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Episode IV : Un an après le Cipen, le repreneur développe le campus malgré une CCI mauvaise perdante

Episode IV : Un an après le Cipen, le repreneur développe le campus malgré une CCI mauvaise perdante

Un an après avoir repris le Cipen, le groupe Someform a déjà fait augmenter le nombre d’élèves et investi 200 000 euros pour des travaux sur le campus d’Arles. La justice avait préféré l’offre de Someform à l’ancien gestionnaire : la Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles. Aujourd’hui la Chambre se montre mauvaise perdante et multiplie les difficultés à l’implantation du nouvel arrivant sur le territoire

« La Chambre est à vos côtés, nous sommes des facilitateurs », adresse Stéphane Paglia, président de la CCI du Pays d’Arles (CCI PA), aux entreprises du territoire lors des vœux de la CCI le jeudi 28 janvier. « J’aurais aimé avoir le soutien de la CCI, en tant que repreneur du Cipen (Cluster d’innovation pédagogique et numérique), pour que nous agissions ensemble pour le territoire », regrette pourtant Stéphane Jégat, directeur de la Sarl Delta, la société qui a repris les offres de formation dont la CCI a provoqué le redressement judiciaire en 2019. Le dirigeant doit dépenser de l’énergie, des heures de travail et des milliers d’euros en avocat pour tenter de régler des situations de litige avec la CCI du Pays d’Arles. Pour l’heure, « l’argent et le temps que je dépense à me dépatouiller des freins de la CCI, c’est autant que je n’investis pas pour les élèves et les stagiaires en formation ». Pourtant cela n’entame pas son souffle.

Dans les locaux de 4000 m² situés en zone nord, à côté du lycée Montmajour, les 30 classes du bâtiment inauguré en 1977 ont retrouvé un peu de fraîcheur. Le nouveau patron du lieu de formation est fier de montrer les investissements qu’il a réalisés. La peinture blanche est encore éclatante, les toilettes qui baignaient dans leur jus des années 70 sont totalement neuves. Au total, ce sont « 200 000 € » qui ont été investis dans la « rénovation des locaux et pour l’achat de matériel pour les élèves« . Le campus ? C’est un lieu de formation hybride qui propose aussi bien des BTS Tourisme que des formations pointues à l’utilisation des machines industrielles pour la pétrochimie. Au total, plus de 1000 personnes de toute la France passent par-là toute l’année.

Les étudiants du BTS Cira (Contrôle industriel et régulation automatique) prennent une pause. Ils travaillent en alternance chez EDF, Fibre Excellence, Kem One…

Depuis son arrivée, Stéphane Jégat, entrepreneur, qui gère avec sa femme le Groupe Someform (aussi présent à Vitrolles et Toulon), a créé deux BTS à Arles : comptabilité, immobilier et un Bac+3 en marketing digital. Aujourd’hui, l’effectif de l’Unité de formation par apprentissage (Ufa) est passé de 100 au moment de la reprise du Cipen (Cluster d’innovation pédagogique et numérique) en février 2020, à 140 élèves. « Nous sommes en déficit de notoriété, il y a une école supérieure à Arles et il faut que les gens le sachent », appuie Stéphane Jégat, enthousiaste sur la marge de progression. Il a acheté des campagnes de communication sur des panneaux 4 par 3, via des SMS et à la radio pour promouvoir son école  »Sup’ IPGV », historiquement  »Institut privé de gestion du Var ». Si le nom est imprononçable, ce n’est pas important pour M. Jégat, qui ironise, « c’était les années 80 » et préfère se concentrer sur le dur. Le dur, « c’est de développer les activités ». Et il y a le marché. Le nouvel arrivé sur le territoire veut rapidement atteindre 200 élèves pour sa branche  »Sup’ IGPV ». Pour son développement, il a créé 28 chambres d’étudiants sur le campus pour proposer un pied à terre abordable à ses étudiants. Optimiste, il est « content de la relation avec la mairie, cela [lui] donne envie d’investir ». Les élus, dont Frédéric Imbert à l’enseignement supérieur, sont venus déjà trois fois à sa rencontre. Non, c’est juste avec la CCI que les choses sont un peu plus compliquées.

