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Y’a les lois, la rue et les lois d’la rue

Y’a les lois, la rue et les lois d’la rue

Après avoir glissé, les habitants de la rue vivent souvent une putain de galère.

Il est autour de 22h une soirée d’hiver de mistral glaçant. Un mec galère sur son fauteuil roulant en essayant de remonter la pente des arènes. Je peux vous aider ? Ah ouais, merci. Tu vis où ? En haut là. Alors je le pousse. Il est handicapé à cause de sa colonne vertébrale, présente des bras usés et des mains gonflées, pas vieux, mais la gueule abîmée. Je parle pas trop, il est fatigué. On arrive, c’est ici qu’il vit. Une petite tente bleue tient difficilement. Thierry vit au fond de la place de la Redoute. Il dit merci pour le service même si pour lui, c’est toujours la même merde.

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Une fois, deux fois, trois fois à passer devant. Quelques bières et clopes lâchées au gré du contenu des poches et du sac. Puis la marche pour la solidarité approche d’Arles, la Fondation Luma organise une semaine autour de l’hospitalité. Comme une impression que l’espace public, comme moi, passe à côté de cette réalité sans trop vouloir savoir. Alors il faut enfin passer à l’acte : c’est aujourd’hui, vendredi 4 mai.

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Je me lance : bonjour, je suis journaliste, c’est pour parler… Des gens qui vivent dans la rue, complète Mickaël, l’acolyte de Thierry depuis deux petites semaines. C’est un jeune homme, la trentaine pas plus, propre sur lui, visage fin, habits soignés et démarche posée. Il est énervé. Il peste contre les institutions. Avec son traitement, il devrait être prioritaire pour obtenir un logement. Ça serait un bon début, dit-il. Il voudrait qu’on lui permette d’habiter sous un toit avec Thierry, ils pourraient commencer à construire, se mettre bien.

Et pour parler à Thierry ? Titi, il est devant Soulier, on y va ensemble si tu veux. En descendant de l’Hauture, on passe par la mairie où un groupe de gens d’la rue nous serre la pince. Ils disent que Titi part en couille. Mickaël répond qu’il va aller le voir et arranger ça. On retrouve Titi devant la boulangerie Soulier. Il est avec son fauteuil et m’sieur Tintin, un petit Yorkshire tout mimi. Ils font la manche. Il donne rendez-vous lundi matin à son campement entre 8h et 10h, à la fraîche, pour discuter tranquille.

Lundi matin, café croissant comme le veut la politesse, mais Thierry est encore derrière la toile de tente et je n’ose pas le réveiller. Tiens, Isabelle passe par là, une cinquantenaire du quartier aux yeux translucides. Elle raconte que Thierry est là depuis l’été dernier, que dans le quartier nombreux sont ceux qui donnent un petit coup de main, à manger, des habits, des couvertures, qu’une association s’occupe de lui. Dans l’ensemble, l’accueil est bon, même s’il faut qu’il fasse propre un peu plus souvent au goût des riverains.

Thierry sort la tête de la tente, il est encore caverneux et parle d’une tentative d’agression qu’il aurait subie pendant la nuit. Meeeeeerde son pote Mickaël, c’est lui qui était dans le journal. A cause d’un mauvais mot, vendredi soir sur la mairie, il a sorti son couteau et attaqué un autre gars de la rue. Alors selon Thierry, les amis de la victime ont voulu se venger sur lui. Même s’il n’y est pour rien.

Dans un beau 4×4, Michel arrive et se gare à côté de la tente. Il apporte pantalon, tricots, bouteilles d’eau et croquettes pour Tintin. Il fait partie de la SPA et prend soin de l’animal et de son maître. Ok, faut nettoyer ton bordel, tranche d’un ton péremptoire le retraité.

Titi parle dans sa barbe, il peste. En fait je sors d’une merde pour rentrer dans une autre merde, en fait c’est tout le temps la merde. Il ponctue toutes ces phrases par des j’en ai marre.

Son portable, c’était Mickaël qui l’avait. Sauf que Mickaël à l’heure qui l’est, il est en prison. Tu sais quoi ? Je vais tout faire pour finir en prison. Sans savoir quoi répondre, je m’avance en disant que c’est pas l’idéal quand même. Tu crois que c’est l’idéal de vivre comme un rat sous la pluie, au moins , en prison, t’as un toit, t’es nourri, tu peux te laver…

Je te promets qu’on va partir en vacances hein mon Tintin, j’te l’ai promis, répète t-il tout en embrassant son chien. La première parole positive de la matinée. Au loin Daniel, un voisin, barbe à la Trotsky et écharpe rouge promène lui aussi son chien. Tiens voilà, encore un que j’ai réussi à décevoir, commente Thierry. Plus tard, le Daniel dira qu’en tant que voisin il lui a déjà proposé beaucoup de services comme de l’emmener à l’hôpital pour ses rendez-vous. Mais il se demande s’il a vraiment envie de se soigner.

