Mas-Blanc : Dévoiement d’une maison de santé ?
La maison régionale de santé de Mas-Blanc-des-Alpilles va devenir une clinique dentaire pour faire de beaux sourires. Depuis notre enquête parue dans le numéro 23 (printemps 2025), la conseil municipal a voté, en août 2025, la vente de l’équipement public, initialement financé pour 1 million d’euros. Le dentiste l’acquiert pour 400 500 euros. Découvrant en 2023 le pot aux roses, la médecin a alors claqué la porte. Depuis, plus de docteur dans cet établissement, y compris dans un nouveau bâtiment prévue pour y déménager les praticiens non-dentistes, dont la construction a démarré en septembre 2025. Opération à 800 000 euros. Ce qui fait beaucoup d’argent public pour une commune de 500 habitants, qui reste sans solution de soins de proximité.
Publié dans l’Arlésienne n°22, décembre 2024, mis-à-jour le 9 septembre 2025.
« Vous venez remplacer le docteur Pacheco ? » Au comptoir du bar-épicerie de Mas-Blanc-des-Alpilles, à peine le sujet de la médecine locale est évoqué que la question fuse à destination du journaliste de l’Arlésienne. Elle traduit une attente forte pour qu’un médecin généraliste s’installe sur la commune. Moulons d’autres Masblancais et Masblancaises que nous avons rencontrés en ont aussi témoigné. Avec l’espoir de s’épargner des dizaines de kilomètres en voiture pour aller consulter.
La commune dispose pourtant d’une rutilante « maison régionale de santé », inaugurée en 2015. À l’entrée du bourg, elle se dévoile derrière son grand panneau métallique visible depuis la départementale dans le sens Saint-Rémy Arles. À côté des plaques du dentiste, de l’orthophoniste et de la psychologue, un espace reste vacant. Plus surprenant, dans le bâtiment, on trouve aussi un cabinet d’avocats, ainsi que la boutique d’un grossiste d’ustensiles de cuisine. Ce dernier a pris la place d’un réparateur informatique. De maison de santé, la bâtisse n’a peut-être plus que le nom inscrit en lettres d’acier sur sa façade.
Pas de médecin généraliste
Et pour cause, la docteure Régine Pacheco a claqué la porte du lieu en septembre 2023, après huit ans de loyaux services. Lasse, elle dénonce un dévoiement de la mission de santé de proximité du lieu au profit des activités commerciales du dentiste. Celui-ci pourrait se porter acquéreur des locaux médicaux. Ce que nous confirment l’intéressé, Gaël Maudoigt et le maire, Laurent Geslin. Le projet a été exposé en conseil municipal dès 2021 et évoqué plus tôt entre le maire, le premier adjoint et le dentiste, selon ce dernier, au moment du démarrage du lieu de soins il y a dix ans. Loin des conciliabules entre élus et dentiste, Régine Pacheco a découvert la possible vente de la bouche de patients et patientes au printemps 2023.
Avec ses 200 mètres carrés au sol pour un coût de réalisation d’un million d’euros — financé à 40 % par la région, 40 % par le département et 20 % par la commune — cette maison de santé a de quoi rendre envieux nombre de plus gros bourgs alentour. La commune, « tout petit carré de terre sur le versant Nord-Ouest des Alpilles », comme le proclame sa devise, est la plus petite en superficie des Bouches-du-Rhône. C’est aussi l’une des moins peuplées du département, avec un peu plus de 500 habitants.
Sur les plaques de soignants, un médecin généraliste brille par son absence.
C’est à la place de ce boulodrome que la Mairie souhaite construire une extension de la maison de santé. Photos : P.I-D
Si la vente se réalisait, le dentiste serait alors à la tête de ce que Régine Pacheco qualifie de « clinique dentaire, pour faire de l’implantologie. Autrement dit pour faire des dents blanches. On est loin du soin de proximité remboursé par la sécurité sociale », ne décolère pas la docteure, désormais à la retraite. Or le cahier des charges des maisons régionales de santé prévoit l’installation en priorité de professionnels de santé pratiquant des actes conventionnés sans dépassement d’honoraires. Objectif formulé par la Région : « garantir une égalité d’accès aux soins et à la prévention pour tous les citoyens », tel qu’il est écrit dans le guide à l’usage des porteurs de projet. La politique des maisons régionales de santé a été promue dans les années 2010 sous la mandature de l’homme fort d’alors, Michel Vauzelle (PS), président de région et député de la circonscription.
