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La foi de Consuelo

La foi de Consuelo

Entre l’Équateur et la France, le trait d’union s’appelle Beaucaire. Le long du Rhône, la communauté latino-américaine courbe le dos aux champs, lutte pour ses papiers et espère un avenir différent pour ses enfants que celui promis dans les Andes. Consuelo et sa famille se sont installées ici il y a plusieurs années. Les temps sont difficiles mais la foi est profonde.

Eric Besatti

Au moment où Diego passe la porte, la journée de récolte en plein cagnard et les ultimes marches de l’escalier tirent les traits du visage. Sur sa tête, une casquette doublée d’un sombrero. Il faisait horriblement chaud aujourd’hui dans les champs de melons. Rapidement, Diego reprend son sourire pour saluer le service informatique improvisé sur la table du salon. Aux côtés d’Erick, son beau-fils, je travaille sur la numérisation de documents qui serviront à constituer  »le dossier ».

« Le dossier » Aujourd’hui, le récit de sa journée de travail est spécial. Dans les vergers de Sommières dans le Gard, un tracteur a vacillé puis a renversé ses tonnes de melons. A la réception, le bras écrasé d’un compañero et personne pour l’emmener sur le champ à l’hôpital. Il fallait suivre les ordres des chefs. Et le chef ne voulait pas. Mais attendre la pause avec un blessé allongé en train de souffrir sur le côté : personne n’a trouvé ça normal. Alors, un plus téméraire que les autres a sorti son téléphone pour filmer le conflit avec le patron. Histoire de témoigner si besoin était. Quand on est immigré, sans parler la langue ni avoir de papiers à jour : les armes se font rares.

Lavée de sa journée et les cheveux encore mouillés de la douche Consuelo descend les escaliers. Elle est rentrée depuis deux heures des champs et signale qu’elle vient de recevoir la lettre de recommandation de son employeuse à ajouter au « dossier ». Avec l’autorité naturelle de la mère de famille qui décide en pensant au bien des siens, elle veille à la concentration d’Erick, son aîné, pour s’assurer que le document intègre bien le dossier comme le certificat de scolarité à l’Institut Emmanuel d’Alzon du petit Julian, le cadet. Tout est bon à prendre pour montrer l’intégration de la famille dans la société française. Le dossier pour l’avocate doit être complet. L’avenir en France de la famille en dépend.

La mama grande La mère de Consuelo, Nelly, est la première de la famille à s’être installée à Beaucaire après avoir vécu en Espagne. Elle fait partie de la vague migratoire équatorienne de la crise économique des années 2000.  »Privilège » des anciens colonisés, les Équatoriens n’avaient pas besoin de visa pour voyager en touristes pour l’Espagne. Un simple passeport suffisait pour prendre son envol vers le rêve européen. Une fois arrivés, les  »touristes » ont cherché à travailler. Comme tout au long de l’histoire, les employeurs les moins regardants sur la validité des papiers se trouvent là où les tâches sont les plus rudes. Au sud de l’Espagne, dans le verger de l’Europe, la région de Murcia a vu arriver des Équatoriens et autres Latinos par centaines. De bouche à oreille, de proches en proches, les centaines se comptent bientôt en milliers… Et voici une communauté nombreuse et solidement installée. Devant l’évidence du besoin en main-d’œuvre, l’Espagne a ensuite régularisé les papiers des nouveaux arrivants après des années de présence et de travail. Pendant ce temps, femmes et hommes vivaient dans la peur du contrôle d’identité. En 2008, quand la crise espagnole fut venue, l’abondance de main-d’œuvre en Espagne couplée aux besoins massifs de l’agriculture française a donné des idées à des entrepreneurs peu scrupuleux. Terra Fecundis pour la plus connue, importe des ouvriers agricoles jusqu’en Provence pour les faire travailler sous le droit espagnol. Renommé Work for all après des condamnations pour fraudes, l’exemple est bien connu par les tribunaux comme les exploitants agricoles qui produisent nos fruits et légumes. Nelly est arrivée comme ça et travaille toujours dans les champs.

Nelly a été la première de la famille à s’installer à Beaucaire après avoir vécu en Espagne. Elle est arrivée pour travailler dans les champs avec l’entreprise Terra Fecundis. Photo Vanessa Sirven.