Depuis son arrivée, le groupe Someform a créé trois BTS à Arles : comptabilité, immobilier et marketing digital. Ici les élèves de ce dernier prennent la pause dans le foyer dont le billard a été rénové.

En mauvaise perdante, la cci retient le bail

Pour souhaiter la bienvenue au groupe Someform, le directeur de la CCI PA, Sébastien Philibert, envoie une lettre avec accusé de réception de « mise en demeure » concernant le « bail commercial » et demande de « cesser tous travaux et l’occupation sans droit ni titre » des locaux. A peine 19 jours après l’ultime décision de justice (la Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme le 20 février 2020, le jugement du 4 décembre du Tribunal de grande instance de Tarascon), la CCI prend visiblement son rôle de  »facilitateur » bien à cœur : elle demande de quitter les lieux par lettre avec accusé de réception. Pourtant, le jugement qui valide l’offre de reprise indique en toutes lettres que : « Le candidat repreneur souhaite régulariser un nouveau bail » et ordonne sans détour la reprise de « l’ensemble des actifs incorporels attachés aux branches d’activités reprises ». On peut penser que le bail des bâtiments fait parti des « actifs incorporels » permettant les « activités reprises », car sans être expert, c’est ce que nous apprend la définition des actifs incorporels sur procomptable.com ou autre site de vulgarisation. Mais Sébastien Philibert, le directeur de la CCI PA, lui, a une toute autre lecture : « le dispositif de jugement ne prévoit aucune reprise du bail ».

Mais le 15 mai 2020 : plus de place au doute. « Le contrat de bail des locaux situés 23 chemin des Moines à Arles est inclus dans le périmètre de reprise », indique l’acte de cession de l’administrateur judiciaire Saint-Rapt & Bertholet. Et depuis, on vous passera les détails techniques et les lettres d’avocat, mais aujourd’hui en février 2021, le repreneur n’a toujours pas de bail pour les locaux. Ce qui a posé problème pour les contrats de gaz, d’eau et d’électricité, « à chaque fois, je suis obligé d’expliquer la situation, d’envoyer la décision de justice ». Mais le plus embêtant pour le chef d’entreprise, c’est les difficultés autour des certifications que donne l’Etat via la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). « Les services de l’Etat regardent le numéro Siret de l’établissement qui va donner des formations et vérifient les conditions, mais mon numéro Siret renvoie à mon adresse personnelle, parce que pour le numéro Siret, il faut domicilier l’entreprise et donc un bail » , illustre Stéphane Jégat pour montrer les difficultés administratives liées à la situation. Au moment où nous publions ces lignes, le jeudi 4 février 2021, la CCI vient de faire parvenir un projet de bail à Stéphane Jégat.

Stéphane Jégat ouvre le dossier de ses échanges avec la CCI. Une pile remplie de lettres d’avocats et documents juridiques.

Des imprimantes 3D toujours dans les locaux de la CCI

Bon, ce n’est pas le seul sujet, mais il y a aussi les 5 imprimantes 3D présentes sur l’inventaire de cession, mais physiquement toujours dans les locaux de la CCI. « Pendant ce temps, je ne peux pas former des élèves à leur utilisation », indique Stéphane Jégat. Stéphane Paglia répond à la demande de restitution par une lettre datée du 18 décembre 2020 que le matériel et tous les actifs appartiennent à la CCI PA à la faveur d’un « apport en fonds associatif avec droit de reprise, de telle sorte que la propriété n’a pas été transférée en propriété à l’association Cipen ? » Tout le matériel, même les machines de formation… Sauf que tout le matériel de l’ancien Cipen est bien listé dans l’inventaire du commissaire priseur daté du 23 avril 2019, à l’époque où l’association gérée par la CCI entamait son redressement judiciaire. Tout l’inventaire fait donc légalement partie des actifs repris par le groupe Someform. Et cet inventaire était annexé à l’acte de cession. Après la lettre de Stéphane Paglia, l’administrateur judiciaire garantissait au repreneur « comme déjà indiqué et écrit », la propriété du matériel au repreneur : « nous n’avons reçu aucune demande en revendication de la part de la CCI PA durant la période d’observation en qui concerne des matériels d’exploitation ». Pas de quoi démonter le président Paglia pour qui la CCI « est toujours pleinement propriétaire de ces actifs » et tout officiellement de se dire « ouverts à la mise en place d’une solution de location ou vente du matériel qui vous apparaîtrait nécessaire ». Caméra cachée ? Surprise, surprise ?

