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Ça tâtonne entre Luma et le biotope local

Ça tâtonne entre Luma et le biotope local

Acteur culturel ? Agence d’urbanisme ? Commerçant ? Un peu tout ça à la fois. L’envergure du projet de la Fondation la pousse à intervenir dans nombreux domaines de la vie publique.

Boulevard des Lices, début de soirée. Les trois compères testent les sièges et le prix de la pinte du Malarte fraîchement ré-ouvert. A la moitié du premier verre, le plus foufou se lance : « Beh, c’est pas mal depuis que Maja Hoffmann a racheté ! » Sûr de son fait, informé par des personnes qui  »savent ». Pourtant c’est faux. Dans le village arlésien, Maja Hoffmann est devenue un personnage mystique, une entité à qui l’on attribue tous les pouvoirs. Avant elle, c’était Jean-Paul Capitani ou Jean-Luc Rabanel. Arles crée des légendes ou des victimes expiatoires. Que ce soit grâce à, à cause de, ou avec, aujourd’hui, la réponse est toujours : Maja Hoffmann.

On met du Maja à toutes les sauces. Pendant plus d’un mois, Alain Leal, restaurateur de la rue des Thermes, était posté devant la mairie. Il faisait la grève de la faim pour protester contre l’interdiction de sa terrasse. Selon le restaurateur, la mairie lui refuse cet espace afin de laisser place à la circulation des voitures entre les hôtels de Maja Hoffmann. Encore elle ! Le 19 mai, dans le bureau du maire, Alain Leal accusait l’élu de veiller à « des intérêts privés », provoquant ires et quolibets de la part de l’édile. « Ça n’a rien à voir, mais alors rien à voir avec Maja Hoffmann », affirme Patrick Chauvin, le premier adjoint de la Ville, qui « s’est désengagé du dossier » après avoir essayé de régler la situation. Le blocage de la terrasse vient d’un « choix du maire » qui évoque des questions de sécurité et de passage des pompiers. Pourtant cette question se pose de la même manière pour la rue des Porcelets par exemple, qui elle, garde ses terrasses. En définitive, chaque imprécision des élus ou manque de communication, nuit au bout du compte à la perception du projet du couple Luma-Mairie.

Maja Hoffmann et Hervé Schiavetti lors de la pose de la première pierre de la Tour, le 5 avril 2014 / Pauline Pidoux

La mairie main dans la main avec Luma

Parce que c’est un fait et c’est logique, depuis le début du projet, la mairie et l’écosystème Maja Hoffmann travaillent ensemble. Comme cet hiver, où les pouvoirs publics ont engagé des travaux sur la place du Forum pour accompagner la restauration de l’hôtel d’Arlatan1, propriété de la Suissesse depuis 2014. Pour la rénovation du lieu et le nouveau standing de l’établissement, ses équipes demandent un nouveau raccordement à un transformateur EDF et à la fibre optique, des lignes qui traversent la place du Forum. Six mois auparavant, la Ville avait découvert des fuites graves de canalisations sous cette même place. Des écoulements atteignaient les Cryptoportiques et les caves du voisinage. Pour la Mairie, un nouvel investissement à prévoir sur la longue liste des urgences à traiter. Alors, la Ville et l’initiative privée ont trouvé un terrain d’entente pour faire coup double et ouvrir les chaussées en même temps. « La Ville n’avait pas besoin d’un tel équipement, mais Maja Hoffmann a dit :  »si l’équipement entraîne un surcoût, je suis tout à fait d’accord pour participer à l’aménagement  ». Ils font toujours ça. On a accepté parce que tout le monde en bénéficie », explique Hervé Schiavetti pour la Ville qui a investi 30 000 € pour installer la fibre. L’agglomération arlésienne (ACCM), elle, responsable des réseaux, a décidé d’engager rapidement 660 000 € de travaux pour régler les problèmes de fuites et rénover entièrement les réseaux vétustes. De toute façon, il fallait le faire. Une somme priorisée et intégrée sur le budget des travaux annuels de la collectivité. Quant aux équipes de Maja, elles ont rebouché leurs travaux en refaisant le bitume sur toute la largeur de la chaussée au lieu d’une simple tranchée sur la longueur des travaux de raccordement électrique à l’Hôtel.

Quand l’écosystème Maja contribue à guider l’action l’action publique… « Comme d’autres acteurs privés avec qui l’on travaille » relativise un cadre de la Mairie, énumérant les engagements publics pour accompagner les nouvelles implantations, notamment celle du l’Hôtel Jules César il y a plusieurs années.

Pour les travaux de l'Hôtel d'Arlatan de Maja Hoffmann, la Ville et la Fondation ont travaillé ensemble

Pour les travaux de l’Hôtel d’Arlatan de Maja Hoffmann, la Ville et la Fondation ont travaillé ensemble / Marie-Océane Dubois

Si les pouvoirs publics sont à l’écoute des besoins, c’est que la réussite de l’implantation de Maja Hoffmann est importantissime pour le territoire. « Si j’avais dit  »non » ou  »allez voir untel ou untel », ça ne pouvait pas fonctionner », sait le maire qui connaît bien le fonctionnement de la famille suisse depuis le père, Luc Hoffmann, et son action pour la biodiversité camarguaise avec la Tour du Valat. « Leur condition d’intervention est que les gens avec qui ils travaillent prouvent qu’ils sont aussi intéressés par le projet. »

Des doutes, des craintes, de l’imprévisible

Par le passé, Maja a failli se décourager devant les tracasseries administratives, notamment avant le dépôt du permis de construire de la Tour Gehry. Et le maire connaît trop bien l’enjeu. La Fondation souffle dans les poumons d’Arles comme personne. Rien que l’investissement de la Tour, 150 millions d’euros au bas mot, représente 15 ans du budget investissement de la ville. « Notre devoir, c’est de faire en sorte que le projet puisse aboutir et on s’adaptera à toutes les demandes », se positionne le maire. Et c’est certainement la seule posture possible. Maja Hoffmann et la Ville sont dans le même bateau et personne n’a le droit de tomber à l’eau. Encore faut-il trouver le bon équilibre pour que l’embarcation ne tangue pas trop. Que l’enjeu ne tétanise pas le plus faible matelot, que la Ville ne réponde pas uniquement à l’agenda du projet de la milliardaire.