Le dentiste — que l’Arlésienne a rencontré mais qui ne souhaite pas être cité — réfute le qualificatif de clinique dentaire et informe qu’il fait aussi des soins conventionnés. Mais l’intitulé et le slogan de sa société médicale ne laissent aucun doute sur ses priorités : « Smile Perspective met l’accent sur votre sourire ». Les autres praticiennes (pour l’heure, uniquement des femmes) seraient contraintes de déménager dans une future extension, construite à la place d’un boulodrome attenant, en bord de départementale au trafic de camions incessant. Ce qui a fait voir rouge à Régine Pacheco, également informée par des tiers à ce propos. « Je n’allais pas soigner en bord de route avec autant de bruit. C’est horrible et inadapté à la pratique de la médecine », affirme-t-elle.
Matériel de dentisterie payé sur fonds publics
L’agrandissement projeté est lui aussi somptuaire. 800 000 euros sur lesquels le maire espère un engagement régional et départemental pour couvrir la moitié de l’enveloppe. En août 2024, le conseil municipal a déjà validé la réaffectation de 193 000 euros de subventions départementales pour les investissements à l’extension de la maison de santé. Le panneau de chantier posé sur le boulodrome informe d’une surface de plancher à bâtir de 276 mètres carrés. Le permis de construire a été validé.
Pour le maire, cette nouvelle débauche d’argent public est tout à la fois un moyen de faire en sorte que le dentiste « qui veut se développer » ne déménage pas, tout en améliorant les conditions d’accueil du public. « Aujourd’hui la salle d’attente est mélangée. Ça permettrait d’avoir des salles d’attente séparées », assure Laurent Geslin. Son credo depuis 2008 et sa première élection : ériger « un centre de village pour ne plus être un village dortoir. C’est l’objectif de notre mandature », argumente-t-il depuis sa mairie aux airs de showroom d’ameublement design. Le maire brandit donc le maintien du dentiste et de la maison de santé au service de cette vision. « C’est une décision du conseil municipal. On travaille pour la collectivité, pour le dynamisme du village. On ne travaille pas pour l’individualisme », soupèse Laurent Geslin.
Mais la temporalité et les chiffres autour de ce dossier ont de quoi interroger la probité dans l’usage de l’argent public. En deçà des dix ans, la municipalité aurait été contrainte de rembourser les subventions en cas de changement de vocation des locaux de l’actuelle maison de santé. Pratique, le délai vient de passer, en même temps que la vente et l’extension sont mises dans les tuyaux. Laurent Geslin nous informe par ailleurs que le prix du rez-de-chaussée de la maison de santé a été évalué par France Domaine à 400 500 euros. « Si on vendait, ce serait du cash correspondant à 20 ans de loyers que l’on récupérerait », se satisfait-il.
Pour Régine Pacheco, c’est un cadeau au dentiste, qui a déjà bénéficié du financement de son matériel sur une partie de l’enveloppe d’un million d’euros pour la maison de santé. Ce que la docteure a aussi appris dans le cadre de ses consultations. « Cette opération a été faite en accord avec la Région, justifie le maire. La Région nous avait dédié 150 000 euros pour embaucher une personne pour l’accueil. Ce qui finalement ne s’avérait pas nécessaire et a été réaffecté », pour au moins un fauteuil de dentiste et la radiographie, d’après nos informations, confirmées par le maire.
Les nouveaux locaux prévus accueilleront-ils un généraliste ? Rien n’est moins sûr. Les Masblancais et Masblancaises rencontrés estiment que le maire ne se bouge pas le tafanari pour que cela arrive. « C’est compliqué de trouver un médecin. Le docteur Pacheco n’en a pas trouvé pour prendre sa suite, alors imaginez pour nous en tant qu’élus », rétorque Laurent Geslin. Alors quel type de soignants au service de la population communale ? Le dentiste ? Selon Laurent Geslin, il affiche un objectif de « 3 000 clients. Ce n’est pas Mas-Blanc qui fera 3 000 clients », selon la propre considération du maire. La psychologue ? Elle privilégie désormais les téléconsultations car elle a déménagé à Béziers. Ils sont loin les soins de proximité. À Mas-Blanc, la santé a bon dos, certainement pas besoin de l’installation d’un ostéopathe. 🩺
Pierre Isnard-Dupuy
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