La CCI lance une formation concurrente

On résume les épisodes précédents. En 2016, la CCI a externalisé ses offres de formation (PFC, IRA, UFA, Mopa), dans l’association Cipen pour Cluster d’innovation pédagogique et numérique. Puis elle a géré l’association comme l’a constaté le jugement du tribunal de Tarascon du 24 octobre 2019 : « la CCI était dirigeante de fait de l’association ». Les salariés dénoncent alors une situation où la CCI tire profit de l’externalisation et met en péril l’économie de l’association, notamment en récupérant des loyers trop élevés, certains accusent un plan prévisionnel foireux… Lutte d’égos, licenciements des dirigeants qui déstabilisent les écoles… Résultat, la CCI conduit tout droit l’association au redressement judiciaire en avril 2019. Derrière, la CCI tente de récupérer son bébé, mais à l’analyse de la situation, la justice prend la décision de choisir un autre repreneur. Et maintenant, quelle est l’attitude de la CCI ? Beh elle récrée en interne une offre de formation pardi !

La CCI a relancé en interne une offre de formation calquée sur celle du PFC, reprise par le groupe Someform, et entre donc en concurrence avec le repreneur.  \ Capture d’écran site la CCI PA.

Depuis quelques mois, un onglet « CCI formation » est apparu sur le site internet de la Chambre. Une offre calquée sur celle que proposait l’ancien PFC (Pôle formation compétences) qu’a pourtant repris Stéphane Jégat. Et deux salariées reprises par Someform ont été débauchées par la CCI pour animer cette offre de formation. Le PFC, c’est celui qui assure des cours généraux de tableur ou d’anglais par exemple. Quand on sollicite la CCI pour demander des explications, les relations presses répondent par courriel que « les chambres de commerce ont une vocation de formation professionnelle affirmée et pratiquée depuis plus de quarante années ». Et le fait de rentrer en concurrence avec un acteur économique du territoire ? « Une cession judiciaire n’entraîne pas de clause de non-concurrence entre les offreurs. » La CCI ne souhaite certainement pas voir lui échapper l’important contrat de la formation des agents d’accueil des Rencontres qui lui offre également une vitrine d’acteur du territoire… Allez savoir… En tout cas, l’objectif principal n’est pas la réussite de l’implantation de Someform. « L’attitude de la CCI, c’est dommage, on aurait pu travailler ensemble dans l’intérêt de l’offre de formation du territoire », conclut le repreneur du Cipen.

Pour faire les travaux sur cette passerelle surannée, Stéphane Jégat a besoin du bail que la CCI traîne à fournir depuis bientôt un an.

Quand on demande à Stéphane Jégat s’il est fatigué de la situation, on obtient un sourire-soupir et une réponse qu’on pourrait lire dans Management magazine. « Vous savez quand on est chef d’entreprise, on a une vision et on veut l’accomplir, le reste, ce ne sont que des péripéties, ces histoires nous font juste perdre un peu de temps. » Il prend en exemple la passerelle surannée aux parois en plastique marronnasse. C’est un cadre parfait pour des photos d’époque avec des mannequins en patte d’eph, mais plus compliqué à assumer quand il s’agit de convaincre des entreprises industrielles de faire venir ses salariés à Arles. Pour faire les travaux, il a besoin du bail des locaux appartenant à la CCI. Document qu’il n’a toujours pas un an après le jugement.

Eric Besatti

 

1. Le Mopa a été repris par le Groupe EDH, comprenant l’école de création Brassart.

 

Episode I : Face à la CCI du Pays d’Arles, les salariés de l’association Cipen sonnent l’alarme

Episode II : Les étranges manœuvres des élus de la CCI

Episode III : La justice arrive et place le Cipen en redressement judiciaire contre les vœux de la CCI

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