Pour l’anniversaire de ses 62 ans, famille et amis sont rassemblés dans l’appartement beaucairois de Nelly. Sur la table : un téléphone branché sur Whatsapp. Il envoie l’image et le son aux enfants restés de l’autre côté de l’Atlantique. Solennellement, elle prend la parole devant les siens pour le tour des remerciements. « Depuis les fondations jusqu’au toit, j’ai toujours tout fait pour mes enfants. J’au toujours fait ça pour vous, même si c’était dur à comprendre, je l’ai fait pour vous » Quand il a fallu émigrer, elle a vécu le déchirement de laisser ses enfants derrière elle. Luis, Jessi, Romel, Sandra et Consuelo, l’aînée de la fratrie, ont grandi sans leur mère. Une déchirure de l’éloignement que ne compensent pas les études qu’elle paye aujourd’hui pour l’école privée ou militaire de ses petits-enfants. Alors il y a trois ans, Consuelo a voulu rejoindre sa mère que la vie lui a enlevée. Arrivée pour le tourisme, elle a immédiatement demandé un rapprochement familial, obtenu un récépissé qui lui permettait de travailler. Au début de l’été, en plein contrat de travail, elle reçoit une OQTF pour  »obligation de quitter le territoire français ». Elle a trente jours pour sortir du pays. La situation est critique. Alors comme tout au long de sa vie, la lucha continue et Consuelo décide de faire appel. De se battre et de constituer un « dossier », sans connaître les lois, mais persuadée que sa démarche est légitime. « J’ai toujours été dans les règles, j’ai travaillé quand je pouvais le faire, toujours demandé les papiers qu’il fallait depuis mon premier jour ici. » Dans le climat français actuel : la froideur des administrations et tribunaux avec les étrangers. La directive européenne qui invoque le droit de vivre en famille est interprétée d’une manière très stricte par les tribunaux administratifs. Les préfectures ne lâchent rien et surtout pas des visas. L’avocat de Nîmes alerte. L’époque n’est pas favorable, le recours a peu de chance d’aboutir. Alors Consuelo change d’avocat pour un autre, un Arlésien avec qui le courant passe mieux. « Lui, je sens qu’il a l’énergie et la conviction. » Son premier critère au delà de la connaissance des lois : sentir la foi qui l’anime dans le cœur des gens qui la défendent.

A Hierba Buena, hameau perché dans les Andes, Rosa, la mère de Diego a vu partir son fils pour s’offrir un avenir meilleur. Son quotidien : l’élevage et l’agriculture vivrière. Photo : E.B.

Aller à Sigchos et comprendre Consuelo me l’avait dit. Pour comprendre pourquoi l’Équateur perd ses habitants, il faut que je rende visite à la mère de son mari Diego, hors des villes et de leur confort. Dans les Andes, à deux heures de bus de la Panamerica, l’autoroute qui traverse les Amériques du Sud au Nord, Sigchos est perché à 2800 mètres d’altitude. Ensuite, il faut prendre une furgoneta et serpenter une vingtaine de minutes les chemins de terre dans des paysages ressemblant un peu aux Cévennes. Des montagnes, des falaises et du vert. Des lamas, des vaches et des moutons. Dans les quatre murs aveugles, bonnet enfoncé jusqu’au front, Rosa m’accueille avec le sourire ridé d’une vie proche du soleil et la vérité du travail de la terre. Ici l’agriculture est vivrière. Maïs, flageolets, fèves, poules, vaches, moutons et des chèvres. Mais il faut attendre sept mois avant les récoltes, l’argent et la nourriture qui vont avec. Et encore, quand les poules mal attachées ne picorent pas le travail de semis. Alors entre temps, il faut parfois se lever à cinq heures du matin pour aller vendre un mouton à la foire aux bestiaux du lundi à Guantoalo. Pour s’acheter à manger le reste du temps. Et acheter des affaires pour les petites filles.

