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Fermeture des marchés : « Inégalité avec la grande distribution »

Fermeture des marchés : « Inégalité avec la grande distribution »

A la suite du décret interdisant les marchés, soit 8000 points de vente en France, la réaction de la principale organisation du commerce ambulant ne s’est pas fait attendre. « La diversité des points de ravitaillement pour éviter toute accumulation de consommateurs propice à la propagation du virus doit être la priorité absolue de tous nos maires », peut-on lire dans le communiqué de la Fédération nationale des marchés de France. Sa secrétaire générale, Nadine Villier, nous livre son sentiment d’injustice face à la grande distribution qui reste ouverte sans que la situation sanitaire soit différente.

[Mise à jour] Jeudi 26 mars, la Fédération a saisi le conseil d’Etat pour faire annuler l’interdiction des marchés. Il devrait se prononcer la semaine prochaine.

[Mise à jour] Vendredi 27 mars, un protocole sanitaire validé par le gouvernement avec toute la filière alimentation, il statue sur les bonnes pratiques à respecter pour permettre les dérogations d’ouverture de marché.

Dans votre communiqué, vous évoquez l’avis de médecins qui « estiment aujourd’hui que le maintien des marchés en extérieur est essentiel car il y a moins de risque de contamination que dans les autres formes de commerce ». Pourquoi ?
Quelques médecins sont venus vers nous spontanément. Dans la mesure où les conditions sanitaires étaient respectées, ils nous ont confirmé que les marchés étaient une meilleure opportunité plutôt que d’envoyer toute la population se confiner dans un seul endroit. Il vaut mieux plusieurs petits points de vente qu’un seul. Dans la mesure où si ces grands lieux de consommation sont contaminés, un nombre important de personnes seront directement touchées.

Pourquoi n’entend-on pas ces médecins ? Pourquoi ne pas leur avoir demandé de prendre la parole publiquement ?
Ça détonne tellement de la rumeur ambiante que nous ne voulons pas les mettre en difficulté, ils ont déjà d’autres soucis et sont bien occupés. Le décret a été publié ce mardi 24 mars, nous allons voir la réaction que nous allons adopter, mais nous allons réagir.

Est-ce-que vous avez été consulté par le gouvernement avant la prise de décision ?
Nous sommes consultés tous les jours, puisque nous participons au point quotidien, la conférence téléphonique inter-ministèrielle pour la lutte contre la propagation de l’épidémie avec toute la filière alimentaire. Nous sommes consultés au même titre qu’Auchan, Carrefour, etc. Je constate les résultats : nous n’avons pas la même écoute.

C’est-à-dire ?
C’est une inégalité de traitement. D’un côté une loi dit que les activités nécessaires au fonctionnement de la nation sont autorisées et de l’autre un décret qui interdit les marchés couverts ou non. Sauf si les préfets les autorisent. On marche sur la tête.

Avez-vous eu une justification scientifique et médicale de la part du gouvernement pour justifier l’arrêt des marchés ?
Non, aucune. Aucune étude scientifique n’a été menée pour prouver que les halles et marchés de plein air qui respectent les mesures sanitaires strictes sont plus contaminants que la grande distribution. C’est ce que nous demandons, une étude qui compare les conditions sanitaires. Nous avons des arguments évidents comme le fait qu’au marché on arrive avec notre sac et il y a moins de confinement, d’emballages et de manipulation de plusieurs personnes des produits. Actuellement, il n’y a pas d’autres justifications que l’émotion suscitée par des images de journalistes, rien de scientifique et de sérieux.

Edouard Philippe a justifié cette décision sur TF1 en parlant de « nos concitoyens […] frappés de voir des gens qui sortent sur un marché et qui se massent parfois sans respecter les consignes de sécurité. » Donc des images qui n’ont pas joué en faveur de la tenue des marchés.
Ce qui nous a fait grand tort, ce sont les reportages télévisés sur les marchés parisiens, notamment sur le marché de Barbès. Ces reportages et photos réalisés le dimanche 15 mars, avant le confinement, tournent en boucle sur Facebook. Par contre, les reportages des files d’attentes dans les supermarchés sans aucun respect des distances, ils disparaissent très rapidement. Les gens accusent les marchés mais ne font jamais la comparaison avec les grandes surfaces. Si des marchés avaient des problèmes il fallait les cibler et les améliorer. Tout se passait très bien dans 95% des marchés de France, nous avons été sérieux. Je ne comprends pas cette décision.

