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D’où vient l’argent ?

D’où vient l’argent ?

Le robinet Hoffmann est ouvert, des millions sont déversés pour Arles et la Fondation. Avant de se jeter dans une Tour de 56 mètres et des projets culturo-designo-innovants, l’argent prend sa source en Suisse, dans la jolie ville de Bâle, au pied de l’immeuble des laboratoires Hoffmann-La Roche. Remontons ce filet d’or, entre business et histoires de famille…

D’où vient l’argent ? A cette question, il y a une première réponse purement financière. La facture des projets de Maja Hoffman se règle avec les dividendes touchés sur les bénéfices du laboratoire pharmaceutique suisse Hoffmann-La Roche. C’est l’une des héritières du fondateur de ce leader mondial, entre autres, des traitements contre le cancer. Les laboratoires Hoffmann-La Roche (ce nom viendra un peu plus tard) sont nés en 1894 sous l’impulsion de Fritz Hoffmann, à Bâle. Le jeune homme est issu d’une famille de commerçants aisés, dans une ville alors en pleine effervescence industrielle. Quatre ans après ses débuts, la firme pharmaceutique sort son premier bestseller. Un sirop pour la toux, le Sirolin. Il est jugé aujourd’hui comme peu efficace mais le génie de Fritz Hoffmann réside dans le marketing. Le sirop se vend comme des petits pains. L’entrepreneur lance ainsi la grande saga industrielle familiale et se marie à Adèle La Roche. Un nom qui viendra donc compléter celui du fameux labo.

Près de 120 ans plus tard, la multinationale Hoffmann-La Roche génère plus de huit milliards d’euros de bénéfices par an. Maja Hoffmann – « membre de la quatrième génération », soulignait son frère André à un journal suisse – détient des parts, comme tous les héritiers.

 

Maja Hoffmann, la 452e fortune mondiale

Selon le Bloomberg Billionaires Index, Maja Hoffmann est la 452e fortune mondiale. Le classement du site d’info américain s’arrête à 500. Juste devant Maja, à la 451e place, se trouve Vera, sa sœur, dont la maison jouxte la sous-préfecture arlésienne. Son frère André, vice-président de la multinationale, est 444e. Selon Bloomberg, la fortune de Maja Hoffmann s’élèverait à 3 768 000 000 d’euros. 3,7 milliards d’euros. Elle détiendrait 1,5 % des parts du géant du médicament. Cela paraît peu, mais il faut considérer l’échelle. Si tous les bénéfices étaient reversés en dividendes, 1,5 % des bénéfices de 2015, ça donnerait 120 millions d’euros, presque le prix d’une Tour Gehry. Un calcul approximatif….

 

La culture du secret

Quand on parle d’argent, il faut garder à l’esprit « la culture suisse », explique Luc Debraine, journaliste basé à Lausanne. « Une autre qualité ou un autre défaut suisse, c’est la discrétion, poursuit-il dans un sourire. C’est une mentalité un peu calviniste, protestante. On ne la ramène pas, en quelque sorte. Et ça, c’est un vrai décalage culturel. » Une culture de la discrétion donc, voire de l’opacité.

Pour gérer leur argent, les Hoffmann ont créé leur banque privée, la Scobag Privatbank AG. Cela s’appelle une family office, les Rockfeller en avait une aussi.

Un manque de transparence qu’on retrouve dans le groupe pharmaceutique Roche. Difficile de connaître réellement ce que chacun des héritiers en possède. Depuis 1948, les membres de la famille ont conclu un pacte pour garder le contrôle du navire. Il soude à la tête du laboratoire les deux familles issues de la descendance de Fritz Hoffmann, les Hoffmann et les Oeri. Cette union entre frères, sœurs et cousins, s’est effritée il y a quelques années, sans qu’aucune raison ne filtre, avec le départ du pacte en 2011 de l’une des cousines de Maja Hoffmann, une Oeri.

