Le Rouinet veut sauver la terre
On va partir de la base : le sol. Les agriculteurs le remarquent : il est de moins en moins fertile. Du côté de Fourques, à l’Amap du Rouinet, on essaie de cultiver en restaurant les sols. Si la solution de la permaculture est adaptée à l’échelle d’un potager familial, dès qu’on parle d’exploitation agricole, un autre problème se pose, qu’on le veuille ou non : celui de la rentabilité. Ce mercredi, table ronde sur l’urgence climatique à 14h au festival Convivència, place Léon Blum.
Anne-Marie Pelizzari est installée à Fourques sur six hectares de terres cultivées sur lesquelles travaillent six salariés. Ici, entre arbres fruitiers et légumes, on fait pousser de tout en toute saison et on vend la production via une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). C’est la fameuse Amap du Rouinet. Mais depuis quelques années, tout pousse moins bien qu’avant. Et Anne-Marie est bien placée pour le savoir : dans sa famille, on est maraîchers depuis quatre générations. « Nos cultures sont moins belles, moins performantes. Il y a plus de maladies. Les plantes s’enracinent mal. Elles sont fragiles. » Pourquoi ? Évidemment, il y a le climat, la chaleur qui arrive plus tôt, pendant les jours les plus longs de l’année, les pluies soit trop rares, soit violentes… Mais le principal problème est à chercher dans le sol lui-même.
Durant des siècles d’évolution, l’agriculture a toujours su se débrouiller pour faire pousser les plantes par l’enrichissement en matière organique, le labour ou la rotation des cultures. Planter des légumineuses sur une parcelle permet par exemple d’enrichir la terre en azote et de la préparer à accueillir des plantes plus exigeantes, comme les céréales. Mais les modes d’exploitation modernes sont passés par là : monoculture, labour intensif, engrais chimiques.
Alors au Rouinet, on essaye de cultiver différemment. Depuis 15 ans, les parcelles de l’exploitation ne sont plus labourées. « Quand on laboure à 30 cm, on amène la terre arable en dessous, explique l’agricultrice. Alors on a besoin d’engrais, et les agriculteurs manquent souvent d’argent pour les engrais organiques et verts. Le chimique est moins cher. » Ne pas labourer est déjà une première solution. Mais attention. Ça ne signifie pas que la terre n’est pas travaillée : « Il faut quand même l’aérer pour casser les croûtes et que l’eau pénètre, et mélanger déchets de cultures et herbes au sol. » Avec le non-labour vient une autre pratique : le couvert végétal des sols, qui permet de conserver l’humidité et d’empêcher les mauvaises herbes de pousser. Tout en nourrissant la terre. Une pratique qui se répand aujourd’hui, même dans des exploitations céréalières.
Urgence et rentabilité
L’Amap aimerait même aller plus loin et se rapprocher des principes de la permaculture. « On a essayé dans une serre de mélanger les légumes. Effectivement, l’activité dans le sol a doublé. Mais ce n’est pas rentable du tout, c’est ingérable. Pour un jardin, pas de souci. Mais pour nous c’est trop cher. Tu ne peux rien mécaniser et moi je n’ai pas d’esclaves. » L’exploitation cherche des solutions pour trouver un juste milieu, adapter tous ces principes à une exploitation mécanisée : faire des planches de cultures plus hautes et paillées, pour ne plus avoir à toucher le sol et la vie qu’il renferme, alterner davantage les variétés de légumes sur les rangées : « Au lieu de faire dix rangées de 100 m de poireaux, on peut essayer de faire quatre rangées de choux, quatre de poireaux. Mais il y a des opérations à faire sur les unes et pas sur les autres, et il faut la place d’intervenir sur les uns et pas sur les autres. Ici, on a 40 variétés potagères, donc tout mélanger c’est dur… On va faire des essais, nos essais. »
Si elle s’astreint à ces efforts coûteux, c’est qu’Anne-Marie a conscience de l’urgence. « Les sols sont tous morts. Il faut les régénérer. » Et ça, c’est long. Même après 15 ans sans labour, les terres de l’Amap sont certes saines, non polluées mais manquent de vie. Et si par malheur une parcelle est polluée, c’est encore une autre paire de manche. Certains produits phytosanitaires restent présents des décennies dans la terre. Dans ce cas de figure, « il faut travailler la terre sans labour, pendant des années, sans rien tirer de la parcelle. Et parfois même la dépolluer. » Long et coûteux.
L’enjeu dépasse la question du rendement des parcelles. Il rejoint celui du changement climatique. Car plus un sol abrite de matière organique, plus il capte de CO2. Inversement, si la température globale augmente, le sol risque de devenir une source d’émission de CO2. Les enjeux sont donc mêlés, étroitement, dangereusement. Alors pour Anne-Marie, « c’est à nous, les paysans, de mettre en œuvre les processus de régénération des sols. Mais ça doit être pris en compte par le système économique, par l’Etat. » En attendant des politiques plus fertiles, à Fourques on essaye, à sa place et pour une faible part, de changer les choses.
Nicolas Puig
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