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Luma, l’ovni politique

Luma, l’ovni politique

Fin mai, la Fondation organisait les Luma Days. Ni une exposition, ni une performance, mais un moment de réflexion sur l’avenir d’Arles. Un aperçu de la manière dont ce nouvel acteur veut interagir avec la ville.

« On essaie de réfléchir à un programme expérimental qui ferait du bien à la ville », avait annoncé en 2014 Maja Hoffmann, la fondatrice de Luma. « Imaginer des futurs pour une ville et une biorégion » pour Arles et la Camargue, voilà le programme des premiers Luma Days du 21 au 27 mai 2017. L’événement proposait à des pointures internationales et des experts locaux de se pencher sur l’avenir du territoire. « Mon père, s’il nous voit travailler de là où il est, je sais qu’il est fier de ce que nous faisons ici », livrait Maja Hoffmann, émue, lors de la restitution publique de la semaine des Luma Days. S’inscrivant dans la suite de Luc Hoffman dont l’œuvre pour la biodiversité camarguaise avait commencé en 19541, la fille a choisi l’art contemporain et toutes ses disciplines pour son action sur le territoire.

Pour Arles, la Fondation voit les choses en grand et met les moyens. Elle a accueilli les 50 fellows : chercheurs, designers, artistes de l’aventure d’Ideas City, le programme du New Museum of New York. Là aussi, la constante ambition d’internationaliser Arles. Ces fellows, compagnons en anglais, sont invités à faire émerger des idées. En une semaine d’immersion et de réflexion sur le terrain. Après des visites et des conférences dans la ville, les fellows ont été rejoints en fin de semaine par plus d’une centaine de « leaders de communauté » du pays d’Arles. Concrètement : la Luma, des responsables d’associations, de festivals, quelques élus et techniciens de la Ville. La Luma n’est pas allée chercher les sans-voix, mais a fait un vrai travail d’invitation des forces vives du territoire. Comme si Arles avait appuyé sur pause et convoqué sa matière grise dans une start-up géante.

Les fellows d’Ideas City au travail dans la Mécanique générale pendant les Luma Days.

Quand on pénètre dans la halle de la Mécanique générale, celle au centre des Ateliers, les travaux se déroulent dans un brouhaha cosmopolite. Des petits groupes d’une dizaine de personnes débattent avec feutres à la main et Macbook sur les jambes. Les échanges sont transversaux, des Camarguais parlent du centre-ville avec des architectes américains. L’intérêt est réel. Sur la forme, il y des blagues faciles sur le mec qui passe entre les tables, béat, sur sa trottinette, les séances de yoga matinales ou les looks new-yorkais. Mais dans le fond ça travaille, essore les cerveaux et discute à tout va. « J’adore cette approche de travail et surtout la façon dont tout le monde a la possibilité d’échanger avec les personnes qui ne sont pas obligatoirement dans leur spécialité », appuie, satisfaite de la tournure des événements, Maja Hoffmann lors de son intervention de clôture.

Un projet artistique à dimension politique
Tout se passe comme si un nouveau parlement arlésien venait de se constituer. Plus dynamique que le Conseil des sages, moins revendicatif que le groupe local d’Attac, sans l’institutionnel du Conseil Municipal et plus “post-it fluo” que les réunions citoyennes d’Arles en transition. Tout est beau, sexy, propre, c’est la Luma qui invite ! Et qui fait le programme. « Ça fait plaisir d’être écouté, notre avis est pris en compte, on est invité à réfléchir sans différences de statuts ni de diplômes », se réjouit Clément Trouche, styliste arlésien. « Bon, moi ça va, j’ai fait ça pendant 40 ans », blague un ancien directeur de service de la Ville d’Arles qui snobe sa table de réflexion, préférant discuter à la volée avec les participants. « C’était bien, dans les échanges, la parole. Après les rails étaient déjà bien tracés par les animateurs des tables », analyse un autre participant, sans rien enlever de la liberté des échanges. « Si on me donnait rien que le montant d’un des experts invités à la tribune, je te ferais un truc super pour Arles », soulève un autre qui ne peut s’empêcher de comparer la débauche de moyens et les difficultés de certaines associations du territoire.

