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Annie Leibovitz ou le mercato de l’art

Annie Leibovitz ou le mercato de l’art

Beaucoup ont glosé sur le formidable coup de la Fondation Luma lorsqu’elle a annoncé avoir acquis les archives de l’icône de la photographie. C’en est un. Un coup artistique. Une sacrée recrue. Mais derrière ces archives, il y a une histoire. Celle d’une photographe au bord de la faillite. Celle du marché de l’art. Le mercato de la dette.

No comment ! Au moins dans le foot, ils parlent plus. Parce que si le point commun entre le football et l’art contemporain c’est bien l’argent et les millions dépensés pour des œuvres ou des joueurs, la différence entre les deux disciplines – outre celle évidente – c’est qu’il est quasi impossible de savoir, quand il s’agit d’art contemporain, le montant d’une transaction, d’un transfert. Car à bien y regarder, l’histoire des archives d’Annie Leibovitz ressemble étrangement à une succession de transferts.

2009, l’année de la presque faillite
Annie Leibovitz n’a pas franchement la réputation de gérer son argent en bonne mère de famille. En 2008, elle réalise des clichés pour une campagne de pub pour la carte bancaire American Express. Cette année-là, la presse avait révélé que si la photographe avait été choisie pour la campagne, en revanche, quelques années plus tôt, la banque avait refusé de lui donner une carte de crédit. C’est dire. Annie Leibovitz est donc criblée de dettes en raison de son train de vie, pour le moins dispendieux. François Hébel, ex-directeur des Rencontres d’Arles et de prestigieuses agences photos, voit également une autre raison : « A l’époque, il y avait une surenchère pour que les photographes importants réalisent des productions à des coûts faramineux. » Bref, le milieu de la photo ne regardait pas à la dépense. Un monde où l’argent coule à flots, cela devait forcément intéresser les financiers.
Au bord de la banqueroute, Annie Leibovitz se rapproche alors d’Art Capital, sorte de mont-de-piété pour artistes, qui prête à la photographe environ 24 millions de dollars. Plus de 17 millions d’euros à l’époque. Son travail, ses archives et même ses appartements new-yorkais sont hypothéqués. En 2009, Art Capital demande à la photographe d’être remboursé. Annie Leibovitz en est incapable. Le groupe financier porte plainte et menace de saisir les biens de celle qui a été la dernière à photographier John Lennon vivant. Nu dans les bras de Yoko Ono. Icône, on vous l’a dit.

Les anciens propriétaires du PSG au secours de la photographe
C’est aussi là que le lien entre le football et l’art se fait. Pour vous donner un ordre d’idées, les 17 millions d’euros qu’Annie Leibovitz devait à Art Capital, c’est exactement ce qu’a payé Newcastle à l’Olympique de Marseille pour s’offrir Florian Thauvin en 2015. Pour Annie Leibovitz, il se passe un an entre la plainte d’Art Capital et l’intervention de Colony Capital. Un fonds d’investissement américain, propriétaire du PSG juste avant que les Qataris n’arrivent. En 2010, le fondateur de Colony Capital, Tom Barrack, explique avoir racheté la créance d’Annie Leibovitz. Dans le Financial Times du 9 mars 2010, il dit être devenu « un partenaire de la gestion des actifs et des affaires d’Annie Leibovitz, afin qu’elle puisse se concentrer sur la poursuite de sa passion ». Pour l’anecdote, Tom Barrack est un vieil ami de Donald Trump, c’est lui qui, cet hiver, a organisé la fête d’investiture du président américain.

Selon les termes de l’accord entre la photographe et Colony Capital, décrits par le Financial Times, le fonds d’investissement est chargé de commercialiser la bibliothèque photographique d’Annie Leibovitz qui comprend des images comme celle de John Lennon embrassant Yoko Ono. Une photo que vous pouvez retrouver aujourd’hui sous la Grande Halle d’Arles dans le cadre du projet archive de la Fondation Luma.

‘‘No comment ! ‘‘
La question reste : comment, entre 2010 et aujourd’hui, s’est déroulé le transfert des archives d’Annie Leibovitz entre Colony Capital et Luma ? Et ça, impossible de le savoir.
Au mois de mars, Matthieu Humery, directeur du programme Archives vivantes à Luma et ancien de la maison de ventes d’art Christie’s, explique dans Libération que tout s’est fait dans la plus grande simplicité. Mouais… « Le choix d’Annie Leibovitz s’est fait par une rencontre entre Maja Hoffmann, Annie Leibovitz et moi-même », expliquait Matthieu Humery au quotidien. C’est aussi l’avis de François Hébel qui raconte que Maja Hoffmann travaille surtout à l’affect. On imagine alors Maja Hoffmann et Annie Leibovitz discuter autour d’un bon repas et de bons vins… Bio bien sûr. Sauf que la simplicité, ce n’est pas vraiment ce qui caractérise les montages financiers. D’ailleurs Matthieu Humery se refuse à parler du montant de la transaction.

John Lennon, nu, enlaçant Yoko Ono. La célèbre photo fait partie du fonds photographique racheté par la Fondation Luma. Des archives regroupant en tout 8000 œuvres. Ph.PP

Fin mai, lors de la conférence de presse de Maja Hoffmann, Annie Leibovitz et Mathieu Humery avant l’ouverture de l’exposition dans la Grande Halle, une journaliste du quotidien Les Echos a tenté la question à la milliardaire : « Pouvez-vous nous donner le montant ? » C’est comme si la question s’était envolée, personne ne prendra même la peine de faire semblant de l’avoir entendue. Pour les spécialistes, comme Bastien Manac’h du magazine Polka, la transaction «s’élèverait à plusieurs dizaines de millions, mais la fourchette est large». Reste à savoir si la transaction est d’au moins 17 millions d’euros, ce qui aurait réglé la dette d’Annie Leibovitz. Nous avons donc directement posé la question à Colony Capital. Leur réponse : «No comment !» Seule précision trouvée, une nouvelle fois dans l’article de Libération du 17 mars 2017 : l’achat des archives a été fait «après la résolution de la banqueroute» d’Annie Leibovitz.

Alors qui a fait la bonne affaire ? Colony Capital ? Rien de sûr. «Beaucoup de financiers ont cru faire de l’argent avec l’art. Beaucoup se sont fait des illusions. Et souvent beaucoup ont connu des désillusions», commente François Hébel. Il paraît qu’en affaires, il y a la loi de l’offre et de la demande. Si personne ne voulait racheter les dettes et les archives d’Annie Leibovitz, forcément Colony Capital avait tout intérêt à s’en débarrasser. Ce serait alors, peut-être, un bon coup de la Fondation. Cette fois financier.

Paul Ferrier

Photo de couverture : Annie Leibovitz venue inaugurer son exposition The early years, 1970 – 1983, à Arles, le 26 mai 2017. Ph. EB

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