Apéro sucré-salé pour l’avenir des Papeteries Etienne
Les acteurs majeurs de la culture en pleine assemblée, c’est comme une bonne pièce de théâtre. Sur les planches de la représentation du jour : attirer de nouvelles entreprises et préparer le futur des Papeteries Etienne.
Sortie d’Arles, côté Trinquetaille. Les coups de pédales sont rageurs et le vélo file sur l’avenue de Camargue, sans s’arrêter devant le portail des Papeteries Etienne. Panneau d’Arles barré, rond point à droite, puis à gauche au dessus de la N113, panneau d’Arles, côté Gimeaux. Un chemin à la voirie semi chaotique. Oui, c’est là à gauche, dans le grand hangar d’Archéomed. Mais, aujourd’hui, on n’est pas là pour visiter cette coloc’ d’entreprises des secteurs du patrimoine et de la culture. L’action se déroule dans une petite pièce.
Le vélo, c’est écolo mais avec cette température de juin, ça pardonne pas. A l’entrée dans la salle où se déroule la réunion, c’est la sudation. La douche récente évite les odeurs. Ouf ! Puis pas de craintes à avoir, la chaleur est à Arles la chose la mieux partagée. La réunion a déjà commencé depuis quelques minutes et chacun des trente invités lève frénétiquement le coude avec les petites bouteilles de Cristaline distribuées. Dans l’assemblée, Actes Sud, les Rencontres, les Suds, la Fondation Luma… La Chambre de commerce et d’industrie du Pays d’Arles, le Pôle Emploi, la Ville d’Arles… A la tribune, l’organisateur, le vice-président délégué à l’économie de la communauté d’agglomération (ACCM), David Grzyb, mâchoire carrée et ses tempes grisonnantes, donne le tempo. Côté politique, c’est lui qui a porté la création de ce groupe de travail avec la volonté de « réunir tous les acteurs privés, publics, pour essayer de construire un projet de territoire commun. » A ses côtés, missionné pour animer les réunions, les cheveux bouclés, chemise rose deux boutons ouverts, c’est Gilles Martinet. Ce docteur en géoscience et matériaux, arrivé en 1997 avec l’installation du Lerm à Arles, gère le groupe depuis un an. Et manie le Powerpoint du jour.
Ce 2 juin était attendu. C’est la fin d’un cycle et le début d’un nouveau. David Grzyb restitue l’étude réalisée pour le compte de l’ACCM par Aslé Conseil, le cabinet d’études de Gilles Martinet. Une étude comparative du marketing territorial des villes françaises de culture : l’image et le son à Villeurbanne avec Pôle Pixel, la BD et l’animation à Angoulême avec Pôle Image Magelis ou la création à Nantes avec Creative Factory. Et pour demain à Arles ? Le duo à la présentation propose que ce soit le Pôle Industries Culturelles et Patrimoines (lire Pôle ICP ci-dessous) qui sera charger de porter le marketing territorial. Le but ? Attirer toujours plus d’entreprises de la filière de la culture et du patrimoine.
A peine le temps de s’essuyer le front et de reprendre sa respiration que les débats commencent à s’animer. David Grzyb finit sa présentation avec la préconisation phare de l’étude : la création d’un site dédié aux industries créatives. Le site pressenti pour être ce « totem » de la stratégie de marketing territorial est celui des Papeteries Etienne, vestige industriel du bord du Rhône fermé par Industrial Paper pour cause de délocalisation en 2010.
Scène I : Pas si vite
Les premières offensives arrivent du côté des éditions Actes Sud à propos des travaux déjà effectués sur le périmètre des Papeteries Etienne : la destruction des maisons du quai de la Gabelle.
Jean-Paul Capitani, montant progressivement dans les tours : – C’est bien beau de se réunir, mais à quoi ça sert si on ne nous écoute pas ? On a détruit les petites maisons des quais de la Gabelle, les seuls bâtiments qui étaient à taille humaine. On a dépensé de l’argent pour détruire ce qui avait de la valeur. C’est aberrant. Dites-moi à quoi ça a servi à part à occuper quelques fonctionnaires ?