Ici, la famille pense à Diego, parti vivre en France. L’espoir perdure qu’il revienne au moins pour les vacances et voie grandir ses nièces qui s’entassent à trois sur un matelas. Qu’il puisse revoir sa mère. Peut-être un jour, lui offrira-t-il une cuisine. Mais d’abord la literie, un vrai matelas à 200 dollars pour qu’elle puisse bien se reposer entre deux journées où elle assume le travail éreintant de la traite dès la madrugada et la cuisine, à base de lait du soir au matin. Quand elle s’assoit, Rosa ferme les yeux et somnole. Curieuse mais pas très causante. La discussion doit susciter plus d’intérêt que celui d’une micro-sieste.

Ici comme partout en Equateur, comme dans tout le pays, avec un salaire minimum de 450 dollars, on est loin du panier moyen à 763 dollars d’un couple avec un enfant calculé par l’Inec (l’Insee d’Équateur) à 763 dollars. Puis le reste : pas vraiment de retraite, il faut payer dès qu’il faut se soigner, les hôpitaux publics manquent de personnels et de moyens. L’assurance chômage ? Un concept difficile à saisir. Pendant une décennie, entre 2007 et 2017, le président Rafaël Correa, vu en Occident comme un altermondialiste de gauche, avait eu le mérite de retenir les Équatoriens en Équateur. Des investissements dans des grandes infrastructures routières, dans la santé et l’éducation ont permis de freiner la courbe des départs.

Fuir la pauvreté como siempre Le président équatorien actuel, Guillermo Lasso est comme Emmanuel Macron, banquier de profession. Il baisse l’investissement public dans l’enseignement et la santé, croit en ses amis entrepreneurs et à la libre concurrence. En 1999, il était déjà aux responsabilités quand la violente crise financière pousse du jour au lendemain des familles entières dans la pauvreté : des banques ferment avec l’épargne de leurs clients, le taux de pauvreté explose comme l’inflation et le chômage. Le pays passe au dollar aggravant une situation explosive. Tout le monde est ruiné et le pays tombe dans la misère, la vraie. Entre 1,5 et 2 millions des 15 millions d’Équatoriens quittent le pays entre 1999 et 2003. Une fuite de 10% de la population du pays avec l’Espagne comme destination privilégiée. Comme pour Nelly, la mère de Consuelo.

Aujourd’hui, le pays connaît une nouvelle vague de départs, cette fois pour échapper à l’insécurité. En Équateur, il y a 18 morts violentes par jour, un peu comme en Colombie où les narcos font leurs lois. Sauf qu’en Équateur, c’est nouveau. Dans les quartiers qu’ils occupent, les narcos demandent la bacouna aux commerçants, une rançon en échange de leur  »protection ». À Guayaquil, en janvier, une pharmacienne a été tuée à bout portant pour avoir refusé de se plier à la loi de la mafia.

Les organisations criminelles gangrènent jusqu’au cœur de l’État. La dernière grande affaire politico-financière a été nommée Caso gran padrino, par le média La Posta, une sorte de Mediapart. Il s’agissait notamment de révélations sur l’influence de la mafia albanaise au sein de l’appareil étatique. Des proximités avec le ministère de l’agriculture ont permis d’assouplir les règles d’exportation de bananes. L’Équateur en est le premier exportateur mondial, alors dans la masse des containers envoyés aux Pays-Bas ou ailleurs, la coke peut facilement se mélanger avec l’or jaune. Pour ce que l’on trouve des productions équatoriennes sur les rayons officiel, à Arles comme partout en France, les plus connues restent surtout celles des crevettes et du chocolat. Pour ce qui est du journalisme, El Boscan, l’Edwy Plenel local qui a orchestré les révélations sur la corruption du président, a dû quitter le pays au mois de juillet. Menacé, il ne voulait pas connaître le même sort que Fernando Villavicencio, journaliste de profession et candidat à la présidentielle assassiné le 9 août à la sortie d’un de ses meetings.

En cette année 2023, Erick, le fils de Consuelo, participe à la première procession de la Virgen de el Cisne de Beaucaire, la vierge adulée en Équateur qui se fait progressivement une place dans la ville et la liturgie locale. Photo Vanessa Sirven.

