Rencontres : A Arles, J.P. Capitani censure une œuvre des étudiants de l’école de la photo
En maître des lieux, Jean-Paul Capitani, grand propriétaire immobilier et membre du conseil de surveillance d’Actes-sud est venu en personne censurer une œuvre présentée au Printemps, lieu qu’il avait prêté à des jeunes artistes pour l’été. L’association des anciens de l’Ecole nationale supérieure de la photographie regrette la méthode et l’autoritarisme de l’intervention. Le Printemps, espace de liberté éphémère, a trouvé là un épilogue qui souligne les enjeux d’une mainmise culturelle de la ville via l’immobilier.
Il flottait cette odeur que laissent les étés qui patientent sur les quais de gare. Cet après-midi du vendredi 2 septembre, un orage aussi violent que furtif avait rincé les rues de la ville. À ce moment-là, le ciel était encore chargé, mais le vacarme avait laissé place à un petit crachin. Comme un signe d’espoir, au loin, des clairières de ciel bleu annonçaient à nouveau des moments chaleureux. Mais à 16h12, ce n’était pas encore l’heure d’après, les abeilles étaient toujours planquées et les passants : groggy. Ils étaient là tous les deux, les pieds dans l’eau, les corps protégés par des imperméables. C’était le moment qu’ils avaient choisi pour intervenir. Dans leur main, chacun tenait fermement son pied de biche. Jean-Paul Capitani, le propriétaire des lieux et son homme de main Dimitri étaient venus régler la question en personne. Le panneau devait tomber. Au moment où le morceau de bois d’un mètre cinquante sur trois frappa le sol, un grand badaboum alerta les voisins abrités dans leurs maisons. L’instant d’après, le SUV Volvo de Capitani éjectait des graviers. Ils étaient déjà partis. Derrière eux, le trottoir restait encombré par la grande structure. Face contre terre, elle gisait dans une flaque d’eau encore fraîche qui allait bientôt s’évaporer.
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Même si la scène paraît sortie d’une fiction, devant le Printemps, le grand propriétaire immobilier arlésien Jean-Paul Capitani n’a pas joué un scénario d’Actes noirs, la collection polar d’Actes sud. « C’était surréaliste », se souviennent Cassandre Colas, membre du bureau de l’Association des anciens étudiants de l’école de la photo et Juliette Frechuret, les deux jeunes femmes qui tenaient la permanence du lieu d’exposition ce jour-là. Elles ont essayé d’intervenir, « J’ai demandé, est-ce qu’on peut parler quand même avant qu’ils agissent. Jean-Paul Capitani m’a répondu : »Il y a des choses qui ne se discutent pas » », raconte Juliette. Au moins, la relation entre le propriétaire et les occupants est plutôt claire, nette et précise. Face, le mécène généreux et permissif, pile, le propriétaire autoritaire qui impose sa loi.
L’œuvre, que Jean-aul Capitani est venu abattre avec un pied de biche, présentait de manière éphémère une archive photo de Patrick de Carolis, le maire d’Arles aux côté de Patrick Balkany lors d’une séance de golf dans les années 90.
Carte blanche théorique
Pour comprendre la situation, il faut relire les épisodes précédents (l’Arlésienne n°16, été 2022). Le Printemps, ancien hôtel-restaurant a été racheté par Jean-Paul Capitani à son frère en février 2021. Comme souvent, aussi créatif qu’opportuniste, Jean-Paul Capitani prête le lieu contre travaux. Cette fois-ci, c’est à deux collectifs de jeunes. L’un d’activistes pour l’environnement, qui lui sert à rajeunir les rangs du festival Agir pour le vivant, grande messe pour l’environnement fin août co-organisée par Actes sud. L’autre : l’Association des anciens étudiants de l’École de la photo (AAENSP) qui cherchait des lieux pour leur exposition estivale, la mairie ne leur ayant pas laissé de locaux. Et comme souvent, quand on cherche des lieux à Arles, on tombe sur Jean-Paul et son empire immobilier. Sur le papier : ils avaient carte blanche. Rien dans la convention n’inscrit un droit de regard sur les œuvres présentées. Pour les travaux, les étudiants de l’École de la photo avaient investi les 7 000 euros d’un financement participatif. La fin du bail : prévue au 30 septembre 2022.
