Carolis et le tour de passe-passe limite-limite pour garder sa DGS
La municipalité Carolis a établi un plan pour mettre en conformité le statut de sa directrice générale des services (DGS). Un plan qui pose des questions, notamment de légalité. Les représentants du personnel des syndicats FSU et CFDT alertent sur la situation. Dans le viseur : une embauche fléchée à la communauté d’agglomération ACCM supposée permettre à la DGS de revenir en poste à Arles. Un bricolage plus que sensible.
Depuis deux ans qu’elle occupe le poste, « Madame la directrice générale des services (DGS) n’a pas les conditions statutaires pour occuper cette fonction », expliquait Patrick de Carolis (Horizons), le 22 décembre dernier. Dans son bureau, le maire recevait les syndicats en urgence suite à leur demande. Un rendez-vous obtenu en deux jours, « du jamais vu », souligne Ali Boualam (CFDT), un des représentants des agents territoriaux à la Ville d’Arles. C’est à dire que ce sujet sensible commençait à animer les réseaux sociaux. Sans coup férir, trois jours auparavant, la mairie publiait une offre d’emploi pour le recrutement d’un directeur général des services (DGS) pour « vacance de poste », « suite à un départ vers une autre collectivité », détaille la fiche de recrutement. Pourtant, au même moment, Aurélie Brunet, la DGS semblait toujours en place et aucune information aux agents n’était alors communiquée… Alors le maire a consenti à donner des explications en personne aux syndicats. Une réunion rapide, « 15 minutes », rapporte le tract publié conjointement par la FSU et la CFDT à l’issue du rendez-vous.
Des règles non respectées
Ce même document décrit les réponses apportées par le maire. Au-delà du résumé rapporté selon lequel : « Madame la DGS n’a pas les conditions statutaires », le maire ajoutait, toujours selon le compte rendu de la réunion : « C’est pourquoi, cette dernière occupe ce poste par intérim depuis plus de deux ans. Cette situation d’intérim ne pouvait perdurer car non réglementaire vis-à-vis de la loi ». Une situation que ne comprennent pas les représentants du personnel. Le profil de la DGS n’est pas réglementaire, une situation hors la loi ? Elle occupait le poste par intérim ? « Il n’a jamais été précisé que la fonction était exercée par intérim », remarque Kader Bouaziz de la FSU.
Pour en savoir plus, La Provence du 6 janvier, informe qu’Aurélie Brunet n’a qu’un grade d’attaché principal alors qu’il faut détenir un grade plus élevé, impliquant une ancienneté plus grande et/ou le passage d’un concours pour pouvoir exercer la fonction de DGS d’une commune comme Arles (comptant plus de 40 000 habitants). C’est la règle dans la fonction publique. Du côté de l’Arlésienne, nous avions déjà demandé l’arrêté de nomination de l’actuelle DGS en novembre 2021, date à laquelle, alors déjá embauchée à la ville, elle avait été promue pour prendre la suite de l’ancien DGS, Bertrand Sert, parti après à peine un peu plus d’un an de service. Sans succès. Pourtant, c’est un document que l’administration doit fournir à tout citoyen qui en fait la demande selon le code général des collectivités territoriales. Passons.
Un poste temporaire à l’ACCM ?
Pour assurer la continuité de ce poste important pour faire tourner l’administration en lien étroit avec le maire, on comprend aisément le réflexe de tout mettre en œuvre pour conserver l’agent en place. « Notre DGS va muter temporairement à l’ACCM, puis pourra postuler sur son ancien poste de ‘’DGS ville’’ en qualité de contractuel », expliquait le maire fin décembre, cité dans le tract des syndicats. Ensuite, l’ancienne DGS sera, lors du futur recrutement, « sa préférence » pour qu’elle « revienne le plus vite possible dans notre collectivité ».
C’est ici que se joue le tour de passe-passe. Pour embaucher Aurélie Brunet en tant que DGS sans le grade requis par la loi en tant que fonctionnaire, la mairie peut faire appel à un contractuel, c’est-à-dire un agent qui n’est pas fonctionnaire. Sauf qu’il est interdit pour une administration de recruter un de ses propres fonctionnaires en tant que contractuel. Vous suivez ? Aurélie Brunet peut être recrutée en tant que DGS de la ville d’Arles en tant que contractuelle, mais ne peut pas être embauchée par la ville d’Arles parce qu’elle est déjà en poste. C’est une loi pour éviter les dérives. Alors, il faut qu’elle travaille pour une autre administration avant de postuler à Arles. Voilà une raison qui justifierait un passage par un poste dans une autre administration : à la communauté d’agglomération ACCM par exemple.