La première fois de la vierge Julian, le petit-fils de Rosa de Sigchos et de Nelly de Beaucaire, fils de Consuelo et de Diego, est en première ligne. Ce 20 août à Beaucaire, c’est la première procession officielle de la Virgen de el Cisne. En Équateur, des centaines de milliers de personnes affluent vers un petit village dans le sud du pays. Toutes les Andes fêtent la vierge aux infinis miracles. Dans les rues de Beaucaire, un homme raconte la guérison de son œil promis à la perte. L’année dernière, la mairie avait refusé la demande. Cette année, c’est in extremis que les fidèles ont reçu l’autorisation de marcher quelques centaines de mètres de l’église Saint-Paul à Notre-Dame. Quelques centaines de mètres, mais un symbole fort. Celui de l’apport des Latinos dans la culture du territoire. Les visages sont graves dans le cortège, enlunettés chez les badauds et fier pour Julian, qui porte la croix dans sa tunique blanche d’enfant de chœur. Ses cheveux noir profond brillent avec le gel. Un petit sourire alterne avec un regard concentré, à la mesure de la dévotion requise par le moment. Après la messe en espagnol, pour ce jour exceptionnel, un petit apéritif est prévu. Les chips et le soda sur-sucré qu’on trouve à la Tienda latina sont de sortie. Les petits groupes se forment. Nelly en vient à parler de son association, Latinos sin fronteras, à une nouvelle habitante qui cherche à apprendre le français. Les places sont rares pour les cours, il manque des professeurs et des places pour accueillir toutes les volontés d’apprendre. A Tarsacon, en face de Beaucaire, de l’autre côté du Rhône, c’est le même problème au Cursos Santiago, l’association portée principalement par des bénévoles du Secours catholique.

Nelly porte le surnom de Mama grande dans son entourage tant elle en impose quand elle est déterminée. En trois ans, la présidente de Latinos sin fronteras a monté avec l’appui de militants du Codetras (Collectif de défense des travailleur.euse.s étranger.ère.s dans l’agriculture) : une permanence d’aide aux démarches administratives tous les samedis et des cours de français tous les jours. Pour elle, sa famille comme sa communauté, elle rêve d’une intégration harmonieuse à la société d’accueil. « Nous ne voulons pas être vus seulement comme des travailleurs mais comme des citoyens à part entière. Nous voulons partager la culture locale et montrer celle dont nous venons, participer à la vie du village. La route est longue, mais c’est ce que nous voulons. »

La cancha comme refuge Sur la commune d’Arles, à quelques kilomètres de Beaucaire, entre le Rhône et des champs de tomates, le son de la cumbia retentit dans un morceau d’Amérique du Sud. C’est la cancha, un peu comme une manade dans les années 1990 : simple et joyeux. Des gens se retrouvent pour passer une journée, manger et boire quand certains font du sport. Sauf qu’à la place des arènes, il y a des terrains de volley et au comptoir, les bières Corona remplacent le pastis. L’objectif ? Reconstruire la culture de son pays à petite échelle. Se réchauffer le cœur après et avant une semaine de dur labeur dans les champs. C’est le seul moment où les Latinos peuvent décompresser. Des liens se font, des personnes se rencontrent. Vincente, surnommé El Zurdo, le propriétaire des lieux, milite également pour l’intégration de la communauté équatorienne dans la société française. Il a créé une association sportive pour officialiser le lieu et s’établir sur le long terme. Malgré son implication, sa famille n’est pas épargnée non plus par les fameuses quatre lettres d’OQTF pour obligations de quitter le territoire. Son expérience a forgé une croyance qui le porte à penser que la solution est de déménager à Arles. Changer de département pour échapper à la préfecture de Nîmes et sa réputation de dureté. Autour de lui, il voit des familles faire le choix de partir à nouveau et changer de pays pour des destinations réputées plus hospitalières. Il cite l’Allemagne, la Suisse, le Canada… Le goût est amer. « Nous donnons tout, nous travaillons durement toute l’année. Et en retour, nous recevons des papiers nous disant de partir, on n’arrive pas à obtenir des papiers pour rester. C’est normal ça ? ».

