L’État impuissant face à une immense décharge illégale
C’est une décharge sauvage gigantesque révélée par l’Arlésienne (n°22, hiver 2025) dont le procès du propriétaire des terrains s’ouvre ce mardi 9 septembre à Aix-en-Provence. À Entressen, sur des terrains à cheval sur les communes d’Istres et de Saint-Martin-de-Crau, des bordilles du BTP et des déchets ménagers s’amoncellent en des monticules de plusieurs dizaines de mètres de haut, depuis au moins 6 ans. Les pollutions générées par des brûlages et des percements de la nappe de Crau menacent l’atmosphère et les eaux souterraines.
Publié dans l’Arlésienne n°22, décembre 2024, mis-à-jour le 9 septembre 2025.
L’endroit pourrait servir de décor pour un film post-apocalyptique. Sur un peu plus de cinq hectares, la plate plaine de Crau a été transformée par une décharge en de petites collines et vallées de terre, gravats, tiges de métal qui dépassent et autres rebuts du bâtiment. Les monticules se succèdent par centaines. Certains dépassent la dizaine de mètres de haut. Ils débordent sur de petits étangs où barbotent des canards et où circulent des sangliers. Les eaux communiquent avec leur grand voisin de l’étang d’Entressen, visible au Sud depuis les cimes de montagnes de déchets.
Il est à l’abri des regards des passants sur des terrains privés à cheval sur les communes d’Istres et de Saint-Martin-de-Crau. Des déchets ménagers sont aussi déposés là, une odeur de plastique brûlé flotte dans l’air. À la mi-novembre, quelques jours après notre passage, des photos et vidéos nous ont été transmises. Des amas de plastique et de toutes sortes de bordilles jonchent la cime du tertre le plus haut. Celui-ci, que nous avons contemplé à distance, est dépourvu d’herbe, avec une large piste permettant aux camions d’y monter.
« Brûlages de détritus » et menace sur la nappe de Crau
Sur une vidéo tournée par nos sources, une fumée s’échappe au milieu de la pente de l’énorme butte. « Ils mettent le feu aux déchets ménagers puis les recouvrent. La combustion continue sous terre », nous affirme un connaisseur du sujet. La veille de notre visite, la police d’Istres a été alertée par le voisinage d’un « brûlage de détritus », selon une note que nous avons consultée. « Il y a un risque de lessivage de polluants qui pourraient atteindre la nappe de Crau », alerte Isabelle Vergnoux, l’avocate de France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE 13). Elle ajoute que l’appellation d’origine contrôlée (AOC) du foin de Crau pourrait également être remise en cause à proximité. Par ailleurs, des vergers jouxtent la décharge. « Il y a la nappe phréatique à quelques mètres et les champs alentour sont classés en bio », retiennent les policiers d’Istres.
Lors de notre reportage, nous avons constaté une perforation du poudingue de Crau, ce sol en forme de béton naturel qui protège la nappe toute proche. Le trou faisait comme une piscine naturelle, une échelle y était installée, comme pour inviter à s’y baigner. Le syndicat mixte de gestion des nappes de la Crau (Symcrau) a alerté une première fois les services de l’État en mars 2019. Il a réitéré plusieurs fois depuis. « C’est un problème grave. La nappe de la Crau fournit l’eau potable pour 270 000 habitants », pose sa directrice, Charlotte Alcazar. Et le problème des décharges sauvages c’est, « qu’elles sont très répandues dans la Crau. Ici, c’est un peu le Far West des Bouches-du-Rhône. Dans cet espace extrêmement rural, il y a des pratiques pas vertueuses, voire illégales. Les services de l’État sont complètement débordés sur ce vaste territoire et ont de moins en moins de moyens », analyse Charlotte Alcazar.
Un procès reporté
Cette décharge sauvage d’Entressen continue de grossir, malgré le fait que la justice s’en mêle. Ce 3 décembre, un procès était programmé au tribunal d’Aix-en-Provence. L’avocat de la défense à obtenu un report au 9 septembre 2025, arguant qu’il a été destinataire du dossier il y a moins d’un mois. La procédure se limite à l’exploitation sans autorisation administrative et au non-respect de l’obligation de fermeture et de remise en état délivrée par la préfecture. L’avocate de FNE 13 souhaiterait que des faits de pollution soient instruits, et recherchées les responsabilités des pouvoirs publics qui n’ont pas fait cesser les dommages. FNE 13 s’est constitué partie civile dans ce dossier. « On rêve, on va leur laisser encore un an pour faire leur dépotoir », s’agace Stéphane Coppey à la sortie de l’audience, membre du bureau de l’association, délégué au juridique.
