Lumière sur Liberté
Tout le monde l’a déjà croisée, mais peu la connaissent ou même lui parlent. La dame au chien avec ses célèbres volets jaunes ne laisse personne indifférent. Liberté fait partie des personnages arlésiens, monument vivant de la ville, qui intrigue…
Quand on lui reproche de ne pas être dans les normes, elle rétorque « Grâce à Dieu ! ». Et en effet elle est loin d’y être, dans les normes. Simoun Liberté, comme on l’appelle, figure arlésienne, promène sa traîne dans les rues sous les regards des Arlésiens et des touristes. Tout le monde la reconnaît, mais très peu la connaissent. Elle intrigue les passants par son allure, surprend par son franc parler. Sa maison jaune annonce la couleur. Attablés avec elle, nous avons écouté sa vie, ses souvenirs, ses coups de gueule.
Comment aborder cette femme si particulière ? Nous avons pris le parti de la croire et de retranscrire ses paroles, d’appréhender cette personnalité par fragments épars, afin d’être le plus proche possible du sentiment qui nous a saisis lors de la rencontre.
Avec Liberté, ce n’est pas un monologue. Nous échangeons, nous discutons. A chaque réponse donnée, succède une nouvelle question. Après nous avoir demandé si nous étions conjoints, elle nous parle de son mari : « On m’a forcée à l’épouser quand j’avais 18 ans. Je ne l’aimais pas, bien entendu. Mais il était riche. Et ma mère trouvait que c’était un bon parti… Il a eu un cancer après, je crois. C’est bien fait pour lui, il n’avait qu’à pas m’épouser ! ». Un rire et elle enchaîne sur autre chose. Ce côté spontané dérange parfois. On ne sait pas sur quel pied danser avec elle. D’une allusion à son père décédé, elle passe à une histoire drôle (préparez votre second degré, entre l’histoire de l’homosexuel chez le boucher à celle sur les Arabes, ou le Gitan du coin). Elle aime rire de tout.
Elle a été mannequin, elle a commencé comme porte chapeau. « On me mettait toujours un truc différent et on me poussait quand il y avait un trou ». Elle a rencontré Lagerfeld et d’autres couturiers, avant de devenir rédactrice pour ELLE.
Elle nous parle aussi de ses voyages. La Russie, New York, Porto Rico, le Maroc. Quand elle évoque sa robe blanche et son sabre accroché à sa ceinture, elle nous rappelle Marguerite Duras, dans l’Amant. Elle a eu des problèmes au cours de ses voyages, bien sûr. Un chef de village aux pulsions libidineuses ou un chauffeur de taxi légèrement violent… Elle a aussi déjà fait de la prison, pour plainte contre plus grand qu’elle dans un pays où la liberté d’expression laissait à désirer. Elle a finalement été libérée rapidement, grâce à l’Ambassade de France. Il est vrai que ses relations avec les gens diffèrent énormément. Elle a rencontré des personnalités célèbres, comme Daniel Cohn Bendit en mai 68. « J’allais tous les matins à la Sorbonne, j’adorais ça. Les discussions, les échanges… » Après, Cohn Bendit a été exilé, mais elle l’a reconnu plus tard. «Danny le rouge» avait perdu ses cheveux mais gardé son sourire.
On a l’impression qu’elle s’amuse du regard des autres : elle donne des surnoms à ceux qui l’entourent et accepte ceux qui lui sont donnés. Liberté lui vient d’un Noir à Paris ; quant à Lumière, ce sont les enfants qui le lui ont attribué. Son vrai nom ne lui plaît pas, c’est le même que sa mère. Elle a plusieurs petits enfants (d’un fils caméraman et un autre réalisateur). Elle nous dit, avec une touche de provoc’, qu’elle préfère la compagnie de ses chiens à celle d’un homme, mais on comprend qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Elle nous parle de sa collection de phallus (chocolat, nougat, tasse de clown…), de son briquet recouvert d’un modèle de Chippendale, de son ancien mari (« Il était nul au pieu. ») …Elle a aussi du mal parfois à joindre les deux bouts. Elle nous a montré une facture de gaz « Vous comprenez ce qu’il y a marqué, là ? Ils pourraient pas dire : on va vous couper le gaz comme tout le monde ? » Ayant travaillé comme mannequin et changé souvent d’employeur, elle ne touche pas de retraite. Elle gagne un peu d’argent en faisant payer les photos que les touristes prennent d’elle ou de ses chiens. « Barack se couche sur le ventre, il se laisse photographier. Ils adorent ça les touristes ! Et après je tend la main et je dis “Il faut payer maintenant, c’est 2€”. La dernière fois je me suis fait 16€ comme ça. C’est pas mal non ? ». Et c’est en disant « Sarkonazy » au lieu de Sarkozy qu’elle nous sort « si il y avait des éoliennes dans la cour de l’Elysée, c’est tout Paris qui s’rait éclairé !» Ses relations avec la Mairie n’ont pas toujours était très cordiales, d’abord pour une histoire de peinture de volets non conformes puis parce qu’elle veut un centre ville piéton. Elle n’a pas la langue dans sa poche.
Les drogues, elle a essayé. Oui, après le boulot elle enfourchait sa 125 et c’était le petit pétard du soir. Et l’opium du peuple : mosquée, église, temple… En ce moment c’est le bouddhisme qu’elle préfère. C’est ainsi qu’elle se décrit et qu’elle se présente, cette femme qui intrigue. Simoun Liberty. Liberté Lumière. Reine de Sabah, Marquise… Et puis elle touche un peu à tout la dame, abonnée à Charlie Hebdo, amatrice de bandes dessinées et d’art. Elle dit en rigolant aimer tout le monde. « Je parle un peu arabe. Ils sont pas tous intégristes » Elle s’assoie et observe, se scandalise de tous ces clones habillés de la même manière qui se succèdent, de ces hordes de vieux « avec les médicaments il y en a de plus en plus », de cette populace « gaie comme des furoncles ». « Les gens ont un peu peur de moi mais j’étais trop gentille avant ». Et au final, entre gravité, je-m’en-foutisme et second degré, elle se lève le matin, ouvre ses volets jaunes, seule ou pas et respire.
Ana Ferrand & Valentin Pic
Article publié en juillet 2009 dans le gai savoir n°3 – Les dessous de la culture
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