Des canchas qui réunissent la diaspora équatorienne et latina, il y en a partout dans le monde. À Totana, le Beaucaire du sud de l’Espagne, Madrid, Jonquières, Châteaurenard, Cavaillon…. En Équateur, elles sont souvent au centre du village. A Arles, celle de Vincente est grande, organise des événements, des championnats. Des Équatoriens d’Espagne, champions d’ecua-volley s’y déplacent pour les grandes dates. Lors du solstice d’été, on y fête Inti Raymi, la fête du soleil inca. Dans quelques temps, quand les Français auront découvert le lieu, peut-être se déroulera-t-il une rencontre amicale avec le VBA, le club de volley d’Arles ? Pour l’instant, les Latinos y trouvent un refuge. Et restent souvent entre eux. Comme dans les champs. Ce qui n’accélère pas la maîtrise du français… Ceux qui travaillent dans la construction ou la logistique à Saint-Martin ou l’industrie à Fos ont un apprentissage plus rapide. Mais ils sont encore rares. Les enfants scolarisés auront moins de mal avec la langue. Ma grand-mère arrivée pour travailler dans les mêmes champs dans les années 1960 depuis Valencia, ne parle toujours pas bien le français. Le schéma sera certainement le même.

Rejet municipal Le maire de Beaucaire, Julien Sanchez, a l’idéologie dure. Depuis 2014, il fait partie de cette vague de nouveaux élus de l’extrême droite au pouvoir dans les mairies. S’il ne dérape pas verbalement, sa politique relève pourtant du rejet de l’autre et du refus de la différence. Comme un petit problème avec tout ce qui sonne étranger sur le sol français. D’abord, il s’agissait de lutter contre la  »kébabisation » des commerces. Des mots répétés à l’envi en campagne. Et pour ce faire, il a une technique. Dès qu’un local est à la vente et que l’acquéreur ne rentre pas dans le moule, la mairie achète. Il ne veut pas non plus que des commerces destinés aux Latinos se développent dans la ville. Un boulanger latino, muni de son document en règle de la Chambre de commerce du Gard, s’est vu refuser une location. L’argument, prononcé par les services de la mairie : il fallait qu’il s’intègre à la culture française, mange et fabrique le bon pain de chez nous. Que son pain à l’équatorienne, pan con queso, pan de coco n’avait pas sa place dans la rue Nationale, l’artère centrale du centre-ville.

Pareil pour German, le patron de Tienda latina, le premier et seul commerce de produits latinos qui a pu ouvrir dans la rue. Installé depuis neuf ans et depuis longtemps à l’étroit, il essaie en vain, d’acheter ou louer des locaux plus grands. Deux fois, juste avant de signer l’achat d’un local, le notaire lui a signifié l’impossibilité de conclure. En cause ? La mairie qui utilise son droit de préemption en achetant le bien. Les bases juridiques sont fragiles pour la mairie de Beaucaire, mais en face, pour les Latinos déjà occupés à comprendre le fonctionnement des déclarations d’impôts et de la sécurité sociale, les étapes sont nombreuses avant de pouvoir monter un dossier au Tribunal administratif contre la mairie de Beaucaire. German vient de Manabi, une province sur la côte pacifique de l’Équateur, face aux fameuses îles Galapagos. Alors les poissons ou autres fruits de mer, il aime et il s’y connaît. Il voulait ouvrir une poissonnerie dans la rue et avait trouver un local à louer. Mais même d’une poissonnerie avec des poissons bien de chez nous, la mairie n’a pas voulu. Pire, elle a fait obstruction en louant elle-même au propriétaire les locaux que German voulait louer au 2, rue Ledru Rollin. Aujourd’hui encore, la mairie paye pour un local vide et sans activité. Sur les documents distribués en conseil municipal pour justifier cette politique, le maire manie l’argument de la « revitalisation du centre-ville et de développement de l’activité commerciale et artisanale de ce périmètre  ». Une obstruction dans les rues de beaucaire comme le mépris dans les champs aux alentours. Un autre scandale. Mais la communauté doit faire avec. German a deux enfants qui maîtrisent parfaitement le français, et il mise tout sur l’éducation.

Mais la mairie n’envoie pas que des signaux de rejet à la communauté latina. Le père Ronald Niño, originaire de Colombie, celui qui officie en espagnol le dimanche à Notre Dame à Beaucaire, constate une évolution et une bonne relation avec la mairie. Selon ses dernières discussions, pour 2024 elle autorisera la participation des latinos au défilé de la Madeleine, les grandes fêtes traditionnelles provençales qui se déroulent l’été. Un cortège avec musique et habits traditionnels andins. Peut-être l’odeur des municipales 2026 qui approchent ? Même s’il est impossible de savoir combien sont les Latinos sur les 16 000 habitants de Beaucaire : 2000, 3000, 4000, 5000… Les Latinos, n’ont pas encore pris pleinement conscience du poids électoral qu’ils peuvent avoir. Les ressortissants espagnols comme ceux de toute l’Union européenne peuvent voter aux élections locales. Et la plupart des Latinos qui vivent à Beaucaire le sont.

