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Anouar Balti : de la tauromachie de rue à la présidence des arènes

Anouar Balti : de la tauromachie de rue à la présidence des arènes

Tout l’été, aux Arènes, il est la voix de la course camarguaise pour les touristes et Arlésiens qui viennent aux courses camarguaises de l’école taurine d’Arles. Pareil aux arènes portatives de la féria où il donne la voix pour faire rire et vivre les courses ouvertes à la jeunesse et aux amateurs. Côté piste, le recortador clôturera sa  »carrière » ce 15 août dans les grandes arènes d’Arles. A 34 ans, Anouar Balti n’a pas fini de porter des tauromachies accessibles à tous, au Comité de la féria comme partout où il passe.

Eric Besatti

Article publié dans l’Arlésienne n°15, « Sauter les barrières », avec un dossier spécial sur la tradition, disponible à la Maison de la presse d’Arles et en numérique sur notre boutique en ligne.

« Entre nous, on l’appelle le couteau suisse », résume Bruno Rossi, 57 ans, trésorier au Comité de la féria. Pour les bénévoles qui organisent les animations dans les rues deux fois par an, Anouar Balti est un collègue précieux et complet. « Il sait tenir la muleta pour la tauromachie espagnole, raseter pour la camarguaise, recorter pour la pratique espagnole landaise ou portugaise. Il peut monter à cheval et donner un coup de main pour encadrer les taureaux dans les rues d’Arles pour un abrivado ou accrocher une cocarde », égrène-t-il. Quand il s’agit de partager dans l’espace public l’amour du taureau et toutes les cultures qui vont avec, Anouar peut tout faire.

Là où il est unique, c’est pendant la féria quand, aux arènes portatives de la place de la Croisière, il prend le micro pour commenter la course camarguaise ouverte aux amateurs. « Il a de l’humour, de la répartie », encense Bruno Rossi. « Aïe aïe aïe, attention au suppositoire camarguais », lance Anouar, quand une corne cogne un jeune homme accroché à la barrière. Il demande de faire de la place si une fille veut tenter un raset. Ou accompagne méthodiquement jusqu’à l’issue inévitable. Par exemple ce jeune homme déguisé en diable rouge pour son enterrement de vie de garçon. « Comment c’est ton prénom ? Les gars, laissez-le faire », « vas-y, approche toi », « allez, on l’encourage », « aïe aïe aïe ! Aidez-le ! », « bravo à toi on l’applaudit, viens chercher ta prime ! » Drôle et sérieux à la fois : « Attendez, laissez respirer la vache », temporise-t-il quand, complice avec l’éleveur, il fait respecter le bétail et calme les assauts des nombreux adolescents.

Une trajectoire personnelle Anouar vient de là. De la tauromachie qu’on démarre dans la rue et qui arrive à se faire une place dans les arènes. Dès ses quatre ans, son père l’emmène avec lui à la pizzeria restaurant Pataroni où il travaille. Ici, les célébrités défilent devant les yeux du petit Anouar « Sardou, les Négresses vertes, Rachid Taha et les Un deux trois soleil, Johnny Hallyday, Patrick Bruel… » Et les plus grands toreros qui viennent pendant les férias, dont l’idole de son père : Chamaco. Il baigne dans cette ambiance. Le frère du patron est un ancien picador dont la jambe de bois rappelle la carrière. Il prend Anouar avec lui pour l’emmener aux corridas dans les arènes d’Arles. Accès contre-piste et explications d’un connaisseur : tout-petit et déjà VIP.

Pendant que les autres sont au jardin d’enfants ou sur les terrains de foot, lui passe ses mercredis après-midi à la médiathèque pour enchaîner les cassettes taurines « de Canal ». A la maison, c’est TV bleue qui diffuse des enregistrements des courses camarguaises sur la 7. Et toutes les fins de semaine, « j’essayais de ne pas louper un spectacle du coin ». Une ferrade à Mas-Thibert ? Pas de problème, quelques heures de vélo pour s’y rendre depuis le Trébon avec sa bande. Le plus souvent en cachette. Ses parents ne cautionnent pas les prises de risque de l’adolescent. « On faisait le mur pour aller aux arènes, à la bodega le Petit Arlésien pendant la féria. »

C’est à force de le voir faire, le voir attraper les taureaux lors des abrivado dans les rues avec sa bande, le voir aux ferrades, que les manadiers et les organisateurs ont petit à petit intégré Anouar à leurs équipes. Daniel Rieumal l’invite en premier à donner la main dans sa manade raphéloise. D’abord pour réparer les clôtures, ensuite seller les chevaux, puis les monter, trier le bétail, sortir à cheval pour les abrivado. Puis enfin « une mission plus intéressante » : le prestige de mettre la chemise de gardian pour emmener des taureaux courir aux arènes de Nîmes. « J’ai gagné sa confiance et il a gagné la mienne », résume Anouar.