Jeremy Alain Siegel, architecte et urban designer new-yorkais explique que la consultation des Arlésiens et le diagnostic de territoire doit être plus large. « La planification de la ville doit être un projet partagé avec les Arlésiens pour réussir », détaille-t-il, diapos à l’appui.

Le samedi, en clôture de la semaine a eu lieu une restitution des idées. A la tribune, des approches nouvelles et quelques projets plus ou moins réalistes sur l’agriculture, la culture, les modes de vie et les industries de demain pour le territoire (lire ci-dessous). Mais que va devenir tout ce jus de cerveau ? « Que les Ateliers abritent la réalisation de certaines de nos idées », espère Joseph Grima, directeur d’Ideas City. « Comment notre gentil maire va intégrer les projets ? » , questionne, toujours à la tribune, Michel Bauwens, penseur de la société des “biens communs”, créateur de la Fondation pour les alternatives peer-to-peer.

Le souhait de la Fondation est là : apporter sa touche sur le territoire par « un partenariat public-privé pour le bien commun inédit », détaille Mustapha Bouhayati, le directeur exécutif de la Fondation. En ville, un médecin anthropologue, membre du collectif Pays d’Arles en transition questionne la légitimité démocratique et « la définition, par un tiers, de la notion de bien commun. Les politiques que nous avons élus se doivent d’être à l’origine de ces actions et les garants d’un fonctionnement adapté. » Pour le maire Hervé Schiavetti, il n’y a pas de problème. Au contraire : « C’est formidable, c’est génial, il ne faut pas craindre la réflexion des autres. C’est une chance tout à fait inespérée que de pouvoir se poser des questions qui n’auraient jamais été posées à ce niveau international. » David Grzyb connu pour sa liberté de parole au sein de la majorité demande à la Fondation plus d’efforts et d’échanges sur le projet de territoire engagé. Dans le fond, l’élu à l’économie et l’emploi de l’ACCM ne remet pas en cause l’initiative privée. « Je ne dis pas “non il ne faut pas qu’ils fassent”. La Fondation a les moyens de ses interventions, elle est complètement légitime et je ne remets pas en cause la sincérité de la démarche. » Mais quand la Fondation affiche l’ambition d’accueillir des start-up aux Ateliers, « là, ça se travaille ensemble », s’arrête l’élu. « La collaboration, la co-construction, c’est pas simplement subir les actions des uns, et dire “beh voilà, on va faire ça, c’est génial”. Je souhaite qu’il y ait un plus grand dialogue autour des projets communs pour qu’ils soient utiles au territoire et à ses habitants. »

La Fondation souhaite agir sur le territoire mais comment ? « On n’est pas là pour se substituer à qui que ce soit. On a plutôt envie de travailler avec tout le monde. Certains peuvent se sentir menacés, mais on a besoin de tous, on n’y arrivera pas tout seuls. On essaie de créer un modèle collégial, plaide Mustapha Bouhayati. Notre ambition, c’est d’être une plate-forme ouverte où toutes les convergences sont possibles, un lieu où l’on se rassemble. » Catalyseur des énergies, incubateur de projets, c’est un rôle nouveau qu’invente la Luma pour des formes innovantes de collaboration avec les pouvoirs publics. « On est dans une époque de coopération, on est interdépendant. Maja avait dit le jour de la première pierre : “Je veux que les premiers bénéficiaires soient Arles, les Arlésiens et la Camargue”. »

Nouveau membre de la démocratie participative
A la tribune de restitution des Luma Days, les intervenants soulèvent la question fondamentale posée par la démarche de leur hôte. « Avec quelles modalités et dans quels espaces ? Comment intégrer la démocratie participative à la démocratie représentative ? », questionne Michel Bauwens. Surtout quand le nouveau participant à la démocratie a la puissance de la Fondation. Alors autant prendre son temps pour bien évaluer les besoins. « On ne sait pas quels sont les problèmes, ni les solutions. Prenons plus de temps pour poser des questions que pour présumer des réponses », alerte à la tribune, Cyril Zimmerman, un entrepreneur des industries numériques.

