Un marché mieux que super ?
Des stands espacés, des personnes qui se saluent de loin… Pour faire leurs courses de fruits et légumes, les Arlésiennes et Arlésiens n’ont pas abandonné le marché, même réduit et aménagé. Pour certains, c’est même un choix plus sanitaire et engagé que de se rendre au supermarché en période de confinement. Pour les petits vendeurs et producteurs, c’est juste une question de survie. Reportage.
La première chose que l’on remarque sur le boulevard des Lices, c’est l’espace. En lieu et place des deux allées, l’une côté jardin d’été, l’autre côté la Poste, la centaine de forains alimentaires, la seule autorisée, s’est installée des deux côtés du boulevard pour ne former qu’une seule et immense voie de circulation. Les chalands ont toute la largeur pour se croiser et tout le loisir de passer entre les postillons.
Des distances respectées
Les gens circulent, certains avec des masques et des gants, d’autres non. Certains se laissent réjouir par les discussions en cercle élargi, distance sanitaire oblige. « Ça a plus de sens de venir ici que d’aller dans les supermarchés, pensent Cyrille et Cannelle, au point de vue des contacts avec les objets et la provenance des produits. » Au soleil et sans autre protection que la distance, Grégory et Emilie sont tout sourire, « c’est pas parce qu’on est confinés qu’on va arrêter de se servir chez les producteurs locaux ». Le couple utilise tous les bons de sortie possibles en respectant les consignes : « On est mieux là qu’enfermé dans un supermarché, c’est plus large, on est moins les uns sur les autres. » Ils ont du mal à comprendre la communication du gouvernement. L’autorisation d’aller faire nos courses, des activités sportives mais des plages et des massifs forestiers fermés, « surtout ne pas se promener. On a l’impression qu’au-delà des réalités sanitaires, le gouvernement nous impose aussi une conduite morale, il ne faut surtout pas être heureux, nous sommes en guerre, etc. Pourquoi fermer des massifs forestiers entiers ? Si l’on reste à distance où est le problème ? Après, c’est vrai que si tout le monde se met à sortir, ça peut créer de la promiscuité », disserte Greg’ en résumant la perplexité des français.
Les marchés ouverts, comme la grande distribution
A côté, le fromager réagit. « Sur les réseaux sociaux, les gens demandent l’annulation du marché, on nous traite d’assassins, mais ici, c’est moins dangereux que dans les grandes surfaces, je pense. » Il en veut pour preuve le nombre de contacts entre la fabrication du produit et le service du client. « Mes fromages, il n’y a que moi qui les touche ! », contrairement aux emballages, caddies et étagères des grandes surfaces. Michel le fromager – dont je n’ai pas pris le prénom mais que vous pouvez retrouver entre le jardin d’enfant et le jardin d’été – remarque simplement que les clients ne se collent plus ni ne touchent sa vitrine. Le grand confinement, c’est qu’on ne salive plus devant les fromages, on les regarde de loin. Mais Michel n’est pas rassuré pour autant, il craint, au vu des marchés qui s’annulent, comme à Saint-Gilles ou à Nice, que celui d’Arles ne soit le suivant. Il le prendrait comme une injustice face aux grandes surfaces.
Au niveau de la Poste, sur le stand de Brigitte et Bernard, des cagettes placées à un mètre des fruits et légumes indiquent la distance à respecter. Eux ne pensent rien. « On vient parce qu’on est obligés de travailler pour manger. » Et ils travaillent moins que d’habitude, environ moitié moins. Concernant la nouvelle disposition, « on respecte les ordres, un commandant de gendarmerie est venu tout filmer ce matin ». Pour le couple, le marché d’Arles a la chance d’être spacieux, contrairement à d’autres, plus difficiles à maintenir, qui se font dans des petites rues et qui ne permettent pas de limiter la promiscuité. Au niveau sanitaire, il reste irrémédiablement des moments à risque, l’échange de monnaie, ou le retrait au distributeur qui présentent un risque.
Sur l’esplanade Charles de Gaulle, au niveau du marché paysan, l’espace réservé aux producteurs-vendeurs, c’est-à-dire interdit aux revendeurs, a lui aussi changé de morphologie. Plus aucun stand n’est en vis-à-vis, mais c’est un grand carré qui s’offre aux clients. Gilles, le boulanger n’a pas perdu sa bonne humeur et Camille, le producteur de fruits et légumes, a enfilé les gants pour le service. « Pour ma part, si il n’y a pas de marchés, je ferme boutique. Les Amap sont surchargées en légumes, j’ai vu un magasin de producteur à Nîmes qui organise des livraisons mais je n’ai pas investi pour m’y intégrer. Puis si je me lance dans la vente en direct à la ferme, le temps que ça se mette en place, mes légumes seront morts, à la poubelle », confit-il sous le regard inquiet de ses salades et ses poireaux.
