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Mandala, appât du gain et ‘‘bienveillance’’ : le piège des tisseuses de rêves

Mandala, appât du gain et ‘‘bienveillance’’ : le piège des tisseuses de rêves

À Arles, un cercle de solidarité dénommé « Les tisseuses de rêves » tente d’enrôler de nouvelles adeptes. Il cache un montage financier pyramidal qui enrichit surtout son sommet. La bienveillance prônée peut se transformer en piège quand les nouveaux membres recrutés n’arrivent pas à recruter à leur tour. Et perdent leur mise de départ.

« J’ai droit à cet argent. » Lina* (les prénoms suivis d’une * ont été modifiés), tisseuse depuis un an, est tout sourire et pleine d’énergie lorsqu’elle vient parler de son expérience au sein de ce cercle. Âgée de la petite trentaine, elle a trouvé un groupe où elle peut parler de ses projets et concrétiser ses rêves. Dans le milieu de la médecine alternative, elle aimerait continuer à se former mais les stages coûtent cher. Participer à ce « groupe d’entraide » est une manière de tenter de financer sa formation. Le principe ? Avec un investissement de départ, qui peut aller de 30 à 2000 euros, la promesse est faite de récupérer jusqu’à huit fois la mise initiale. La seule condition ? Participer au recrutement de nouvelles « tisseuses ». Comment recruter de nouvelles personnes ? Vendre son rêve à d’autres pour qu’elles participent puis proposer de financer le leur à leur tour.

Le mandala : une pyramide vue du ciel
Une structure vendue comme circulaire et représentée par un mandala dans les documents des tisseuses de rêves. Pourtant, à y regarder de plus près, le cercle ressemble de plus en plus à un triangle. A une pyramide de Ponzi, pour être précis.

L’image du mandala est utilisée pour représenter la structure du tissage. Elle est utile pour faire passer pour circulaire un fonctionnement qui est en réalité hiérarchique. Les étages de la pyramide de Ponzi se transforment en « éléments » dans le tissage.

Ce montage financier repose sur le recrutement de nouveaux membres. Chaque personne recrutée doit payer son entrée dans le réseau, contre la promesse d’une récompense future bien plus élevée. C’est un système non viable, une supercherie, comme le relatent plusieurs articles de presse québécois1. Laissons d’ailleurs le Bureau d’éthique commerciale du Québec vulgariser le concept : « La vaste majorité des gens qui tombent dans le piège vont perdre leur mise… C’est une question de mathématique. Pour qu’une personne touche 40 000 $, huit autres doivent être recrutées. Pour que ces huit participants touchent à leur tour 40 000 $, il faut persuader 64 nouveaux joueurs. Et pour qu’eux obtiennent aussi la somme promise, ça prend 512 nouvelles recrues. Et ainsi de suite. Ce qui fait qu’au huitième palier, la population du Québec ne suffit plus. Au onzième palier, on dépasse la population mondiale… » Les tisseuses de rêves, nées au Canada, ont d’ailleurs été dénoncées aux autorités québécoises en 2019.

Cette pratique de vente pyramidale est illégale en France, interdite par l’article L121-15 du code de la consommation. La peine encourue est de deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. D’autres groupes, français, ont déjà été condamnés pour escroquerie².

Être à la fois commercial et évangéliste
Lina sait que le fonctionnement des tisseuses a pu créer des controverses. Mais, « je n’ai pas souhaité me renseigner sur cet aspect des tisseuses de rêves ». Surtout que pour elle, ça fonctionne. Avec une mise de 300 euros, elle a déjà pu récupérer 600 euros grâce au recrutement de ses connaissances et son réseau aussi large que son sourire. Oui, Lina est une femme solaire à qui on a envie de dire oui. Et si des personnes du cercle n’arrivent pas à recruter ? « On leur demande où elles en sont, on essaye de les aider, on leur demande qu’est-ce qui peut bloquer dans leur « être ». La bienveillance s’arrête là où commence la culpabilisation… pardon le « travail sur soi »… Le processus du « tissage » n’est pas que financier. Il est aussi amical et psychologique. « Il s’apparente pour moi à une thérapie », explique Lina.

Chacune des étapes correspond symboliquement à l’incarnation d’un élément : « L’Eau récolte, elle a un rêve, la Terre organise, l’Air souffle (elle recrute deux feux) et le Feu donne (il est invité par un Vent). » Pour Lina, chaque « transformation » entraîne une exploration de soi : « Le Feu te fait questionner ton rapport à l’argent, au don, à la perte et affronter ta peur. Le Vent questionne ta manière d’être au monde, de communiquer. » C’est donc au moment de passer à l’élément vent que la tisseuse a intérêt à avoir des talents de commercial au risque de décevoir ses amis, de bloquer le processus et faire perdre l’espoir du gain à ses semblables ou aux nouveaux arrivants. Lina aussi a eu des doutes, « peur que ça capote ». Mais dans ces moments-là, il est possible de se tourner vers des « sœurs gardiennes, qui ont été Eau et restent ensuite en soutien ».

