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Barriol : le repli stratégique du sous effectif

Barriol : le repli stratégique du sous effectif

Sans directeur depuis plus d’un an, avec 50% de sous-effectif, le centre social Christian Chèze à Barriol agonise et tourne au ralenti. Après un déménagement dû à des problèmes de sécurité liés au réseau de drogue, il attend son renouveau en épuisant les agents encore présents.


Depuis le boulevard Allende au niveau du centre commercial, le cœur du quartier, le tag « Mort au traître », sert de panneau d’accueil. Ici commence la zone d’influence du réseau de drogue. Dès 10h du matin, le comité d’accueil, deux ados assis sur un siège recyclé d’une poubelle squattent en dessous de l’inscription « Garer vous ici ». Plus personne n’a l’air choqué. Tranquille. Barriol, comme de bien entendu !

Plus surprenant pour ces mois d’été : les grilles du centre social restent baissées toute la journée. Il a dû déménager, plus loin… pour des raisons de sécurité, pour s’éloigner de l’épicentre du réseau. Pour les agents, la vie et le service continuent, un peu plus loin, de l’autre côté du boulevard Allende qui coupe le quartier en deux. Le centre du quartier pour les dealers, la proche périphérie, plus calme, pour le centre social. Sorties pour les jeunes, activités pour les familles : la base des activités est assurée pour quelques dizaines d’habitants. Sans plus.

Sous-effectif coupable Le jour où le centre social a dû fermer, Pape Niang s’en souvient très bien. Le 1er juin 2023, l’ancien directeur du centre social, en formation à Arles, vient dire bonjour à ses anciens collègues. Sur place, il tombe sur une situation anormale. « J’ai vu des jeunes qui faisaient des allers-retours dans le centre social et trois agents dépassés par la situation qui n’osaient pas intervenir ni prévenir leur hiérarchie. » Depuis de longs mois, le centre social tourne alors avec 50% des postes vacants. Pas de directeur, pas de référent famille, pas d’animateur jeunesse. « On avait laissé le deal arriver devant le centre social. » À trois travailleurs ou à six, on n’occupe pas l’espace de la même manière, on ne fait pas corps de la même façon. « Pape avait le contact avec tous les jeunes dans le quartier, il n’avait pas peur d’aller au devant », se souvient une travailleuse sociale. Le sous-effectif s’est transformé en brèche dans laquelle se sont engouffrés des jeunes pour faire à leurs mains l’usage du lieu. Ce jour-là, l’ancien directeur sort son téléphone et insiste pour parler directement à Érick Souque, adjoint de la majorité et président de l’Epacsa, l’établissement public qui gère les centres sociaux arlésiens. Et décision est prise de fermer le centre social. Dès le lendemain, il déménagera dans des locaux temporaires.

Pape Niang, l’ancien directeur est parti en mai 2022. La mairie a mis un an pour recruter un remplaçant… qui n’a pas souhaité continuer à l’issue de sa période d’essai. La référente famille partie à la retraite à l’été 2022 ? Pas encore remplacée. L’animateur jeunesse ? Parti au printemps et pas encore remplacé. Cet été, le centre a travaillé avec deux vacataires pour continuer à proposer des activités. « Ce n’est pas avec des vacataires que l’on construit un projet social », sait Pape Niang. « Il faut de la continuité pour créer de la confiance et construire un projet utile avec les habitants. »