Parmi les 80 participants à l’exposition collective de l’AAENSP, Léo Aupetit et Yann Vajda proposent un concept qui se fonde sur l’aléatoire. Ils construisent un panneau d’affichage d’un mètre cinquante sur trois, collé au mur du bâtiment avec un message : « Rencontres / à louer ». Pour les Rencontres, alors que la bataille de la visibilité sévit en ville « on trouvait ça plus intéressant de laisser de la place à des personnes qui souhaitaient s’exprimer ». Sur les sept interventions qui se sont succédé pendant l’été, « on n’a jamais filtré », affirme Léo Aupetit. Des peintres sont venus, des plasticiens, des photographes : sans jamais créer de vague (‘‘Pierretopire’’ sur insta pour voir les différentes interventions).
Mais la dernière intervention a posé problème : une photo de 1990 de Patrick de Carolis jouant au golf avec Patrick Balkany installée le 27 août 2022 . Le contexte local ? L’été, la mairie d’Arles venait de lancer sa brigade anti-affichage sauvage et a choisi de mobiliser les services de la mairie pour retirer des murs, des affiches qui critiquaient les Napoléons, une entreprise privée organisatrice d’un événement sur plusieurs jours dans la ville. Un choix politique donc de choisir ce qui a le droit de citer où non sur les murs de la ville. La réflexion autour de la présentation de cette image était de montrer l’enjeu de l’affichage sur les murs de la ville et l’importance d’une archive photographique comme mémoire d’une société. Le collage comme le texte qui accompagnaient le panneau sont signés par l’auteur de cet article. Le cartouche rappelait la progression dans les réseaux politiques de Patrick de Carolis (Chirac, Copé et aujourd’hui Edouard Philippe), faisait de l’humour autour d’une photo de deux condamnés, Balkany pour fraude fiscale, notre maire pour favoritisme. Une œuvre de mémoire et d’humour, comme le permettent l’expression artistique et la loi sur la liberté d’expression. Mais visiblement pas le propriétaire des lieux : Jean-Paul Capitani.
Aucun contact direct
« Jean-Paul Capitani n’a jamais voulu entrer directement en contact avec nous ni répondu à nos messages ou appels. Ce qui nous a été rapporté, c’est qu’il trouve le propos »pas intelligent », »de la politique de bas étage » », explique Cassandre Colas. « Le problème c’est la méthode d’intervention : il vient, il n’essaye pas de discuter et détériore une œuvre, sans chercher la négociation, les explications. C’est quoi ces méthodes ! » L’histoire ne dit pas si Jean-Paul Capitani a pris le temps de lire le texte qui explique la démarche ni s’il a réagi à une pression de la mairie pour enlever le panneau. Quoi qu’il en soit, il l’a fait. Et d’une manière décevante pour les locataires de l’espace qui pensaient être protégés dans leurs libertés par la convention signée. « Je suis content que l’artiste Capitani veuille intervenir sur le panneau. Mais il aurait dû nous demander. Il a agi sans demander au propriétaire », ironise Léo Aupetit. Déjà, en début de semaine, lorsque Dimitri, l’homme de main de Capitani avait déboulé au Printemps pour demander d’enlever le panneau, Léo avait installé une bâche pour le masquer et temporiser. Manque de chance, le vent dans la semaine avait assez décroché partiellement la bâche pour laisser apparaître les visages des deux hommes politiques.
Le printemps ne passera pas l’été
Avant l’affaire du panneau, les occupants de l’été avaient déposé un projet pour conserver l’espace durant l’année. Un collectif intitulé Club printemps (des étudiants ou anciens étudiants de l’École de la photo, le Bruit qui court, la Queer team, le collectif Solide…) souhaitait prolonger la dynamique pour construire un espace pour les associations et les artistes. « L’idée, c’était pas que Jean-Paul Capitani nous le donne, mais nous fasse payer un loyer pour permettre à des gens d’avoir un lieu pour s’exprimer. Il a des espaces dont il ne sait pas quoi faire, nous on sait quoi en faire. C’était une manière de trouver un espace d’expression, denrée rare à Arles où les loyers sont hyper chers », déroule Cassandre Colas.
En guise de réponse au dossier, Jean-Paul Capitani a fait livrer par son homme de main, les panneaux en bois pour condamner les vitres en demandant aux étudiants de les reposer après leur départ. Jean-Paul Capitani programmerait des travaux. Pourtant, aucun permis de construire n’est encore affiché…
Mais que va faire Jean-Paul Capitani du Printemps ? Pourquoi ne pas avoir répondu au projet du collectif Club printemps ? Pourquoi avoir déboulonné le panneau sans en discuter ? Autant de questions que nous avons envoyées par écrit à Jean-Paul Capitani. Un matin, nous avons même tenté d’alpaguer le multi-propriétaire arlésien devant Actes sud. Comme seule réponse : « L’Arlésienne ? Vous savez, quand on fait »bien son travail », on est respecté ».
Eric Besatti
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