David Grzyb, vexé car urbaniste au Conseil Régional : On va essayer de sortir du discours sur les fonctionnaires, on est des faiseurs de béton, on a bien compris. Pour être plus concret, il y avait des problématiques de sécurité sur ce lieu qui était systématiquement squatté. Les coûts de rénovation étaient trop prohibitifs par rapport à la construction du neuf.
Jean-Paul Capitani, revenant à la charge : Vous avez dégradé !
David Grzyb, essayant de passer à autre chose : Bon ok, pardon pour ce péché originel, on recommencera plus, mais si on pouvait se concentrer sur l’avenir.
Parce qu’il faut vite se mettre d’accord sur le projet des Papeteries. L’avenir, c’est déjà demain. Il faut déposer un permis de construire « purgé de tout recours », comme disent les fonctionnaires, avant le 1er janvier 2020. Sinon le terrain deviendra inconstructible pour cause de prévention des risques inondations. Et les 14 000 m² à construire seront perdus à jamais. Quand Industrial Paper a délocalisé, en partant, il a détruit des bâtiments pour des questions de sécurité. Il est possible de reconstruire à surface égale dans un délai de 10 ans. Impensable de manquer une occasion pareille pour David Grzyb.
Jean-Paul Capitani : N’investissez pas, attendez ! Je vous vois partir dans des investissements qui ne correspondent pas à la sensibilité de ce que recherchent les acteurs culturels pour s’installer. C’est pas avec des milliers de mètres carrés qu’on attire !
David Grzyb : C’est justement la raison pour laquelle on est ici et que nous souhaitons échanger. Il faut nous dire les besoins. On a refusé une enseigne de grande surface intéressée pour installer un supermarché. Si nous voulons aller chercher des professionnels du giratoire et des lampadaires, on sait faire. Attention, si on nous dit non, Arles, c’est uniquement le centre-ville, n’allez pas aux Papeteries, on arrête là, sans problème, si on n’a pas besoin d’un lieu totem tant mieux on referme le dossier.
Scène II : Pas sans moi
Malgré les critiques, personne n’ira jusqu’à remettre en cause le projet en lui-même. Dans l’assemblée, Chloé Valette, de l’association de création artistique Mise à jour, souligne que les « acteurs de l’économie sociale et solidaire peuvent apporter leur savoir-faire dans l’utilisation d’espaces de façon transitoire ». Patrick Chauvin, premier adjoint de la ville d’Arles, met en garde : « A un moment donné, faut arrêter, on fait tout faire à l’argent public, mais les caisses sont vides ». Hors de question de faire une maison des associations bis. « Il faut trouver des investisseurs privés pour ce lieu, on ne construira pas 14 000 m² de locaux sur fonds publics », rappelant à tout le monde la destinée économique de l’aménagement. Il parle de Vieri, la casse installée en zone nord qui cherche de nouveaux espaces. Le premier adjoint de la Ville envoie également un message à l’élu de l’ACCM, membre de sa majorité. « Il faut un chef d’orchestre, est-ce que c’est le Pôle ICP ? Si oui, pas de problème, mais je veux être instigateur, être associé », revendique t-il pour affirmer que la Ville souhaite être maître en ces lieux, même si le terrain appartient à la Société publique locale émanation de l’agglomération (ACCM), dont le président n’est autre que David Grzyb.
Scène III : Avec quoi ?
« Souvenez-vous, les Ateliers, ça paraissait le bout du monde avant les Rencontres, il faut laisser le temps aux Arlésiens de s’approprier le lieu », positive Fabienne Pautonnier, adjointe municipale chargée de la manifestation Octobre Numérique. Un appel à manifestations va être lancé par l’ACCM pour faire dores et déjà vivre les Papeteries Etienne ponctuellement avec des événements. Là, même Jean-Paul Capitani est d’accord : « Mais oui, les Rencontres, c’est un super modèle. » Au fur et à mesure, les membres de l’assemblée cheminent ensemble. « Les entrepreneurs s’ils veulent venir, on les installera collectivement, petit à petit, de façon intelligente », résume Chantal Bailly élue à l’économie créative de la Ville d’Arles. Après les échanges vifs, c’est maintenant le quart d’heure câlin. Même David Grzyb qui vient d’essuyer la foudre pendant 20 bonnes minutes « partage tout ce qui a été dit ».