Importateur de tauromachie Ses parents ne voulaient pas signer. Alors, ce n’est qu’à sa majorité, enfin responsable, qu’il peut s’inscrire à l’école taurine pour apprendre à raseter. Mais il n’insiste pas, « j’étais trop fou, je prenais trop de risques ». Anouar n’est pas le plus doué de sa génération, mais certainement un des plus généreux. Il s’intéresse à la tauromachie de rue espagnole et plus particulièrement au recortador, une tauromachie quasiment absente du paysage arlésien, mais pas moins risquée. Il s’agit d’attendre la charge du taureau pour l’esquiver au dernier moment par un écart ou un saut. Elle est pratiquée au Nord de l’Espagne, au Portugal et fait partie de ce qu’on appelle la course landaise. Ici, tout est à construire et il peut être au centre de l’arène. Après avoir attrapé tous les taureaux des rues et des manades, Anouar fait ses premiers sauts de l’ange à la Monumental de Gimeaux. Les arènes en bois du club taurin Lou fourmigo de Francis Espejo et compères. Petit à petit, à force de « prendre des bouchons aux arènes », il se perfectionne. Et comme toute passion, elle est contagieuse. Son frère et ses amis embarquent dans le monde taurin. Depuis une dizaine d’années, avec ses amis, il a monté un spectacle qu’il vend dans les petites arènes des alentours pour s’adresser aux familles en vacances et aux jeunes intrépides. Saint-Martin, Saintes-Maries, Bellegarde, Le Grau du Roi… Les amis de l’association Arte y passion ont une vingtaine de spectacles par an. « Pas de quoi en vivre, mais de quoi vivre la passion. » Les amis vont souvent en Espagne pour le plaisir, vivre des aventures autour du taureau et ramener des idées. La dernière innovation importée par Anouar, l’esquive du taureau, de dos avec son téléphone en mode selfie : « faut faire attention, y’a un léger décalage à l’écran », se rappelle-t-il de douloureuses expériences.

La première et dernière au centre des arènes d’Arles C’était écrit, Anouar ne pouvait arrêter d’être au centre de l’arène que sous la contrainte. En février 2021, lors d’une mauvaise réception d’un salto aux Corrales de Gimeaux « tout le bras est parti ». Depuis, il a une prothèse dans le coude et se rééduque pour son ultime représentation de recortador le 15 août prochain. Une despedida qui sera en forme de première : Anouar fera le spectacle dans les grandes arènes d’Arles pour la première fois de sa vie. L’événement sera présenté par son association aux arènes d’Arles. Une ouverture permise grâce à la confiance accordée par Lola Jalabert et son frère Jean-Baptiste, gérants des arènes.

Présidence des arènes Mais Anouar ne quitte pas les arènes pour autant. En été, deux fois par semaine, à la présidence des arènes d’Arles, c’est encore lui qui commente les courses camarguaises des jeunes de l’école des raseteurs. C’est lui la vitrine des traditions pour les touristes. « On peut citer Gérald Rado de l’école taurine qui a su me faire confiance ». Et le nouveau apporte de nouvelles pratiques. « Depuis deux ans, on fait une forme plus pédagogique. On se permet des commentaires un peu à la manière d’un match de foot pendant la course pour que les non-initiés puissent suivre. Depuis, les touristes ne partent plus à l’entracte », se félicite-t-il. Et en anglais pour les étrangers ? Là on touche aux limites du couteau suisse : « On a fait enregistrer un message en anglais. »

Représentant pour Général boissons, il fait tous les jours de la semaine le tour des bars et restaurants pour prendre les commandes et présenter les nouveautés. Le soir, il organise des soirées latinas où il est le professeur de danse et commence à programmer des soirées au Patio de Chico à Barriol. Au comité de la féria, « il apporte des nouvelles idées, c’est le sang neuf », affectionne Bruno Rossi « je me souviens encore de ce petit qui m’enthousiasmait, qui courait derrière les taureaux avec ses amis à chaque féria ». Mais pourquoi Anouar fait-il tout ça ? « Je suis amoureux de la Camargue, on aime les traditions. Ce qui me tient à cœur, c’est l’aspect complet de la fête, celle qui se déroule dans les rues et permet à tous de s’approcher du taureau : c’est toute mon enfance. J’ai envie de faire partie des personnes qui participent à faire vivre cet esprit. »

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l’Arlésienne n°18 – hiver 2024