Souvent vulnérables et en situation de précarité financière, les personnes trouvent un espace salutaire dans ce groupe. En théorie, il serait tout de même possible de se rétracter et de quitter le cercle en récupérant la somme qui a été donnée. « Les sœurs gardiennes ne récoltent plus d’argent mais elles en ont au cas où des personnes se rétractent. » Lina ne connaît pas directement de personnes ayant récupéré leur argent. En revanche elle en connaît qui ont fini par quitter le cercle avant d’avoir pu percevoir l’argent promis. « Dans ce cas-là, ça laisse une place vacante et une personne peut intégrer le cercle sans faire de don. » Elle a déjà quitté des cercles parce qu’ils n’avançaient pas. Mais aucune perte, sa place lui avait été offerte. Si dans les faits Lina n’a encore provoqué l’endettement de personne, la démarche est risquée et elle pourrait être attaquée en justice pour escroquerie. Et selon elle, cette activité prend de l’ampleur en ce moment à Arles. « Je connais une vingtaine de personne qui font partie de « la tribu. »

Les tisseuses, en intégrant le groupe, adhèrent à neufs principes fondamentaux. Ces principes partagés permettent de souder le groupe autour d’une identité commune en apparence positive et bienfaisante. Dans les principes, la « confidentialité : je fais attention à cet espace sacré de partage de rêves ».

 

Méfiance et discordes
« Toi un jour, je vais te souffler. » C’est par cette phrase énigmatique que Lou* a reçu la promesse d’être invitée à entrer dans le réseau. En mai 2021, Sophie Blanc a, elle, été explicitement sollicitée. « Ça a l’air d’une arnaque mais je te promets, c’est du sérieux », lui assure une artiste avec qui elle travaille, qui vient d’intégrer ce groupe et lui propose de se joindre à elles. « Elle m’a dit que cet argent servait à soutenir les membres du cercle qui sont dans le besoin, que les dons actuels servaient à financer la yourte d’une femme nomade et de son enfant pour lui permettre de monter son projet de spectacle. Et en échange, dans quelques années, si j’avais besoin d’aide pour un projet personnel, je pourrais moi-même bénéficier d’une aide financière. »

Sophie a tout de suite été sceptique. Elle a demandé à en savoir plus et sa collègue lui a envoyé des documents internes (pourtant interdits de diffusion à l’extérieur, disponibles ici? ) expliquant l’origine du cercle. Dans un joyeux pastiche de tradition originelle et d’épargne solidaire, ils présentent le fonctionnement du cercle et ses principes fondamentaux. Un dernier paragraphe nie toute hiérarchisation par celle qui se désigne comme « grand-mère tisseuse ». Lors du recrutement, tout est bon pour faire croire que cette activité est légitime et légale : entraide économique, économie circulaire, cadeaux et invitations… L’esprit critique et le libre arbitre sont laissés de côté au profit de figures tutélaires et maternelles, telles que Kali, Isis, Lilith ou Marie-Madeleine.

« Je n’ai pas compris de suite ce que l’on me proposait, raconte Emma*, cela venait d’une amie tout à fait sensée, ses explications étaient pourtant confuses, elle me parlait de mandala, de fleur, de souffle, de terre qui devient air, de transformation et essayait de me faire croire que j’avais une chance inouïe d’avoir été choisie. » Tout comme Emma, Alyzé* a perdu contact avec l’amie venue la recruter, car il est quasiment impossible de raisonner les adeptes. « J’ai essayé, mais elle m’a dit que mon esprit était fermé, que je n’étais pas prête et que j’avais encore trop d’attachement au terrestre. Cela me rend triste pour elle, je ne sais pas comment l’aider. » Depuis qu’elle a refusé d’adhérer au cercle, Sophie a pris connaissance du recrutement de plusieurs de ses amies arlésiennes. « Je crois que ce qui m’a protégée c’est que je crois encore au service public et à la solidarité locale, amicale et familiale. »

Rosa Bordas
et Clémentine Morot-Sir

 

1 Article de Radio Canada, « Piégés par des cercles de dons », du 11 février 2022
Article de La Presse, « Des groupes d’aide frauduleux ciblent des femmes », du 7 août 2019

2 Article France 3 Auvergne Rhône Alpes, « Système pyramidal: 38 personnes condamnées pour escroquerie par le tribunal d’Albertville en Savoie », du 10 juin 2020.

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