Camargue : un parc naturel régional dévoyé par Renaud Muselier
Depuis des mois, Renaud Muselier force une reprise en main du Parc naturel régional de Camargue. Le président de la région Paca bloque des travaux essentiels tant qu’il n’a pas ce qu’il demande : le pouvoir. Derrière sa formule « qui paye décide », c’est toute la culture du compromis de l’institution qui vole en éclat. Le 22 juin, le président du Parc et maire d’Arles Patrick de Carolis démissionnait. En arrière-plan, l’outil de protection du territoire est affaibli depuis des années par des baisses de subventions.
Article publié en collaboration avec Reporterre.net
Le Parc naturel régional de Camargue est mis en danger pour des raisons politiques. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et son président, Renaud Muselier, imposent une prise en main brutale : blocage du renouvellement de la charte, blocage des subventions, changement des statuts. Depuis son arrivée à la présidence de la région Paca en 2017, Renaud Muselier a mis son nez dans les affaires des neuf parcs de la région : « Quand je suis arrivé, les parcs régionaux avaient tous leurs indépendances, ils faisaient ce qu’ils voulaient. Moi, j’ai dit : « C’est moi qui paye, c’est moi qui fixe la ligne » », confiait-il à l’Arlésienne le 12 septembre 2020. Pour le parc de Camargue, tout s’est accéléré ces derniers mois.
Dernier épisode en date : un chantage qui met en danger l’existence même du Parc. La région veut plus de représentation au conseil syndical du parc, qui est l’instance décisionnaire. Et tant qu’elle n’aura pas obtenu 44 % des droits de vote, le conseil régional ne votera pas le lancement des études pour le renouvellement, en 2026, du label parc naturel régional. « La région nous met dans la panade en ne votant pas le lancement des études le 24 juin prochain », date du prochain conseil régional, dénonce un élu présent lors de la réunion du 8 juin où a été faite l’annonce sur la modification des statuts du conseil syndical du parc. « Même si nous acceptons les nouveaux statuts, il faudra attendre au mieux la prochaine réunion plénière de la région, mi-octobre, pour enfin pouvoir commencer les travaux du renouvellement de la charte. » La charte d’un parc, c’est la bible des orientations du territoire et de sa protection, c’est aussi le document sur lequel s’appuie le Premier ministre pour décréter si un parc est labellisé « parc naturel régional ». Son élaboration demande des années de travaux, des nombreuses réunions de concertation et sa validation par un vote du conseil régional. Pour la prochaine qui doit rentrer en application en 2026, « nous sommes déjà très en retard. Actuellement, rien n’avance. On assiste à un affaiblissement de notre outil de travail », regrette Bernard, un agent du parc dont le prénom a été changé pour préserver son anonymat.
« Ce qu’il se passe, ce sont des règlements de compte politique », observe à regret Jacques Mailhan, éleveur de taureaux de Camargue et représentant de la chambre d’agriculture au PNRC. Il cible la guerre d’égos entre Renaud Muselier, le président de région, et Patrick de Carolis, le maire d’Arles et président du PNRC. Le torchon brûle entre eux depuis que ce dernier n’a pas soutenu le futur président de région en juin 2021, même au second tour des élections régionales alors qu’il s’agissait de faire barrage à l’extrême droite. Aujourd’hui, toute l’animosité de Renaud Muselier envers Patrick de Carolis pèse dans le traitement qu’il réserve au PNRC : le changement de statut voulu par la région Paca permettrait de réduire l’influence des mairies dans la gouvernance du parc et supprimerait la représentation des chambres consulaires du territoire (agriculture, commerce et industrie, métiers et artisanat). Cette représentation des chambres est une particularité camarguaise. Elle permettait à des habitants de la société civile de siéger au Parc et ainsi de mieux en faire accepter les décisions face à un territoire rétif aux décisions imposées d’en haut. « Il ne faut pas y voir un règlement de compte politique », plaide Cyril Juglaret, conseiller régional de la majorité Muselier et vice-président du Parc, « simplement, nous sommes en responsabilité et nous souhaitons avoir des droits de vote à la hauteur de nos financements ». L’autre raison officielle pour fermé la porte aux chambres consulaires : que le Parc puisse pratiquer des récupération de TVA, chose impossible avec le statut juridique de « syndicat mixte ouvert » (en opposition aux « fermés » qui n’intègrent que les collectivités au sein de leur instance décisionnelles). C’est technique, personne n’y comprend rien. Parfait pour justifier une décision politique.