Et l’opacité se densifie si l’on ajoute à cet accord familial les parts supplémentaires que détiendrait chacun des membres des deux familles, via des actions anonymes dites « au porteur ». Selon le magazine économique suisse Le Bilan, « Les Hoffmann-Oeri détiennent ensemble 9,3 % du capital et 45,01 % des droits de vote. »

« La famille évite les projecteurs », avait déclaré Martin Voegtli au site d’information financier américain Newsmax en 2013. Cet analyste, basé à Zurich, travaille chez Kepler Capital Markets SA. Il est régulièrement cité quand il s’agit de parler du fonctionnement d’Hoffmann- La Roche. Et il ajoute, « sur le plan opérationnel, leur participation est limitée ». Maja Hoffmann et sa sœur Véra semblent regarder à (très grande) distance les orientations de l’entreprise mère. « Sans pour autant s’en désintéresser totalement », précise Luc Debraine, notre confrère suisse : « Les trois (Maja, Vera et André, ndlr) sont au conseil d’administration de Roche. Et ils sont assez conscients de ses enjeux financiers. »

 

Roche, une multinationale comme les autres

Maja Hoffmann peut-elle être associée aux choix – voire aux scandales – qui touchent la multinationale ? Non. Mais elle est actionnaire, dispose d’un droit de vote au conseil d’administration et est héritière d’une entreprise qui a certes permis le progrès de la pharmacie durant des décennies… Mais qui a aussi participé à des pratiques illégales bien loin des idéaux affichés. En 2001, la Commission Européenne inflige à Hoffmann-La Roche une amende record, réglée depuis par l’entreprise. Une sanction de 462 millions d’euros pour « ententes illicites dans le secteur des vitamines « . C’est ce qu’explique le rapport de Mario Monti, ex-président du Conseil italien, alors Commissaire européen chargé de la concurrence.

La société Hoffmann-La Roche a organisé ces arrangements entre amis, entre laboratoires, pour s’entendre sur les prix d’une large gamme de produits vitaminiques et les vendre plus cher aux consommateurs. La firme bâloise avait été la plus fortement sanctionnée dans cette affaire, accusée d’avoir organisé ce cartel.

« La participation de certains de ses plus hauts dirigeants tend à confirmer que les arrangements relevaient d’un plan stratégique conçu dans les sphères les plus élevées pour contrôler le marché mondial des vitamines par des moyens illégaux. »
Rapport de la Commission européenne en 2001.

En 2001, Maja Hoffmann, elle, est à des milliers de kilomètres de ces considérations. « Elle était à New York », se rappelle François Hébel. L’ancien directeur des Rencontres d’Arles avait, cette année-là, rencontré la philanthrope suisse. Elle avait fait connaître son souhait de financer les Rencontres avec un Prix découverte. Alors tout nouveau patron du festival photos, François Hébel l’avait donc rejoint à New York pour en discuter. Ainsi se concrétisait le premier grand geste de Maja Hoffmann pour Arles. « Jusque-là, elle participait surtout aux différents conseils d’administration des organisations de son père, se souvient François Hébel. Je crois qu’elle s’occupait aussi de la réintroduction des chevaux de Prjevalski. »

Publicité de 1911 pour le fameux sirop contre la toux qui a lancé les laboratoires Hoffmann-La Roche.

Le mécénat dans l’ADN

Maja Hoffmann a grandi sous l’influence de sa grand-mère, Maja Sacher-Stelin. Grande collectionneuse dans les années trente, c’est avec elle que sa petite fille s’éveille à l’art contemporain. « Elle voulait me montrer ce qu’elle faisait. Je voyageais avec elle », racontait Maja Hoffmann au Point en 2008. Pour bien comprendre, il faut intégrer cette dualité : l’héritage de la finance et la transmission de l’art. Une tradition Renaissance, un devoir familial. Et la deuxième réponse à la question « d’où vient l’argent ? »

Toute la famille en est imprégnée. L’une la littérature, l’autre l’art contemporain. L’une finance le club de foot de Bâle, l’autre réintroduit des chevaux sauvages en Mongolie. La grand-mère collectionnait les Picasso, la petite fille collectionne les Warhol. Dans la famille, Maja et Vera ont choisi la culture comme pilier de leur mécénat. « Elles sont dans cette même dynamique, avec une gestion très personnelle, un petit peu de proche en proche », met en miroir Luc Debraine.

« J’ai été élevée dans l’idée que l’argent vous donne plus de devoirs que de droits. Régulièrement, mes enfants m’ont demandé pourquoi je n’aidais pas l’Afrique mais il y a déjà beaucoup d’institutions spécialisées sur ce terrain. La dispersion, comme le saupoudrage, ne sont pas efficaces. »
Vera Michalski Hoffmann, sœur de Maja, au journal suisse Le Temps en mars 2015.