L’article 8 du décret qui concerne l’interdiction des marchés renvoie les dérogations aux conditions de l’article 7, c’est-à-dire qu’aucun rassemblement ne doit excéder 100 personnes. Il existe des marchés de moins de 100 personnes ?
Oui, avec les dispositions qu’on a mises en place : on a agrandi les périmètres des marchés, on a diminué le nombre de commerçants… Ce qui fait que vous n’avez jamais plus de 100 personnes qui sont sur un même lieu en même temps. Pour respecter la distanciation, on a matérialisé les distances avec du scotch, avec de la bombe, on a fait des sens de circulation, utilisé des barrières, on a matérialisé au sol les espacements obligatoires dans les files d’attente ou dans les circulations. Voilà, qu’est-ce qu’on peut faire de plus ? Dans la grande distribution, ils n’ont pas fait ça.

La jauge de 100 personnes ne s’applique pas à la grande distribution ?
Vous avez des grandes surfaces, elles ont déjà 60 à 80 employés, donc comment voulez-vous qu’elles respectent la jauge ? C’est juste pas possible, alors pourquoi eux, peuvent ne pas respecter la règle et nous, on est obligés de fermer ? On est d’accord pour les mesures de sécurité, on n’est pas des inconscients, nous mettons en place la distanciation et les gestes barrières. On ne veut pas que nos commerçants tombent malades, ni leurs familles, ni leurs salariés et on ne veut surtout pas que nos clients soient malades. C’est pour ça qu’on tenait à rester ouverts, pour permettre à nos clients d’avoir un autre choix de consommation que la grande distribution, leur permettre de consommer ailleurs que dans un lieu confiné. Est-ce-que vous avez vu des employés désinfecter les caddies ? La caissière désinfecter la machine à carte bleue ? La caissière désinfecter la monnaie qu’elle vous rend ? Nous, nous l’avons fait avec les pièces dans des bacs désaffectants comme à Sainte-Foy-la-Grande samedi dernier. Avec les consignes appliquées, sur le plan sanitaire, nous sommes identiques voire supérieurs à la grande distribution.

Sur les réseaux sociaux, certains accusent les clients du marché d’insouciance, de prise d’un certain plaisir qui n’est pas compatible avec un Etat « en guerre » contre une maladie.
La vraie question, ce n’est pas de trouver du plaisir ou pas, la question c’est de respecter les consignes sanitaires, après quand on respecte les consignes sanitaires avec le sourire, c’est quand même plus agréable que quand on les respecte en faisant la tête comme souvent dans les rayons des supermarchés. Je trouve que c’est inacceptable, ça veut dire qu’on nie un choix de consommation de nos concitoyens, les gens font un choix quand ils viennent au marché. Et il doit être respecté.

Allez-vous réussir à maintenir des marchés ?
On a certains maires qui ont dit : « Moi, je maintiens. » Donc ils se sont rapprochés de notre fédération et ils sont en train de retracer les places, voire de déplacer les marchés sur des endroits pour avoir encore plus d’espace et surtout pour mieux contrôler l’afflux de clients. A Vannes par exemple, ils ont déplacé le marché en dehors des remparts pour mettre en place une entrée et une sortie, comme les trois quarts des halles en France ont fait. Et ces halles aujourd’hui, avec ce décret, elles sont fermées, c’est totalement incompréhensible. Sans parler de l’impact sur les producteurs qui se retrouvent avec des marchandises qu’ils vont jeter à la poubelle. Nous avons essayé de mettre en place des nouveaux réseaux de distribution par téléphone, mais c’est long et compliqué. Mais surtout, nous n’avons pas eu le temps de prévenir notre clientèle.

Avez-vous eu l’impression d’un manque d’écoute de la part du gouvernement ?
Je dirais un manque de discernement.

A quoi est-il dû ?
Je vais répondre par une autre question : à qui profite le crime ?

Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie appelle la grande distribution pour qu’elle achète la production alimentaire française, c’est une solution pour remplacer l’utilité des marchés ?
Pourquoi les producteurs et notamment les petits font de la vente directe sur les marchés ? Parce qu’ils peuvent réduire le nombre d’intermédiaires et garder une marge qui leur permette de vivre. Sinon ils ne peuvent pas proposer leurs produits face à la concurrence d’importation présente dans les grandes surfaces. Ils ne seraient pas compétitifs. Avec les marchés, c’est tout un système de création de valeurs différent qu’on interdit.

Propos recueillis par Eric Besatti et retranscrits avec Marie-Océane Dubois.

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