Face à ce passage en force, Patrick de Carolis a annoncé sa démission du poste de président, par surprise, lors du conseil syndical du 22 juin 2022 dénonçant un « oukaze régional », « je n’en serai pas la courroie de transmission et encore moins le complice ». Cet épisode n’est que le dernier de la tentative de reprise en main régionale. Le 8 avril 2022, brutalement également, la région annonçait suspendre son financement, qui représente 40 % des ressources totales du parc, soit 874 000 euros. « Le parc est malade », justifiait Renaud Muselier quelques jours plus tard dans La Provence. Il faut dire que, depuis 2020 et l’arrivée de son nouveau directeur, Régis Visiedo, le parc tourne au ralenti : une vingtaine de projets vont ainsi être menés cette année contre encore 80 en 2019. Pire, la souffrance au travail a conduit à de nombreux départ : 13 agents en deux ans, dont certains occupaient des postes clés. « Désorganisation », « manque de procédure », « pilotage obscur », « incompréhension dans la répartition des tâches », « impacts psychologiques dus aux dysfonctionnements » et « réel mal être du personnel », concluait un rapport du comité technique du centre de gestion de la fonction territoriale des Bouches-du-Rhône daté du 22 octobre 2021. Depuis la publication de ce rapport, le directeur est en arrêt maladie. « Il ne faisait rien, bloquait les projets, ne voulait pas les porter devant les collectivités, il a tout mis en attente », témoigne l’agent Bernard.
C’est dans ce contexte que Renaud Muselier a expliqué stopper ses financements tant qu’une nouvelle feuille de route ne serait pas produite : « Maintenant, on arrête et on part sur de nouvelles bases », clamait-il dans La Provence. Face à cette attitude, France Nature Environnement, les associations de protection de l’environnement locales et la Société nationale de protection de la nature (SNPN), gestionnaire de la Réserve nationale de Camargue, sont mobilisées et demandent le maintien, sans condition, du financement régional. Sa suspension actuelle « augmente le risque de déséquilibre, voire de perte de label décerné par l’État », indiquent-elles par communiqué.
« Statuts revus ou pas, il faut que le parc refonctionne »
Jacques Mailhan, l’actuel représentant de la chambre d’agriculture, tape du poing sur la table : « Maintenant, statuts revus ou pas, il faut que le parc refonctionne. Il y a des dossiers très très graves pour l’avenir de la Camargue : au sud, la construction d’un nouveau pont à Salin-de-Giraud, au nord, d’un contournement autoroutier, au centre, la salinité de l’eau du Vaccarès qui s’accentue par manque de précipitations et réduit la biodiversité. Tout ça risque de banaliser la Camargue, de lui enlever sa singularité. C’est ça, le rôle du parc, il doit être le médiateur de ces questions. L’arrêt du parc nous fragilise. »
Et le parc de Camargue, comme tous les parcs de Paca, est mis en concurrence depuis 2017 pour obtenir des financements régionaux. Ils ont désormais une enveloppe de 700 000 euros à se partager. En Camargue les recettes du parc sont en baisse continue. De 4,354 millions d’euros en 2016, elles ont été de 3,067 millions d’euros en 2021. « On nous demande de faire mieux avec moins », regrette Jean-Christophe Briffaut, délégué syndical SNE-FSU au parc de Camargue.
Alors, depuis 2022, par manque de moyens, le parc ne peut plus assurer toutes ses missions. Ainsi, il n’y a plus de chargé de mission eau, un comble pour la plus grande zone humide de France. Conséquence, pour mettre tous les acteurs — pêcheurs, agriculteurs, protecteurs de l’environnement… — autour de la table, « c’est plus compliqué sans chargé de mission eau du parc », reconnaît Bertrand Mazel, président du syndicat des riziculteurs de France.
Côté gestion de l’environnement, l’inquiétude est plus grande encore. Par manque de moyens, cette année, le « Contrat de delta », programme d’amélioration de la qualité des eaux, a été suspendu. Cette décision a des conséquences directes sur la Réserve naturelle nationale de Camargue, le cœur sanctuarisé du delta. Le programme d’observation de la qualité des eaux et l’évolution de la présence de pesticides a pris du plomb dans l’aile. « Sans contrat de delta, nous ne pouvons pas accéder aux financements de nos programmes par l’Agence de l’eau (établissement public de l’État, ndlr) », regrette Gaël Hemery, directeur de la réserve. « Cette année, nous avons obtenu une dérogation et nous pouvons continuer notre suivi scientifique de la qualité de l’eau. Mais la situation n’est pas pérenne. » Pourtant, ce programme construit des indicateurs qui permettent d’accompagner l’évolution des pratiques agricoles de l’espace protégé.