Côté garçon, André Hoffmann, le frère, tient les rennes de la multinationale de la santé. Il en est le vice-président et serait à l’origine de la construction de la Tour Roche, la plus haute Tour de Suisse – ça ne s’invente pas – qui abrite les bureaux de l’entreprise à Bâle. « C’est de notoriété publique que c’était une décision d’André Hoffmann », raconte Luc Debraine. Il y voit, avec la Tour Luma à Arles et le bâtiment de la Fondation de Vera Michalski Hoffmann à Montricher en Suisse, une sorte de compétition entre frère et sœurs. « Les deux sœurs, avec qui j’en ai parlé, refusent évidemment cette interprétation. Mais il y a chez eux, une espèce de réflexe aux bâtiments sanctuaires en quelque sorte. »

 

« Il faut aussi voir d’où elles viennent « 

« C’est une famille bâloise. Et l’histoire de Bâle et du mécénat, c’est une histoire très précise. Depuis la Renaissance, depuis Erasme. Une histoire rendue possible, justement, par un mécénat pensé et durable. C’est toujours venu de l’industrie », explique Luc Debraine, le journaliste suisse. Une prise de distance historique qui donne tout son sens aux ambitions Hoffmann. « Ils s’inscrivent dans cette histoire précise de plusieurs siècles. C’est pour ça que cette histoire est intéressante. C’est une histoire de fidélité par rapport au sens même du mécénat. Chez les Hoffmann, l’argent on sait le faire fructifier et on y fait attention. On gère à la suisse. A la fois de manière très efficace et très discrète. »

 

La toile de Maja

Arles est une petite ville. Mais c’est surtout un grand village. Dans son projet, Maja Hoffmann est en train d’accélérer. Ses moyens démesurés dans une ville de cette taille font craindre des déséquilibres. Quand on fouille, on tombe parfois sur des chiffres qui donnent le tournis. Comme cette SCI domiciliée aux Nouvelles Galeries du centre-ville. Là où se sont installés les bureaux de la Fondation. La « Société Civile Immobilière ateliers d’Arles immobilier », celle qui construit la Tour, a un capital social qui dépasse les 70 millions d’euros.

A Arles, au total, ce sont une vingtaine de structures juridiques à l’actif de Maja Hoffmann. De la pierre et des terres agricoles en Camargue, deux hôtels et trois restaurants. Des établissements commerciaux pour les billetteries et ses boutiques culturelles. Ses activités agricoles dans les semences ou les produits aux céréales. Bio, bien sûr.

Dans ce domaine, tout ne réussit pas toujours. Un manadier, voisin des terres camarguaises de l’héritière suisse, s’est associé avec elle pour un élevage de troupeaux bio. Mais le manadier et Maja ne travaillaient pas de la même manière. Ils ont rapidement arrêté cette activité, c’est ce que nous a pudiquement dit le manadier. Il faut la suivre, parfois, Maja. Ses travaux « qui durent », souffle un voisin de l’hôtel d’Arlatan. Ces travaux publics qu’elle suscite place du Forum et pour lesquels elle met la main à la poche. Sa tentative de rachat manquée de l’Hôtel du Forum. La participation au Nord Pinus, dont il est impossible d’avoir la confirmation officielle.

Il y a parfois quelques surprises comme la SARL Rollier, la société qui gère les restaurants La Chassagnette, l’Ouvre Boîte et le Réfectoire qui cette année est en déficit. Assez pour déclencher, selon la législation, une procédure de mise en péril.

Le gérant, Julien Frydmann, passé de la tête de l’agence Magnum à la tête de trois restaurants, fait partie d’un trio d’hommes forts autour de Maja Hoffmann qu’on retrouve souvent à la tête des sociétés commerciales avec Mustapha Bouhayati, surtout rattaché à la fondation Luma. Et Sanjiv Gomez, récurrent à la tête des structures immobilières.

Une organisation précise au nom de la mentalité suisse, de l’efficacité, dirait notre confrère journaliste de Lausanne. Pour trouver un équilibre général répondrait le directeur de la fondation Luma. C’est certainement ça, l’enjeu. Trouver l’équilibre.

 

Paul Ferrier

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l’Arlésienne n°17 – automne 2023