Citoyennetés Le président Lasso a fini par être renversé par son Assemblée suite à une affaire de corruption. Alors cette année, l’Équateur connaît des élections anticipées. Le 28 août, devant les arènes de Beaucaire, une trentaine de personnes sont rassemblées autour d’un ordinateur posé sur un capot de voiture. La plupart portent des maillots jaune, bleu et rouge. Certains sont venus avec leurs drapeaux. La manifestation est en direct vidéo avec celle de Paris. Beaucaire-Paris, unis pour réclamer le bon fonctionnement du vote telematica. « Notre voix compte. Si nous avons émigré de notre pays, c’est pour aider nos proches, nous avons nos amis, nos familles en Équateur, nous sommes concernés par ce qu’il s’y passe, les Equatoriens de l’étranger, nous sommes l’une des trois principales ressources du pays », déclame Diana Garcia, talons hauts et voix portée par l’écho d’un micro pour enfant acheté sur le marché. Puis le groupe en chœur : « Queremos votar ! Queremos votar ! » « Respectez nos droits ! » Le second tour oppose la droite représentée par un fils de millionnaire et une femme de gauche héritière du Corréisme. Le deuxième est pour le 14 octobre.

La lutte continue Ce soir c’est l’anniversaire du petit Julian et toute la famille est autour de la table. Nelly, la mama grande, Consuelo et son mari Diego. Et le grand frère Erick qui a le bras bandé après son match de préparation avec le SC Beaucairois. Comme le veut la coutume, avant de souffler les bougies, chacun prend la parole s’il le souhaite. Traditionnellement, c’est l’hôte qui commence. Consuelo exhorte son fils « à être sérieux » à l’école. « Maintenant, tu es grand, il faut que tu sois responsable, c’est pour toi que tu travailles » À 10 ans, Julian a déjà conscience du poids des enjeux.

Le repas d’anniversaire se termine presque à l’heure française. Avant de partir, Diego confie la fin de l’histoire de l’accident avec les tonnes de melons. Le compagnon blessé est remis sur pied et a repris le travail. Celui qui a voulu filmer pour témoigner, a été viré sur-le-champ. C’est lundi soir et demain, il faut se lever tôt pour aller al campo. Et dans trois mois, se rendre au tribunal administratif de Nîmes pour savoir si Consuelo sera rejeté administrativement de la France.

[…]

« Non, la fin est trop triste, il faut plus d’espoir », rattrape Consuelo. « J’ai de l’espoir, la foi et je crois fort que la France va accueillir notre famille. Et même si on me demande de partir, je veux que mes enfants puissent rester. » Avec la foi, les croyants peuvent déplacer des montagnes. Et transformer Beaucaire en terre d’accueil ? ■

 


Suites : Annulation de l’obligation de quitter le territoire, un répit pour Consuelo

Installée à Beaucaire avec sa famille depuis plusieurs années, Consuelo se battait l’été dernier contre une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Comme l’essentiel de la main d’œuvre agricole, Consuelo est étrangère et a souvent des problèmes pour renouveler son droit de rester en France. Bonne nouvelle pour elle et sa famille, au mois de novembre, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision de la préfecture du Gard de l’obliger à quitter le territoire. Une décision rare. Son dossier, avec des enfants scolarisés, une intégration dans la vie beaucairoise a certainement compté aux yeux des juges. Rien n’est pourtant gagné, elle doit désormais attendre une nouvelle étude de son dossier pour obtenir un titre de séjour. Réponse fin janvier. Sans les travailleurs étrangers, c’est toute l’agro-industrie qui ne peut plus fonctionner.

Notre article, publié dans le numéro 17 en septembre dernier, raconte comment la foi de Consuelo et de sa famille les aide à continuer à espérer une vie meilleure en France. La version papier est encore disponible à la Maison de la presse d’Arles et en commande sur notre site internet.

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