Projet social empêché La continuité, c’est précisément ce que n’a pas permis la municipalité par ses choix. L’ancien directeur en fin de contrat en mai 2022 voulait rester à son poste, porter le nouveau « projet social » pour Barriol. Ce fameux  »projet » est un document travaillé avec les habitants qui permet de définir les orientations du centre social et, le plus important, obtenir l’agrément  »centre social » de la Caisse d’allocations familiales et l’argent qui va avec. Un projet social est à mener sur trois ans. Pour porter le  »projet social », l’ancien directeur demandait un contrat de trois ans à la municipalité, chose qu’il n’a pas obtenue. Pourtant, la direction, malgré un soutien des cadres de la mairie, n’a pas eu l’aval des élus. « Un directeur, ce n’est pas quelqu’un que l’on peut remplacer tous les ans. Il ne peut pas lui-même se retrouver en position de précarité d’emploi. Pour travailler avec des publics fragilisés, il faut une stabilité et la confiance de sa hiérarchie », explique Pape. Résultat, il a accepté un contrat de quatre ans remplacé par un CDI à Port-de-Bouc. Non sans regretter Arles et Barriol : « j’étais motivé, mais il n’y avait pas de reconnaissance, la mairie ne se rendait pas compte du travail que l’on réalisait ».

« Ce sont des métiers du lien et créer du lien, ça demande du temps. On implique, on mobilise et derrière ça tombe à l’eau. », regrette Pape Niang. Il prend l’exemple du projet de  »tiers-lieu éducatif », ce  »local jeunes » promis qui n’est jamais arrivé. « On avait mobilisé les jeunes, les parents. Les élus avaient dit oui, le bailleur était d’accord pour l’occupation d’un local : il ne manquait plus que la signature du maire. Au moment de signer, on m’a dit que j’allais trop vite. On travaille sur le pouvoir d’agir, de monter des projets, de dire que c’est possible et au final ça ne se fait pas. Les gens finissent par ne plus y croire. Là aussi, il y a eu un manque de confiance. On voulait montrer aux jeunes qu’ils pouvaient finaliser leurs rêves. Les habitants, ils sont là, mais il manque de la confiance. C’est ça qui me désole »

Loin de vouloir régler ses comptes, l’ancien directeur aimerait que la mairie se questionne sur les raisons du turn-over dans les centres sociaux. « Je suis inquiet pour mes anciens collègues en sous-effectif. Une pause d’un an sans directeur, sans projet social qui permet de mobiliser, c’est usant et épuisant pour ceux qui restent. Ça a cassé la dynamique, aujourd’hui tout est à reconstruire. » À commencer par ne pas perdre l’agrément Caf, qui permet les financements de l’Etat, mais qui nécessite de rendre un dossier qui passe en commission. Un document qui demande des mois de travail et que la mairie devait rendre en mai dernier.

Les trois agents titulaires qui font encore vivre ce qui reste du centre social vont-ils retrouver une situation normale avec les six agents présents au centre ? Sous quels délais ? Quand pourront-ils reconstruire des projets sur le long terme ? La municipalité va-t-elle mettre les moyens pour faire réellement vivre ses centres sociaux ? Pour la même taille de quartier, il y a 23 postes au centre social de Canourgue à Salon-de-Provence. Ou va-t-elle continuer à regarder la situation se dégrader ? « Les habitants râlent, ils disent qu’il ne se passe rien, il faut remettre les choses en place », suggère Mehdi Savalli, représentant des usagers du centre social de Barriol, au conseil d’administration de l’Epacsa. « Il faut organiser plus de choses. Il manque des éducateurs, il faut un directeur, dans ces conditions, c’est normal que les gens pètent les plombs. »

« Barriol connaît, certes, un problème de stabilité de son encadrement, il y a quand même dans l’équipe des gens qui sont là depuis très longtemps et qui restent », relativisait Carole-Guintoli, adjointe à l’égalité des chances, lors du conseil municipal du 6 juillet dernier. « Il y a actuellement une fiche de poste pour recruter à nouveau un directeur et nous avons à l’heure actuelle deux candidatures à examiner très vite. Il y aura des activités, des ateliers, des sorties, du cinéma en plein air. La fête du quartier a rassemblé beaucoup de monde. Donc les Barriolais s’intéressent à ce que la municipalité fait et sont présents. Donc Barriol vit, j’allais dire un peu comme d’habitude. » Alors si c’est comme d’habitude… ■ E.B.

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