La CCI d’Arles attaque le Ravi : « On cherche à nous bâillonner »
Mardi 7 décembre, le journal régional d’enquête Le Ravi était convoqué au tribunal de Tarascon pour complicité de diffamation à l’encontre de la CCI. La Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles poursuit du même chef d’inculpation notre journaliste Eric Besatti, auteur de l’article incriminé et le dessinateur qui l’a illustré. Michel Gairaud, le rédacteur en chef du Ravi dénonce un « procès bâillon ».
En 2019, l’Arlésienne livrait plusieurs épisodes des CCI Papers, une enquête sur la gestion douteuse des organismes de formation créés par la CCI du Pays d’Arles. Cette année là, toute la presse départementale, La Provence, comme Marsactu et Le Ravi s’emparait aussi de l’affaire, notamment sous la plume de notre journaliste Eric Besatti. Le 7 décembre 2021, ce dernier a été poursuivi devant le tribunal de Tarascon pour complicité de diffamation. L’article mis en cause, qu’il a signé dans Le Ravi en septembre 2019, s’intitulait « La CCI revendique son enfant maltraité ». Sur un ton satirique, il comparait la CCI du Pays d’Arles à un parent souhaitant récupérer son enfant, le Cipen(1), après qu’il lui ait été retiré pour cause de maltraitance.
Pour comprendre la métaphore, il faut savoir qu’en février, la CCI, parent et gestionnaire de l’association Cipen, provoquait volontairement la cessation de paiement de l’association de manière à proposer la réintégration de ses activités au sein de la CCI (lire Marsactu). Alors que la CCI souhaitait à tous prix éviter le redressement judiciaire pour garder le contrôle (lire l’Arlésienne CCI Papers épisode II), la justice en avait décidé autrement (lire l’Arlésienne CCI Papers épisode III). Voilà d’où vient l’image d’un parent qui avait maltraité son enfant pour ensuite en récupérer la garde.
L’image n’a pas été du goût de la CCI qui accuse le journal d’avoir porté atteinte à son honneur. Après l’audience du 7 décembre, le délibéré sera rendu le 8 février 2022. Le rédacteur en chef du Ravi, Michel Gairaud, estime le recours à la justice par l’institution comme une tentative de faire pression et défend le droit à la satire dans la presse. Entretien à la sortie du palais de justice de Tarascon.
Vous qualifiez les poursuites de la CCI comme « procès bâillon », pourquoi utiliser cette expression ?
On trouve qu’il y a un usage abusif de la justice. Dans cette affaire, on a la Chambre de commerce et d’industrie qui refuse de répondre à des questions légitimes pendant l’enquête. On l’a sollicité à plusieurs reprises, mais elle n’a pas répondu. Une fois que l’article était paru, elle pouvait demander un droit de réponse. Dans ce cas, on est dans l’obligation de le publier. Mais elle ne le fait pas et est allé directement devant la justice. On considère qu’il y a un caractère disproportionné. Si toutes les institutions, tous les gens dont on parle faisaient comme ça, les tribunaux en France serait totalement encombrés. Et on ne pourrait pas faire notre travail puisqu’il faut quand même payer des frais de justice, un avocat, même si on est relaxé. Pour nous, par ce genre de procédure, on cherche à nous bâillonner.
Ce genre de poursuite judiciaire vous découragent-elles ?
Non. Au contraire. C’est comme une corrida ou l’on envoie des banderilles sur le taureau. Ça nous énerve. Ça nous donne encore plus envie de défendre ce que l’on est, ce que l’on fait, pourquoi on existe. Il y a une autre dimension dans ce procès : notre droit à pratiquer un journalisme satirique est aussi remis en cause. On attaque notre dessinateur et notre journal non pas sur les faits dont on parle, mais sur le ton. C’est-à-dire sur le droit à la satire.
Pensez-vous que les « procès bâillons » sont un frein à la liberté de la presse ?
Oui, car ça a un coût. C’est une charge en énergie, en temps. La rédaction est basée à Marseille et il nous faut venir à Tarascon. Sur cette affaire, on est plutôt optimiste sur une relaxe, même si la justice n’est jamais une science exacte. Mais si jamais on est condamnés, même symboliquement, on ira en appel. Donc donc à nouveau cela fera des frais, du temps. Tout ça pèse sur nos épaules financièrement. Pour cette première instance, le coût s’élève déjà à 4000 euros. Pour l’affaire qui nous a opposé à l’Odel Var pendant 4 ans, l’organisme du département du Var qui gère des centres de loisirs, cela nous a coûté autour de 20 000 euros de frais de justice. Pour un petit journal associatif, qui fait souvent appel aux dons pour continuer à exister, c’est important.
Pouvez vous résumer brièvement cette affaire qui a opposé Le Ravi et l’Odel Var ? Quelles ont été les conséquences ?
L’Odel Var, c’est une institution parapublique, une association, qui nous attaque avec le même système. Elle ne répond pas à nos questions, elle ne demande pas de droit de réponse. Et elle nous attaque deux fois, sur deux articles différents. Pour le premier procès on est relaxés et on obtient des indemnités pour les frais de procédure. Pour le deuxième procès on a par contre été condamnés en première instance. On est allé en appel où on a été condamnés à 2000 euros avec sursis et 2800 euros de frais de justice. Puis on a porté l’affaire en cassation, ce qui est le plus haut niveau de la justice en France. On y a obtenu gain de cause. Le jugement a été cassé. Retour en cour d’appel. Elle reconnaît que la légitimité et le sérieux de l’enquête sont établis, mais on est quand même jugés sur un excès de formulation et condamnés à pas grand chose. On aurait la possibilité de repartir en cassation. Mais pour des raisons pratiques et financières on a décidé de s’arrêter là. On a obtenu une reconnaissance sur la légitimité de l’enquête, sur notre droit à la satire. On ne va pas aller à nouveau à Paris défendre le bout de gras.
Depuis 18 ans que votre journal existe, combien de procès avez vous eu ?
Je ne me souviens plus exactement. Cinq procès à peu près. C’est quand même déjà trop parce que l’on considère ces procédures comme abusives, mais c’est quand même peu. C’est peut-être aussi le signe que l’on fait gaffe à ce que l’on écrit.
Propos recueillis par Rebecca Quivron, avec Pierre Isnard-Dupuy
1. Cipen : Cluster d’innovation pédagogique et numérique. C’est une association qui gère l’Institut de régulation et d’automation (IRA), l’école Mopa (Motion picture in Arles) et le Pôle formation et compétence (PFC). Des entités autrefois intégrés à la CCI.
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