L’ambition de « partir sur de nouvelles bases » de Renaud Muselier ne se limite pas au cadre du seul PNR de Camargue. Un mois après le blocage des subventions à la Camargue, le président de région a réuni au mois de mai les représentants du réseau régional des neufs parcs naturels de Paca pour fixer ses objectifs politiques. En a résulté une liste de cinq objectifs envoyée par mail et présentés sous forme de slogans : « Faire que la région Sud garde une « COP d’avance » » ; « Faire de la région une prochaine terre d’accueil pour les JO » ; « Une région-phare de l’industrie du XXIᵉ siècle »… Le président tient à ses consignes et l’administration régionale a demandé, dans un courriel envoyé aux parcs, une « feuille de route » avec un « rendu fin juin ». « Il vous est demandé de préciser concrètement comment les actions menées par les parcs s’inscrivent dans ces objectifs », a-t-il été ordonné à ces structures, qualifiées de « satellites ».
Dévoiement de la philosophie d’un Parc
« C’est un dévoiement de l’esprit des parcs naturels régionaux », s’essouffle Bernard, un agent du Parc qui a souhaité garder l’anonymat. Un contre-sens également identifié par le président des parcs naturels régionaux de France. Sans vouloir commenter un exemple en particulier, Michaël Weber rappelle les fondamentaux du fonctionnement des PNR. « C’est un projet pour construire une échelle de territoire cohérente avec toutes les collectivités. Il ne faut pas que chaque collectivité voit son intérêt particulier et tire la couverture vers elle, sinon les choses ne peuvent plus avancer », replace celui qui est aussi président du PNR des Vosges du Nord. « Et c’est tout l’intérêt d’un PNR, il n’y a pas de partis politique, tous les acteurs du territoire co-construisent une charte tous les 15 ans. Et c’est cette charte qui fixe les orientations. » Une fois votée par les différentes collectivités, c’est au tour de l’Etat de vérifier et valider les objectifs des chartes des PNR par un arrêté du premier ministre.
« Les collectivités sont redevables des objectifs de la charte », affirme le président de la Fédération des parcs régionaux, « et beaucoup d’entre elles l’oublient ». Et le président de la région Paca n’est pas le seul : « y compris l’Etat ». Le 21 avril 2022, le conseil d’Etat a rappelé l’importance de la Charte du Parc naturel régional Normandie-Maine face à une décision de la préfecture de la Manche(3). Cette dernière avait autorisé une implantation d’un parc éolien dans la zone déterminée comme « la zone centrale » paysagère dans la Charte. Après un combat juridique, la plus haute juridiction française a considéré que la cours d’appel administrative de Nantes n’avait pas « recherché si l’autorisation d’exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte » et notamment son objectif 23.4 intitulé « Favoriser le développement éolien raisonné ».
En Camargue, Renaud Muselier ne l’entend pas de cette oreille. « Qui paye décide ! » affirme-t-il dans La Provence le 21 avril (2). Avec le maire de Port-Saint-Louis-du-Rhône, ils est favorable à l’installation d’éoliennes en mer. « Le Parc dit »jamais » », s’insurge le président de la région Paca… « C’est le rôle du Parc ça ? Moi je suis pour et je paye 40% et on nous explique que c’est pas bien. Ça ne marche pas comme ça ! » Faut-il le voir comme une conséquence, mais pour 2022, la Région a décidé de suspendre les études préalables pour la création d’une réserve naturelle régionale marine. Une économie de 20 000 euros pour la Région, mais un recul pour l’article 4 de la Charte du PNRC : orienter les évolutions au bénéfice d’une biodiversité exceptionnelle.
L’ambiance est donc particulière au Parc naturel régional de Camargue. Les agents, pour la plupart passionné par leur travail assistent à un « triste théâtre », regrette Bernard, « on est complétement sonnés. Il y a un mépris aussi de notre travail ». Pour l’anecdote autre économie faite par un refus de financement de la Région en 2022, celle de 11 000 euros pour le transport des lycéens jusqu’au Parc. C’était l’objectif de l’article 14, »partage des connaissances » de la Charte. Dommage, cet article mériterait des investissement également au niveau des élus qui ne sont visiblement pas au niveau sur la connaissance partagée de ce qu’est la philosophie d’un Parc naturel régional. « Pour certains élus, la gestion des parcs est difficile à appréhender et à contrôler par qu’ils échappent à la logique de leur collectivité », explique Michaël Weber, le président de la fédération des parc naturels régionaux. « C’est pourtant leur principale qualité. Ils permettent de créer un parlement local en créant une échelle de coopération cohérente et un temps long de l’action. Au-delà des mandats des uns et des autres. »
Eric Besatti
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