La Provence du 6 janvier 2024 affirmait qu’Aurélie Brunet « a quitté » son poste à la Ville et la « mairie » d’expliquer à nos confrères qu’elle l’a fait pour « intégrer la communauté d’agglomération dans le cadre d’une mission stratégique d’organisation des projets structurants entre la ville et l’ACCM ». Une déclaration qui a fait sortir de ses gonds Ali Boualam. « Quel est le poste ouvert à l’ACCM ? Si le poste est réservé, que personne n’a le droit de postuler, alors c’est que les dés sont pipés, c’est du favoritisme ! Dans la fonction publique, il y a des règles quand même ! On ne peut pas faire n’importe quoi ». Ni à la connaissance des syndicats, ni en épluchant les délibérations de l’ACCM, ni en regardant les offres d’emplois de cette dernière année, nous n’avons trouvé de poste vacants répondant à ces missions. Nous avons demandé à la ville d’Arles et à l’ACCM si quelque chose nous avait échappé… Le cabinet du maire nous a répondu via un communiqué du maire. Selon le document, Aurélie Brunet a intégré l’ACCM « le 18 décembre dernier en tant que Directrice générale adjointe (DGA) »espace public » au terme du processus de recrutement mené par un jury d’entretien […] Mme Brunet pourra donc, si elle le souhaite, candidater sur ce poste (DGS ville d’Arles, ndrl), de manière tout à fait réglementaire. C’est à elle qu’appartient le choix de sa carrière... » Circulez, y’a rien à voir.
Donc on résume : Patrick de Carolis maire d’Arles choisit une DGS qui n’a pas le droit d’occuper le poste. Pour la recruter légalement, il faut qu’elle passe par une autre administration. Alors Patrick de Carolis avec sa casquette de président de l’ACCM lui signe un contrat de DGA tout en espérant qu’elle démissionne et revienne le plus vite possible en mairie d’Arles…
Des conséquences sur l’organisation
« C’est du n’importe quoi ! », s’alarme Ali Boualam (CFDT) qui rappelle qu’Aurélie Brunet était présente à la fameuse réunion le 22 décembre avec le maire et les syndicats… Soit, selon le communiqué du maire, quatre jours après son embauche à l’ACCM. Puis il y a aussi d’autres incohérences comme ce mail du 11 janvier 2024 envoyé par Aurélie Brunet à l’attention des directeurs de la ville depuis son mail de la ville d’Arles. Alors si Aurélie Brunet travaille toujours pour la mairie d’Arles, c’est à quel titre ?
« Avec ces pratiques, il ne faut pas s’étonner d’être à notre quatrième directeur des ressources humaines à la ville d’Arles depuis le début du mandat. » Pour lui, « il s’agit d’un exemple révélateur de la gestion de la ville d’Arles. Depuis le début du mandat, il y a eu plus de 50 départs de cadres à la ville. Les cadres ne sont pas fous, s’ils ne veulent pas rester, c’est qu’ils ne se sentent pas à l’aise avec les méthodes et pratiques de cette administration. » Le représentant du personnel poursuit, « s’il faut une ancienneté suffisamment grande ou des compétences particulières en passant le concours pour être DGS, ce n’est pas pour rien. Autrement, tu te trouves à gérer une collectivité sans connaître les vastes responsabilités que demande ce travail. »
Autre aspect, financier celui-là, le salaire d’un contractuel n’est pas plafonné à la même hauteur que celui d’un fonctionnaire. Alors le contribuable arlésien va-t-il perdre au change par rapport à une même personne qui aurait le grade en tant que fonctionnaire ? « C’est justement une situation dénoncée par la presse spécialisée des fonctionnaires, notre bible à nous », explique Ali Boualam qui renvoie vers l’édito du mois de janvier de Romain Mazon, le rédacteur en chef de La Gazette des communes : « On en arrive à la situation ubuesque que des cadres fonctionnaires se mettent en disponibilité ou renoncent à leur statut de fonctionnaire pour être recrutés en tant que contractuels, bien mieux payés. Le tout sans subir de concours. »
Il reste encore des questions en suspens. L’intérim au poste de DGS sera assuré par Claude Berthet, qui est déjà directeur des finances, directeur général adjoint par intérim du ‘’pôle ressources’’ (un des quatre grands pôles qui regroupent de nombreux services de la ville). « Comment un seul agent peut-il remplir tous ces rôles ? », questionne Ali Boualam. « Cela prouve clairement qu’il existe un réel problème dans la manière dont la commune est gérée. » Toujours est-il qu’avec cette situation, pas sûr que le temps de traitement des dossiers ni le fonctionnement des services ne gagnent en fluidité ni en efficacité. Pour l’heure, c’est atelier bricolage à la mairie d’Arles.
Texte : Eric Besatti avec la rédaction
Photo : Marie-Océane Dubois
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