Les Luma Days ne sont pas un aboutissement mais « un moment d’étape, de rassemblement pour permettre à chacun de s’exprimer et d’échanger ses idées. Pour pouvoir ensuite retourner au travail. Explorer et creuser davantage », précise Mustapha Bouhayati. Le début de la réflexion avec le territoire remonte à 2007 et « les premières réunions avec la Chambre de commerce et les commerçants ». Et ce n’est pas fini. Tout au long de l’année, les Arlésiens et les artistes-designers en résidence pourront consulter aux Ateliers toute une bibliothèque de documents ressources du territoire : études, diagnostics et idées échangées aux Luma Days. Il s’agit de prolonger le moment de réflexion sur le territoire engagé cette semaine… De préparer des prochaines expérimentations sur l’espace public.

La Fondation souhaite avancer en s’intégrant sur le territoire et agit déjà hors des Ateliers. Dans les écoles avec des ateliers de design et d’architecture, dans le quartier de Griffeuille via des ateliers de cuisine à Solid’Arles, des projets arriveront avec le Centre Communal d’Action Sociale… Le nouvel organe d’actions pour le “bien commun” se précise.

Eric Besatti


Et alors ces idées ?

#1 Ville de culture et d’agriculture
Remettre en service la ligne de train Arles – Salin-de-Giraud, installer des résidences d’artistes dans les hameaux en voie de désertification, faire d’Arles le centre international de la crise de l’eau en pertinence avec la montée des eaux prévue en Camargue, territoire confronté directement à la problématique du réchauffement climatique.

#2 Ville Campus
Une “Ecole de l’Arlésienne, a winter school of Delta” avec des résidences d’auteurs pour produire des courts récits fictionnels qui mettraient en scène les acteurs du territoire pour créer un sentiment d’appartenance commun. Les restitutions des “résidences créations” donneraient lieu à un festival où « l’on danserait la farandole sous les feux d’artifice », explique – non sans fantaisie et autodérision – la fellow à la tribune. On parle aussi de « briser le moule, le portail des Ateliers pour ouvrir les connaissances […] utiliser les 500 associations, avec leurs esprits indépendants, pour se baser sur les connaissances existantes […] créer des campus mobiles pour s’installer où les flux naturels existent déjà ».

#3 Ville usine du XXIe siècle
Les groupes de réflexion ont imaginé une usine sur le modèle des arènes, un lieu où l’on se retrouve pour créer et produire. Cette usine deviendrait un patrimoine viral qui pourrait s’installer partout dans le monde grâce à un modèle open source constructible via une imprimante 3D géante

#4 Ville Unesco 3.0
Comment la technologie peut-elle améliorer les services publics, comment faire pour que le patrimoine ne prenne pas la ville en otage ?

#5 Village global
Des repas aux Papeteries Etienne pour que la communauté se réapproprie la structure de l’usine. Bonne idée que les Rencontres ont déjà réalisée en 2015. Autre idée partagée par les penseurs de la thématique : qu’une communauté de citoyens investisse pour acheter un local en ville. L’été, il serait utilisé comme restaurant. L’hiver l’argent gagné serait réinvesti dans un projet choisi démocratiquement pour habiter l’espace. Il s’agit là de « donner le pouvoir à la population, faire échanger les cercles concentriques qui n’échangent pas forcément les uns avec les autres en utilisant le désordre comme stratégie, quelque chose qu’on ne peut pas contrôler ». La démarche permettrait de « refaçonner l’idée d’hospitalité sur la base de l’égalité » puisque le lieu appartiendrait à la communauté.

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