« Malheureusement, on travaille dans l’urgence », regrettait Cyril Juglaret élu d’opposition (LR) en ciblant la municipalité Schiavetti lors du conseil du 23 novembre 2016. Ce jour-là, la Ville acte la vente d’un terrain à la SCI Ateliers d’Arles, structure juridique pour le foncier et l’immobilier de la Fondation aux Ateliers. 11 000 m² pour construire un parking d’ici 2018, à temps pour l’ouverture de la Tour. Sauf que l’espace encore vierge de construction, à deux pas des Ateliers, est une zone qui attend une expression de la volonté publique. David Grzyb, élu à l’urbanisme et libre penseur dans la majorité, regrette que la Fondation « intervienne sans que nous ayons préalablement défini une stratégie globale pour la valorisation de l’ensemble des neuf hectares de la zone des Minimes ». Le maire encaisse sans sourciller et sort la carte de la complexité d’intervention publique. Dans un premier temps, la mairie a reçu des propositions pour l’implantation d’un cinéma multiplex. Sauf qu’Actes Sud, propriétaire d’une halle dans les Ateliers souhaitait également investir dans des salles de projection. « Dès lors que l’on aura une proposition qui sera commune à l’ensemble des partenaires privés et publics, nous aurons la possibilité de finaliser les derniers échanges », explique Hervé Schiavetti. Et nul doute que la Fondation aura son mot à dire dans le développement des zones voisines. Nous y sommes, les aménagements concrets cristallisent les rapports de force.

Les espaces, marqueurs du rapport de force

Pour les Ateliers, le débat est réglé depuis 2013 quand la Région a vendu la quasi totalité des bâtiments à la Fondation. François Hébel, l’ancien directeur des Rencontres, portait un projet d’usage de certains espaces. Mais par manque de soutien de la force publique, il a décidé de démissionner. Même la Grande Halle, rénovée sur fonds publics a été déléguée par bail emphytéotique à la Fondation. Un grand soulagement pour la collectivité qui se demandait comment en assurer les frais de fonctionnement. Résultat, cet été, pour la première fois, le bâtiment rénové sur fonds publics, présentera une exposition de la Fondation Luma en lieu et place de celles des Rencontres de la photo. « Je pourrais en faire un symbole et prendre le drapeau rouge et noir », ironise Sam Stourdzé, actuel directeur des Rencontres. Celui-ci joue la diplomatie pour les dossiers partagés avec la Fondation : espaces, billetterie commune… Il s’adapte aux changements tardifs qui « rendent les choses parfois un peu compliquées. Je comprends qu’ils donnent la priorité à leur agenda, conçoit-il, on est là pour les aider, pas pour les enfoncer. Ils apprennent un nouveau métier, être un acteur culturel dans cette ville à travers un lieu qui va être gigantissime, c’est normal qu’il y ait des tâtonnements. » Cette année, dans les Ateliers, les Rencontres bénéficient de l’Atelier des Forges et de la Mécanique, des locaux fraîchement rénovés par la Luma. « On leur a donné les meilleurs locaux aux normes internationales pour exposer des photos du centre Pompidou. Désormais, ils peuvent se repositionner sur des expos qu’ils ne pouvaient pas obtenir avant », explique en grand seigneur Mustapha Bouhayati, directeur exécutif de la Fondation Luma. « On arrive toujours à trouver des solutions », objective le directeur des Rencontres. « Le jour où on n’arrivera pas à avoir les conditions nécessaires, on continuera à Arles et là où on voudra bien nous accueillir », annonce t-il en énumérant les partenariats déjà ouverts avec Marseille, Nîmes, Avignon et Toulon.

Grande Halle - Ateliers SNCF

La question des espaces d’exposition au sein des Ateliers, ici la Grande Halle anime les discussions entre la Fondation et les Rencontres de la photo / Eric Besatti

Autre acteur culturel en relation directe avec la Luma, les éditions Actes Sud. Ils sont les seuls à détenir un bâtiment hors Fondation dans les Ateliers. Jean-Paul Capitani fait évoluer le projet qu’il imagine au gré des échanges avec « Maja. On comptait mettre des salles de cinéma dans nos espaces », mais elles s’installeront dans la Tour Gehry. Dans l’expectative, il s’interroge : « Peut-être va-t-elle faire quelque chose dans nos halles ? On va essayer de redistribuer les billes. Moi, j’ai aussi besoin d’un lieu ». Néanmoins, la vision de fond unit les parties. « On est tous solidaires avec la même ambition : celle de développer cette ville intelligemment. Sur une ville comme Arles on ne peut pas faire les choses les uns contre les autres, ça ne rime à rien », reprend le co-fondateur d’Actes Sud. C’est qu’il faut s’accrocher pour suivre le projet de la Fondation. Il se définit en avançant. C’est là peut-être le génie de la démarche et sa principale difficulté. A Arles, l’avenir joue à l’équilibriste.

Eric Besatti

1.SCI du quartier du Sambuc, propriétaire notamment de l’Hotel d’Arlatan, géré par Sanjiv Gomez, le directeur financier et un des responsables de l’activité Accueil/Hospitality de la Fondation.

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l’Arlésienne n°17 – automne 2023