On me dit que ça va bouger, mais ça va bouger quand, demande Thierry à 39 ans et « 25 ans d’expérience ». Il raconte qu’il vivait avec son père à Istres, mais leur cabane à brûlé, que son père est décédé. Après il est allé à Avignon à Cap Sud, puis à Arles. J’en ai marre, il faut toujours tout recommencer de zéro. On devait construire une cabane avec l’association Action Froid, mais les rêves ça se fait la nuit.

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Il t’a dit ça tout-à-l’heure ? La cabane, la dernière fois, il m’avait dit oui, y croit Elodie Bedon, 28 ans et souriante à l’envie. Et résolument positive. Pour Thierry, elle ne s’inquiète pas, c’est par période avec lui, ça va se faire pour sa cabane. Et comment, avec quelle autorisation ? Aucune. Elle s’occupe d’Action Froid, association née lors de l’installation des tentes sur les berges de la Seine à Paris. La particularité ? C’est sans subvention et sans argent. Les trois quatre personnes se débrouillent avec des dons uniquement en nature et de la solidarité. Pendant qu’on échange autour d’un café place du Forum, au moins par deux fois, des gens qui vivent dans la rue la saluent. Elle me raconte que parfois, selon les bars, les patrons n’aiment pas quand elle invite un de ses amis à prendre un café.

Ce qu’elle connaît de la situation dans la rue ? Elle ne veut pas parler pour les gens qui y vivent. Alexandre t’en parlera mieux que moi tout à l’heure à la maraude. Elle ajoute quand même que c’est pas les mêmes règles que dans de le reste la société, il y a un code d’honneur qui pourrait nous paraître absurde. Elle sait aussi que certains services faits pour les sans domicile fixe ne sont pas adaptés. Comme la machine à laver pour laquelle il faut prendre rendez-vous alors que dans la rue, la notion de temps est distendue. Elle a des griefs contre la mairie. Quand l’association a proposé d’installer sa caravane dans la cour des bâtiments de la mairie, ceux de l’ancien Crédit Agricole en face de la Muleta, elle a reçu une réponse négative motivée par la proximité de l’école Emile Loubet, alors qu’elle demandait l’espace uniquement pour les vacances d’été. Elle regrette aussi que l’accueil de nuit ne permette pas aux chiens d’accompagner leur maître. Et elle repart de plus belle avec une idée qui pourrait changer pas mal de choses pour la vie dans la rue. Elle souhaite installer une bagagerie en ville pour mettre fin ou réduire les vols de leurs affaires personnelles. Pour l’heure, c’est la seule association à continuer de servir des repas en été. C’est le problème, vous savez il y a plus de décès dans la rue en été qu’en hiver, replace Elodie.

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19h, c’est l’heure de la maraude. Square Morizot, sur le gravier, une petite voiture citadine grise a le coffre ouvert. Devant, Michel le communiste pioche avec sa louche dans la belle marmite de pâtes sauce tomate que sa femme prépare tous les lundis. Ça me fait putain d’envie, je reste pro mais ça donne faim.

Le fameux Alexandre et son chien Titoo sont là. Oreilles trouées, crête, déjà en train de manger et sourire facile. Pour m’asseoir il me propose une assiette en plastique qu’il avait en double pour ne pas mouiller mon pantalon. Lui a décidé de remonter comme il dit. Comme quand tu tombes dans la rue, sauf que c’est l’inverse. Petit boulot, logement, même si ça va être dur parce que les gens le connaissent de la rue. Mais il y croit. Le punk sait aussi faire tâcheron. Des boulots durs qui payent bien précise t-il. Je vais me ré-intégrer dans la société. C’est son souhait. Il trouve que la rue est très dure, que la mentalité a changé, mais qu’Arles est une ville magnifique. J’ai envie de m’y investir. Pour les quais par exemple, ils devraient y mettre des poubelles, y’a plein de gens qui y vont manger, boire, s’installer, c’est magnifique, mais y’a pas de poubelle… Voilà le petit souhait d’Alexandre pour la ville.

Eric Besatti

Voir les autre articles parues dans :
la petite Arlésienne, “les voies de l’hospitalité”, édition spéciale, 16 mai 2018.

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