Une volonté de se servir en local
A Arles, pour se fournir auprès de producteurs locaux, si le marché reste le plus simple, des initiatives fourmillent pour réaliser un inventaire. Le groupe Facebook »Consommation locale et échanges de services en pays d’Arles » et son blog par exemple tente de répertorier les fournisseurs pour le fromage, les fruits et légumes, la viande le poisson et les oeufs. Il y a aussi la page Eleveurs du 13 qui prend les commandes et coordonne des livraisons et l’association Pays d’Arles en transition pour une économie de circuits courts qui publie sa liste de producteurs partenaires sur les réseaux.
Un enjeu pour les petits producteurs
Derrière son stand et son bidon hydroalcoolique, Camille ne sait pas quoi penser de la situation et obéit aux directives. « En attendant, je mets ma production de l’été en culture, pour pouvoir être prêt quand ça va reprendre. Après, moi, je suis microscopique. Les gros, qui ont des enjeux plus importants et des réseaux plus gros, auront aussi les connaissances pour s’en sortir dans la jungle administrative qui se profile pour les indemnisations. » De toute façon, il le sait, ce sera dur pour tous les petits comme lui.
L’Adear 13, l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural, organise le marché paysan d’Arles et six autres dans le département (Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Salon, Cassis, Gardanne et Aubagne). Pour l’heure, aucun n’a été annulé. « On est exigeant, précise Anne Coppola responsable de la coordination des marchés paysans. On fait respecter les conditions des directives pour la distanciation (le client ne touche pas les produits, une seule personne qui manipule l’argent sur les stands), que ce soit sur les marchés, dans les Amap ou dans les ventes à la ferme. L’important, c’est que les producteurs puissent toujours avoir des débouchés. Ça n’a pas de sens si le confinement favorise les fruits et légumes d’importation. » A Arles, le maire a choisi jusqu’à maintenant de s’aligner sur les instructions de la préfecture des Bouches-du-Rhône nous confirme-t-on depuis son cabinet. De fait, ce sont les services de l’Etat qui statuent sur le maintien ou pas du marché.
Alors que les premiers forains commencent à ranger la marchandise, Camille, entouré de sa mâche et ses blettes raconte le nouvel an en Chine. « J’étais en voyage, pendant le confinement, ceux qui avaient les moyens se faisaient livrer et pour le reste c’est l’Etat qui assurait l’approvisionnement pour un confinement total. Voilà, ça c’est un vrai confinement, sinon il n’y a aucune raison d’interdire les marchés et de laisser ouvertes les grandes surfaces. »
Coupable de sourire ?
En rentrant à la maison, Manuel, courses à la main, mange ses acras de morue avec un grand sourire et son masque porté en écharpe. Il reste à distance mais glisse un mot. « C’est bien ce que fait l’Etat, il faut respecter les distances et les consignes, mais il ne faut pas annuler le marché, le marché c’est la vie. Il faut faire très attention, mais il ne faut pas paniquer, il faut continuer à échanger, sinon les gens vont être trop individualistes à la sortie de cette épreuve. »
Sur le marché, les chalands militent pour son maintien. Mais que dira le gouvernement dans les prochains jours ? Dimanche 22 mars, le Conseil d’Etat a refusé la demande du syndicat des Jeunes médecins pour un confinement total de la population et notamment au motif de l’impossibilité de « ravitaillement à domicile de la population ».
Alors ne reste plus qu’à se laver les mains, rester à distance, dans les super comme sur les marchés. Et s’il est plus facile de prendre un air malheureux sous les néons que sous le soleil, discuter quelques secondes à distance respectable n’est pas encore interdit par le gouvernement. La guerre contre les sourires et la joie n’est pas encore déclarée. Quoi qu’en pense l’agora des réseaux sociaux et une certaine émotion publique, prendre l’air à l’occasion d’une course n’est pas encore une insulte à destination des soignants et tous ceux en première ligne qui risquent leurs vies au contact des malades. C’est même peut-être complémentaire. Des gestes de solidarité apparaissent de la part des restaurateurs et forains qui poursuivent leurs activités. Une pizzeria toujours ouverte a livré à manger pour l’hôpital d’Arles, un producteur qui fait le marché de Fontvieille assure des livraisons pour les soignants…
Le gouvernement va préciser les modalités et certainement durcir les mesures de confinement. A voir si les images des sourires sur le marché, au delà des considérations sanitaires, auront été insupportables à ses yeux.
Eric Besatti
[Mise à jour] Lors de son passage sur lundi 23 mars sur le JT de TF1, le premier ministre Edouard Philippe a interdit les marchés de plein air sauf dérogation. La dérogation doit être prise en concertation avec le maire et le sous-préfet de la ville. Le marché d’Arles sera t-il maintenu ?
[Mise à jour] Le maire a décidé d’annuler tous les marchés jusqu’à nouvel ordre. Lire ci-dessous.
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