Pour l’utilisation des lieux, les Rencontres vont continuer à y organiser la Nuit de l’année comme depuis 2015. Archéomed a prévu de déménager pour enclencher la dynamique. Seule la CCI se fait plus discrète après des grands coups d’annonces dans la presse. La chambre voulait y implanter un campus mêlant l’école de l’image numérique (Mopa), de certification industrielle (IRA) et un data center. Le projet nommé Cipen a même un logo qui représente les Papeteries. Mais depuis le gâchis du Mopa(1), on ne les entend plus trop s’exprimer sur la question. Pourtant le président Stéphane Paglia était bien à la réunion, il était même venu avec son chien.
Scène IV : Faisons l’amour tous ensemble
Comme une métaphore, le dernier point à l’ordre du jour est l’organisation du prochain apéro culture, autre nom donné à ces réunions, prévu à la rentrée. La préparation est tournante entre les membres du groupe. Marie-Jo, directrice du festival les Suds, lève la main. « Mais nos locaux sont trop petits pour vous accueillir… » « On a qu’à aller aux Papeteries, comme ça, on commence à faire revivre les lieux », lance Chantal Bailly. Super idée que Marie-Jo bémole à cause de son équipe réduite pendant le mois de septembre. Qu’à cela ne tienne. « On a qu’à l’organiser à deux ! », reprend, enthousiaste, Aurélie de Lanlay, administratrice générale des Rencontres, avant de ponctuer son intervention qui sonnera la fin : « Je tiens à féliciter Gilles Martinet parce que nous faire tous venir et nous rassembler, c’était un sacré challenge. »
La culture n’a peut-être pas le projet révolutionnaire qui va convaincre 40 entreprises à la seconde de s’installer à Arles. Mais elle a déjà son théâtre où ceux qui partagent le même bateau échangent sur la direction de l’Odyssée. La salle se vide et les journalistes se succèdent autour de David Grzyb. La dernière diapo de Gilles Martinet prophétise : « continuons à construire ensemble ». Au retour, sur le vélo Motobécane, le rythme est plus doux pour la deuxième traversée de la longue avenue déserte devant les Papeteries Etienne. Il en faudra des petites entreprises et de l’entente entre tous les acteurs pour remplacer le bouillonnement des centaines d’ouvriers qui animaient les lieux. Parce que putain, qu’est ce que c’est grand.
Eric Besatti
1. Fin janvier, la CCI a licencié le directeur de Mopa Julien Deparis, sans prévenir ses partenaires du territoire. Dans la foulée, l’ancien directeur est parti avec élèves et professeurs monter une formation concurrente à Avignon. Oups.
Pôle Industies Culturelles et Patrimoines, l’outil d’attractivité du territoire
An 2006. La Région lance les pôles de compétences territoriaux. La CCI d’Arles se positionne avec des chefs d’entreprises sur le secteur déjà actif du patrimoine et de la culture : c’est le Pôle ICP. Mais le dispositif régional disparaît en 2010. L’association de la CCI, elle, perdure et le principal financeur devient l’ACCM. Gilles Martinet en est le président depuis le début. Archéomed est créé dans la foulée par le même groupe de personnes dont Jean-Bernard-Memet le premier président. Archéomed pour un lieu physique, le Pole ICP pour la promotion et la réflexion autour de la filière.
Aujourd’hui, la mode des politiques publiques est passée au marketing territorial. L’agglomération (ACCM) a donc choisi de donner les moyens au Pôle ICP en augmentant les subventions. Elles permettront d’embaucher Gilles Martinet pour passer de quatre à cinq les effectifs de l’association. Le Pôle ICP va devenir l’agence de marketing territorial du territoire arlésien. « Un partenariat où le Pôle va être vraiment dédié à la promotion de cette filière tant en interne qu’en externe », appuyait David Grzyb. Quatre mots pour désigner les filières des entreprises ont émergé de l’étude lancée avec Aslé Conseil : Images, Editions, Patrimoines, Musiques et son. Large !
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