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Du bleu de Facebook à celui du commissariat, un Gilet jaune en garde à vue.

Niño Jordan Garcia est un gilet jaune de la première heure. Il s’est fait connaître en filmant au rond point du Vittier. Il a été convoqué ce jeudi 20 décembre au commissariat pour outrage à agent. D’autres gilets jaunes arlésiens ont également été convoqués aujourd’hui. Lui a 23 ans et ses vidéos facebook totalisent déjà 1 million de vues. Il a le verbe hésitant de son âge mais l’œil vif de celui à qui on la fera plus. Pour notre rencontre, il est 11h30 au bar du marché, comme un peu partout à Arles. Et dans une demi-heure il devra faire face à un inspecteur de police. Mais il ne sera symboliquement pas seul, la famille est là. Celle du sang, représentée ici par son oncle et l’autre, plus récente, « la famille citoyenne ».

Nino Jordan Garcia et son Gilet jaune. Photo facebook personnel de Nino Jordan Garcia



C’est la première fois que tu te retrouves confronté à une situation pareille ?

« Oui, j’ai un casier vierge. J’ai jamais eu affaire à la justice. »

Tu as peur de cette confrontation avec la police ?

« Je ne sais pas ce qu’ils me reprochent ils ne m’ont pas donné de raison. C’est juste marqué : « Pour une affaire vous concernant ». Maintenant je suis assez confiant. J’ai pas grand-chose à me reprocher. Malgré que par expérience j’ai vu qu’ils ont tendance parfois à extrapoler certaines choses à leur avantage. Comme avant-hier avec Alain L. Il s’est fait embarquer devant nous pour des événements qui n’ont pas eu lieu. Au début par exemple ils l’ont accusé d’avoir craché sur les policiers. Et nous témoins, on était là et on filmait. Quand à la caméra ils ont vu qu’il avait pas craché, ils ont dit : « Il a postillonné », ça devient ridicule. »

S’ils annoncent que pour une raison ou une autre tu risques de passer devant le tribunal ça va calmer tes ardeurs ?

« Dans le fond ça va encore plus me donner envie de manifester et de combattre. Mais dans la forme je ferai différemment. Sauf si j’ai une interdiction de manifester. »

Tu veux donc continuer à lutter. Ton engagement citoyen date des gilets jaunes ou tu étais déjà dans cette démarche avant ?

« Moi je suis quelqu’un d’anti-conformiste. Depuis que je suis jeune y a plein de choses qui me dérangent. Et surtout la sensation d’être manipulés… En fait… Sans tomber dans la théorie du complot, c’est pas vraiment de la manipulation… C’est plutôt qu’on est tellement déconnectés des élites qu’on se sent manipulé. Mais c’est mes premières manifestations et parfois c’est dur de savoir ce qu’il faut faire ou pas faire pour être dans la loi. Eux [ndlr : les pouvoirs publics] ils ont un temps d’avance sur nous forcément. Y a très peu de gens de mon âge qui participent, mais sur Facebook si j’ai tant de vues, c’est que les gens se retrouvent dans mes revendications. »

Tu as reçu beaucoup de soutiens des autres gilets jaunes ?

« Du soutien dans ma famille oui, c’est mon oncle [ndlr : présent lors de l’interview]. Après y aussi la famille citoyenne. Je sais que si je vais au tribunal, ils seront tous là. Et même sur Facebook, je suis très suivi. J’ai fait 350 000 vues depuis hier sur la dernière vidéo et c’est pour ça que je me demande s’ils essayent pas de me faire taire. En cherchant la moindre petite bête. Heureusement le soutien est là. »

Le représentant de la famille citoyenne, lui aussi présent pendant l’entretien, intervient. Avec ses mots à lui, il paraphrase le philosophe Emmanuel Todd. Il nous parle d’une fraternité retrouvée, d’une fierté française ressuscitée sur les ronds-points et lors des rassemblements. L’oncle confirme également. On se prend une leçon de civisme de la part de personnes peu ou pas politisées. La prise de conscience a eu lieu. La cause de cette perte des principes citoyens ? Le système, le quotidien. La solidarité et le partage, sont des notions qui reviennent. « On s’est recréés une petite famille » concède Jordan qui nous prouve qu’aux racines du mouvement, au-delà des revendications purement financières, au-delà même du combat se trouve le besoin d’être ensemble pour un objectif commun.

Que penses-tu de la marche citoyenne pour le Référendum d’initiative citoyenne partie d’Arles avec notamment José Manrubia ?

« José, j’ai failli faire la marche avec lui et pour des raisons personnelles j’ai pas pu. À partir du 3 janvier je vais peut-être le rejoindre. »

José Manrubia citait Luther King et Ghandi. Est-ce que tu t’identifies à d’autres personnes engagées ? Des gens qui ont marqué l’histoire ?

« Coluche. Je regarde beaucoup de sketchs de Coluche.
– « Balavoine aussi », intervient l’oncle de Jordan.
– « C’était des visionnaires. Il nous ont averti. »

Sartre disait que jamais on a été aussi libre que sous l’occupation parce que chaque choix, chaque moment était important. Tu ressens ça aussi ?

« J’ai un ressenti, par ce mouvement depuis un mois, on est quand même sortis du système, faut dire ce qui est. C’est surtout une liberté financière qu’on a retrouvé. Nos petites habitudes, nos conforts, la société de consommation, on en est sortis. Y a juste à regarder mon compte en banque. Mes parents c’est pareil. On est de longue sur place. Les gens nous amènent à manger. « On a sorti le nez du guidon ». Personnellement j’ai plus envie de faire la fête, j’ai pas envie d’aller payer des bouteilles à 120 euro. Aller chez le petit commerçant du coin, c’est le meilleur moyen de lutter de façon pacifique contre ce système. À chaque fois qu’il y a eu des grands mouvements économiques ça a créé des guerres, de la violence. C’est plus long et plus dur mais c’est dans l’éducation qu’on peut faire changer les choses. La stratégie c’est d’essayer de faire comprendre aux gens ce que nous on a compris à travers ce mouvement. C’est une guerre spirituelle. »

Édit : ce jeudi 21 décembre, Jordan Garcia a été déféré au tribunal de Tarascon devant lequel il est passé à 9 heures du matin. Il devra s’y présenter de nouveau le 21 février. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il était toujours dans l’attente de savoir s’il tombait ou non sous le coup d’un contrôle judiciaire.

Julien Sauveur

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