemment fait l’acquisition. L’inquiétude quant aux conséquences environnementales et sanitaires a poussé plusieurs personnes à signaler ces feux aux autorités. Les gendarmes et l’équipe municipale de gardes-champêtres se sont déplacés en début de semaine dernière. Une enquête est en cours.  

 

Une colonne de fumée noire s’élève dans la plaine camarguaise, entre Trinquetaille et Saint-Gilles. Une tractopelle fait des allers-retours, alimentant un feu. Plus loin, d’autres feux sont en train de brûler, entre les longues allées de cyprès. Des amas de plastiques, plus ou moins recouverts de branchages, sont à différents stades de combustion.

 

Il est difficile d’évaluer la quantité de déchets agricoles en train de se consumer sur la propriété du Grand Mas du Roy, mais elle semble colossale. D’après différents témoignages et nos propres observations, les feux auraient duré a minima du 30 janvier au 5 février. Le domaine appartient depuis peu à Didier Cornille, qui possédait déjà plusieurs exploitations dans cette zone, dont le mas de la Trésorière, le mas de l’Espérance ou encore le mas de Rey qui appartient à sa fille. Didier Cornille est une figure emblématique de l’agrobusiness en Provence. Il détient de multiples exploitations, qui représentent 2800 hectares de terres agricoles disséminées entre les Bouches-du-Rhône et le Gard. Administrateur, gérant, directeur général, président, associé : sur societe.com, son nom est associé à 29 entreprises différentes.

“Vu la quantité, il a dû acheminer les déchets plastiques de l’ensemble de ses exploitations” suppose l’un des témoins.

Le plastique en question semble principalement être composé de films de paillage, fréquemment utilisés en maraîchage, en particulier pour les cultures du melon ou des salades, spécialités de Didier Cornille. “Vu la quantité, il a dû acheminer les déchets plastiques de l’ensemble de ses exploitations” suppose l’un des témoins.

Une pratique illégale, au vu et au su de tous 

Après plusieurs signalements, et plusieurs jours de brûlage, la gendarmerie s’est déplacée, le 5 février. Les officiers ont pu constater la présence de bâches de plastique, en plus des déchets verts, dans les amas en train de brûler. Le lendemain, les deux gardes-champêtres municipaux se sont également rendus sur place, en vue d’établir un procès-verbal. Ces agents sont habilités à constater les infractions au code de l’environnement. Cette équipe de gardes-champêtres est par ailleurs toute récente. Elle a été créée par la nouvelle municipalité en août 2022. Une enquête, diligentée par le parquet du tribunal de Tarascon, a été confiée à la gendarmerie d’Arles.

Le brûlage des déchets agricoles vient à l’encontre de nombreuses réglementations. L’article 84 du règlement sanitaire départemental stipule que “le brûlage à l’air libre d’ordures ménagères et autres déchets (notamment les matières plastiques) est […] interdit”. L’article Article L541-2 du code de l’environnement définit que “tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale”. Selon l’article Article L541-46 – 8 du code de l’environnement, il “est puni de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de : […] Gérer des déchets, au sens de l’article L. 541-1-1, sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques et financières de prise en charge des déchets”. Les sanctions encourues dépendent de la classification des déchets, selon qu’ils sont dangereux ou non.

“Oliviers, grenadiers, pommiers, poiriers, il a arraché tous les arbres, et, sous couvert du brûlage des souches, il a entrepris de brûler le plastique avec”

Mais le propriétaire des lieux n’a pas pour habitude de s’embarrasser du respect de la loi. Pour cultiver ses immenses exploitations, Didier Cornille emploie des travailleurs détachés de Work for All (anciennement Terra Fecundis). Et il loue à Work for all des lieux d’hébergement pour ces travailleurs, dans des conditions que l’Arlésienne avait dénoncées à l’été 2020.   Pendant l’épidémie de Covid, des foyers du virus s’étaient déclarés sur plusieurs de ces lieux, qui avaient été soumis à des arrêtés préfectoraux imposant leur fermeture. Arrêtés que Didier Cornille n’avait pas respectés. En septembre 2020, une équipe de journalistes d’Envoyé spécial avait été agressée par Didier Cornille. Il a été jugé coupable de ces faits de violences et condamné à verser 1000 euros d’amende par le tribunal de Tarascon, en février 2022.

