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Tarascon : permis de démolir en Montagnette

Souvent les constructions illicites finissent par être régularisées. Parfois la justice met le holà. Comme dans la Montagnette, où elle impose la destruction de deux villas qui avaient obtenu un permis en 2007 et 2009. Des documents délivrés par la Ville de Tarascon dans le périmètre du massif protégé où il est pourtant interdit de bâtir depuis 1970.

La maison de Cédric Marcel est une confortable demeure de 200m². Il avait bénéficié d’un permis de construire délivré par la mairie de Tarascon le 9 novembre 2009. Sauf qu’il n’aurait pas dû en raison du périmètre classé et protégé de la Montagnette. Capture Google Maps.

La protection de l’environnement a prévalu sur les intérêts privés. La justice a définitivement condamné Cédric Marcel et Stéphane Berlandier, deux agriculteurs de Tarascon, à détruire leurs villas, construites dans le périmètre classé et protégé de la Montagnette. La décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence remonte au 28 mars 2018. Trois ans et demi plus tard, les maisons sont toujours là.
Parce qu’ils ne se sont pas soumis à leur condamnation, le 10 septembre dernier, le tribunal judiciaire de Tarascon a condamné les propriétaires à de nouvelles astreintes de 200 euros par jour pendant six mois, à l’issue desquels un nouveau jugement pourrait être prononcé si les bâtisses sont toujours sur pied. Les astreintes précédentes, fixées par la cour d’appel, sont liquidées. Ainsi Cédric Marcel est condamné à payer 67 600 euros et Stéphane Berlandier 67 300 euros à l’Association pour la défense de l’environnement rural (Ader).
Saga judiciaire    
Dans le massif calcaire de la Montagnette, il est en théorie interdit d’ériger de nouvelles constructions depuis 1970. Au départ, les habitations d’environ 350 m² de Stéphane Berlandier et de près de 200 m² de Cédric Marcel ont pourtant bénéficié d’un permis de construire. Délivrés par la mairie de Tarascon respectivement le 19 septembre 2007 et le 9 novembre 2009.
L’histoire se judiciarise lorsque l’Ader a attaqué les permis devant le tribunal administratif de Marseille et obtenu leur annulation en mai 2011 dans l’affaire Berlandier et un an plus tard concernant celle de Cédric Marcel. Puis, l’association environnementale a poursuivi son action au tribunal de grande instance de Tarascon pour demander la destruction. Le 1er septembre 2016, la juridiction saisie a débouté l’association, condamnant néanmoins les prévenus à lui verser quelques milliers d’euros de dommages et intérêts.
L’association a interjeté appel et le 28 mars 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a prononcé la destruction. Les arrêts analogues rendus à propos des deux affaires présentent les même écritures explicites. Ils reconnaissent une « construction litigieuse à l’intérieur des limites du site de la Montagnette inscrit par arrêté ministériel du 17 décembre 1970 sur la liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente […] un intérêt général. » Et condamnent en vertu « d’un but légitime », motivé par « la protection de l’environnement dans les zones classées en raison de l’intérêt qu’elles présentent pour la collectivité de sorte qu’elle est justifiée par une cause d’utilité publique ».
« L’atteinte à la biodiversité prime sur l’intérêt privé »
« La juridiction judiciaire est garante du contrôle de la proportionnalité entre les règles d’urbanisme et le droit au respect de son domicile. La Cour d’appel a considéré que l’atteinte à la biodiversité prime sur l’intérêt privé, l’intérêt familial. Eu égard à ce principe, elle a considéré que la seule solution est la destruction », décrypte Émilie Troncin, l’avocate de l’Ader. Elle considère cette décision comme plutôt rare et qui pourrait s’avérer importante pour la jurisprudence. Dans beaucoup de dossiers, les promoteurs de constructions illégales finissent par trouver une voie de régularisation. Les dossiers suivis par l’avocate inscrite au barreau de Montpellier ne sont jamais allés jusqu’au recours à la force publique pour procéder à la destruction. Au milieu des années 2010, l’Ader avait porté une autre affaire à la médiatisation retentissante en attaquant la construction d’un local piscine de 100 m² sur la propriété d’Inès de la Fressange dans la Montagnette. Après des rebonds judiciaires et politiques, l’ancienne égérie de la mode est parvenue à conserver 30 m².
Cédric Marcel et Stéphane Berlandier ont porté leurs affaires jusqu’à la Cour de cassation, en vain. Leurs pourvois ont été rejetés le 7 novembre 2019. La Cour n’a rien trouvé d’irrégulier dans les écritures des arrêts rendus à Aix-en-Provence. Contactés, ni les agriculteurs, ni leurs avocats ne nous ont répondu. Selon le texte du jugement du tribunal de Tarascon rendu dernièrement, Stéphane Berlandier a expliqué à l’audience avoir eu des difficultés à trouver un autre logement, s’étant heurté « aux contraintes d’urbanisme de la commune de Tarascon rendant difficile la recherche d’un terrain pour construire », afin de pouvoir faire déménager sa famille et son exploitation. Cédric Marcel a exprimé les même arguments.
En outre, Stéphane Berlandier et Cédric Marcel ont développé de cocasses défenses. Le premier précisant « avoir subi les conséquences de l’épisode de gel du mois d’avril suscitant un préjudice financier. » Tandis que le second brandissait, « la certification d’exploitation de haute valeur environnementale, dont dispose son activité, comme « satisfaisant aux préoccupations d’environnement de l’Ader et attestant ainsi de sa bonne foi. » » « La seule chose qu’ils peuvent faire, c’est gagner du temps », estime Émilie Troncin.
Des permis provisoires délivrés en dépit d’une condamnation
Ce qui interroge peut-être le plus concernant ces affaires, c’est l’attitude de la mairie de Tarascon. Elle est déjà fautive à l’origine, en ayant délivré les permis de construire initiaux. Les arrêts de la Cour d’appel le reconnaissent ainsi : « conformément au principe selon lequel l’illégalité commise dans la délivrance d’un permis de construire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune », Cédric Marcel et Stéphane Berlandier disposent « de la possibilité d’agir contre la commune de Tarascon en vue d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de la privation de [leur] propriété ».
La mairie de Tarascon a également délivré des permis précaires pour une durée de deux ans, en septembre 2019, juste avant l’examen des dossiers pas la Cour de cassation. Pour Émilie Troncin, « le maire fait une confusion entre ses ordres distincts et l’ordre judiciaire. Un maire ne peut pas aller à l’encontre de la chose jugée. » Ces permis provisoires n’ont donc pas de valeur. Contacté, Lucien Limousin n’a pas donné suite à nos sollicitations dans le temps imparti à la publication de cet article. Selon Philippe Chansigaud de l’Ader, l’action de son association pallie une carence de l’État. « Finalement, c’est nous les associations qui portons les intérêts de l’État. Si nous ne bataillons pas en justice, à un moment donné, avec le temps qui passe, les communes régularisent », dit-il. Justice a été rendue mais pour l’heure la force publique ne vient toujours pas.
Pierre Isnard-Dupuy

 

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