Pour constituer une telle décharge sauvage, il a fallu des années. Elle est exploitée par la société de la famille Girard, baptisée Le Vallon d’Entressen. Une boîte enregistrée au tribunal de commerce de Salon-de-Provence en février 2013 dont l’objet social est fourre-tout : de la location de salles pour de l’événementiel, aux loisirs de chasse et pêche, mais surtout à « l’exploitation et la vente de matériaux inertes, tels que l’argile, la terre végétale… », ainsi que celles de bois de chauffage. En décembre 2011, Jean-Luc Girard s’est vu délivrer une autorisation pour « l’exploitation d’une installation de transit de matériaux et de déchets inertes », limitée à une seule parcelle sur la commune d’Istres, tel que nous renseigne un premier arrêté préfectoral daté du 15 janvier 2020, de mise en demeure que nous avons consulté. Mais depuis les activités ont allégrement débordé et la notion de transit ne semble pas appliquée. Impossible de chiffrer combien une telle décharge pourrait rapporter. Combien chaque camion pourrait payer pour venir décharger ici au lieu d’une décharge réglementaire. Combien a-t-il fallu de camions pour constituer ces montagnes ? Des additions qui donnent le tournis.
C’est sur le tas principal que des ordures ménagères sont entassées et brûlées. Photos : D.R.
Cinq ans de procédures administratives sans résultats
En septembre 2019, un inspecteur de l’environnement constate que les dépôts de restes du BTP s’entassent aussi sur des parcelles non-déclarées à l’administration pour cet usage. Un arrêté préfectoral du 15 janvier 2020 intime à l’exploitant alors de se mettre en conformité : « soit en déposant un dossier de demande de régularisation en préfecture, soit en cessant ses activités et en procédant à la remise en état ». Deux ans plus tard, un nouvel arrêté est pris le 2 février 2022… « la fermeture et la mise en sécurité ». De ce fait, « les travaux, opérations ou activités (hors mise en sécurité et remise en état) cessent définitivement à compter de la date de notification du présent arrêté ».
Enfin, pour ne pas avoir respecté l’arrêté précédent, le 31 juillet 2024, la préfecture dresse une amende administrative de 15 000 euros à l’encontre de la société du Vallon d’Entressen. À notre demande de précisions sur ce dossier, la communication de la préfecture nous répond que « cette installation est particulièrement suivie par les services de l’État. Toutes les mesures de sanctions administratives ont été prises à l’encontre de cette société et ses gérants, qui font également l’objet de poursuites pénales sur la base de procès-verbaux dressés par l’inspection des installations classées de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). »
Cinq ans après les premiers constats de l’administration, la décharge sauvage prospère toujours. Contactées, les mairies d’Istres et de Saint-Martin-de-Crau n’ont pas souhaité s’exprimer. Ce dossier soulève encore des interrogations à propos de l’origine des bordilles. ◆
Pierre Isnard-Dupuy
Le trafic d’ordures, une tradition locale
Dans le département, il y a la récente affaire de Saint-Chamas où l’entreprise Recyclage 13 concept abritaient un trafic de déchets. L’entrepôt a brûlé en décembre 2021. Derrière ce trafic, le roi des déchets nîmois, Richard Pérez, de l’entreprise Bennes 30, comme le détaille nos confrères de Marsactu dans l’article « Trafic de déchets à Saint-Chamas : le “roi des poubelles” se pose en victime ». Les déchets qui brûlent, ce sont des déchets qui n’auront pas besoin d’être traités. Devenu insoldables, l’entreprise à laissé 14 000 tonnes d’ordures calcinés à Saint-Chamas.
Plus proche, à Saint-Martin-de-Crau, en 2020, une enquête a été ouverte sur les activités de la manade Chapelle à Saint-Martin-de-Crau où des camions venaient enterrer des tonnes de déchets. Quatre ans plus tard, « les procédures enregistrées au parquet de Tarascon n’ont pas été classées et sont en cours de traitement par le magistrat du parquet en charge de ce contentieux », nous répond le procureur de la République de Tarascon.
En ce début d’année, un réseau régional de trafic d’ordures était jugé en appel à Aix-en-Provence. L’occasion pour nos confrères de La Provence, le 6 février 2024, de titrer : « Trafic de déchets en Provence-Alpes-Côte d’Azur : sous les gravats, de l’or pour les mafias » et de faire parler l’avocate de France nature environnement (FNE) : le trafic de déchets inquiète, à l’échelle européenne, « le marché pèse aussi lourd que celui du cannabis, soit 12 milliards par an ». La décharge d’Entressen n’est qu’un nouvel événement dans le trafic de déchets en bande organisée.
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