Didier Cornille pratique le maraîchage à une échelle industrielle . Que deviennent, après récolte, les tuyaux d’irrigation et les mètres de films plastiques de paillage utilisés pour ces cultures ? Les feux de la semaine dernière semblent constituer un début de réponse.

Les déchets agricoles entrent dans la catégorie des déchets professionnels. Ils ne sont pas pris en charge par la communauté d’agglomération Arles Crau Camargue Montagnette (ACCM), en charge des déchets ménagers. Ces dernières années, des filières de recyclage des différents plastiques agricoles se sont développées, notamment à travers l’organisation Adivalor (Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles). Dans le pays d’Arles, différents points de collectes existent. L’entreprise Perret, route de saint Gilles, est l’une d’entre elles. Elle se situe d’ailleurs à quelques centaines de mètres des brûlages que nous avons pu observer. Alors pourquoi certains agriculteurs continuent-ils d’enfreindre la loi, en dépit de la pollution engendrée? Pour des raisons économiques ? Pour les films de maraîchage, le tarif de recyclage est d’environ 150€ la tonne.

70 hectares de verger bio saccagés

Avant d’être racheté par Didier Cornille, le domaine sur lequel a eu lieu le brûlage du plastique était un verger bio de 70 hectares. “Oliviers, grenadiers, pommiers, poiriers, il a arraché tous les arbres, et, sous couvert du brûlage des souches, il a entrepris de brûler le plastique avec” dénonce notre interlocuteur, qui souhaite rester anonyme. Il est l’une des personnes ayant lancé l’alerte. Il déplore les multiples impacts de ces brûlages, tant sanitaires qu’environnementaux et s’inquiète de la pollution de l’air aux particules fines et de la pollution de sols engendrés par ces feux. Le dernier rapport d’évaluation de la qualité de l’air et de l’exposition des populations à la pollution atmosphérique du PETR (Pôle d’équilibre territorial et rural) a mis en évidence que « les combustions des chauffages au bois (secteur résidentiel) et les brûlages de végétaux sont des sources, sur le territoire, susceptibles de dégrader régulièrement la qualité de l’air. » Qu’en est-il du brûlage de tonnes de plastiques, fort probablement traitées aux pesticides ? Quels sont les effets sur la santé de la population qui y est exposée ? Sur l’écosystème, qui, ici, est classé Natura 2000 et appartient au parc naturel régional de Camargue ?

Les différents témoins s’inquiètent de la tolérance accordée par les autorités à ce type d’infractions. “On avait observé des feux de même nature en 2021, les autorités n’avaient pas donné de suite à nos signalements” relate une membre du Codetras, (Collectif de défense des travailleur.euse.s étranger.ère.s dans l’agriculture).

Même son de cloche du côté des défenseurs de l’environnement. “On a travaillé dessus avec Nacicca (Nature et citoyenneté Crau Camargue Alpilles) en 2018” relate Cyril Girard, membre de Nacicca et élu de l’opposition avec Changeons d’Avenir. “Y a eu des dépôts de plaintes pour des brûlages de ce type, mais ce n’est généralement pas une priorité des parquets. C’est une pratique assez classique chez certains. Avec le même profil, de gros exploitants, qui faisaient principalement du riz mais qui depuis 10-15 ans, se sont mis à faire davantage de melon et de tomates, quand le cours du riz a baissé. Et ça génère beaucoup plus de déchets plastiques. Ces déchets plastiques issus de l’agriculture ont un statut particulier. Ils sont traités aux pesticides, aux herbicides. Il y a d’excellentes raisons de ne pas les brûler”.  Un autre témoin voit dans les brûlages de la semaine dernière “un épiphénomène, révélateur de tout un système, qui s’octroie tous les droits et dont rien ne doit entraver la croissance économique”.

 

Clémentine Morot-Sir

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