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Darmanin à Arles, casseroles interdites

Darmanin à Arles, casseroles interdites

Le ministre de l’Intérieur était en visite à Arles ce vendredi 26 février. Après une discussion en mairie avec Patrick de Carolis, Gérald Darmanin a été reçu au commissariat d’Arles. L’occasion d’évoquer les dossiers sécuritaires de la ville en 1 heure et 38 minutes. La Sous-préfecture d’Arles n’avait pas autorisé Osez le féminisme à organiser un rassemblement pour faire du bruit sur le passage de l’homme mis en cause pour viol. Pendant sa visite, des simples passants et des « présumés manifestants » ont été retenus par la police boulevard Emile Combes.

16h12. Place de la mairie, tapis rouge et badauds donnent une ambiance de festival de Cannes. L’escorte de motards et de véhicules noirs teintés arrive et le ministre s’engouffre directement dans l’Hôtel de ville, accueilli par Patrick de Carolis.

16h30. Les policiers contrôlent en masse sur le boulevard des Lices. Passants, journalistes – trois dont deux munis d’une carte de presse – ou « présumés manifestants » sont emmenés. Les policiers leur demandent de les suivre à l’ombre, sur le boulevard Emile Combes : « vous allez rejoindre vos amis ». Pourquoi nous ? « Parce que ça se voit dans vos yeux », argumentent les policiers.

Après s’être présenté comme le directeur, un policier informe les personnes encerclés qu’elles encourent une amende de 135€ pour manifestation non autorisée.

Interdiction de rassemblement. « Osez le féminisme avait déposé en sous-préfecture une demande d’autorisation de rassemblement place de la République », indique Martine Charrière, la responsable arlésienne de l’association. « On voulait protester contre le fait que Darmanin soit ministre alors qu’il est accusé de viol ». Elle a appris la venue du ministre mercredi en lisant « un post sur facebook » et a déposé la demande le jeudi. La veille pour le lendemain. Dommage, le délai légal pour obtenir l’autorisation est de trois jours. « Je me doutais bien que ça n’allait pas passer », avoue-t-elle. La page facebook « Osez le féminisme Arles », indiquait ce vendredi, en fin de matinée : « la mobilisation d’OLF ! Arles n’aura pas lieu ». Avec en commentaire : « Les personnes qui le souhaitent peuvent se retrouver à titre individuel, à 17h devant le commissariat. »

Le ministre de l’Intérieur est accusé de viol. Alors ça donne l’envie à certaines et certains de faire du bruit au passage du cortège officiel. « J’ai pas compris, ils auraient pu faire un périmètre de sécurité pour le ministre et nous dire : Mettez-vous là, même loin du commissariat, quitte à nous repousser mais nous permettre de nous exprimer », lance Camille, prénom que tout le monde donne pour ne pas être identifié dans les manifestations. « On n’aurait rien fait de méchant, juste un peu de bruit, on aurait signalé notre présence et montré qu’on n’était pas d’accord. Là, ils ont mobilisé les forces de l’ordre pendant près de deux heures pour nous faire taire et nous invisibiliser, juste pour le confort du ministre et pour pas faire tache. » « Dans une démocratie, on a encore le droit de dire ce qu’on pense », reprend une autre. « J’ai autant le droit de circuler que monsieur le ministre », s’espante un autre. En rigolant aux points de contrôle, on apprend que des CRS d’Aurillac accompagnaient le ministre dans le Sud. Hier, il était à Marseille, aujourd’hui, à Rognonas.

16h42. Avec son chapeau haut de forme et son veston, Simon le dandy, étudiant en deuxième année de l’école Mopa, sortait de cours. Les policiers ont considéré qu’il avait l’allure adéquate pour « rejoindre ses copains ». Pourtant, le jeune homme n’a « jamais manifesté de sa vie ». Il se retrouve dans le groupe des costumes colorés, entourés des CRS armoirés de bleu.

17h06 Gérald Darmanin arrive à l’Hôtel de police. Les journalistes, placés sur le côté par le service de communication qui indique qu’il n’y aura « pas plusieurs angles de prises de vue » font crépiter les flashs. Après une visite des locaux et la promesse de prochains travaux, il descend pour la séquence de « micro tendu »

17h12. Ces étudiants du Mopa, commençant à trouver le temps long, poursuivent l’activité à laquelle ils avaient l’intention de se consacrer en rentrant de leur école : le dessin.

17h36. Gérald Darmanin enlève son masque et répond aux journalistes. Les raisons de sa venue, la future signature d’un Contrat de sécurité intégré. Il annonce notamment : « les travaux de rénovation dans le bâtiment de police et gendarmerie ». Au niveau des effectifs : « oui, il y aura entre 15 et 20 effectifs supplémentaires qui arriveront ».

A la question de l’Arlésienne sur la teneur d’un volet prévention du Contrat de sécurité promu par l’Etat et une augmentation des effectifs d’éducateur spécialisé de prévention pour accompagner celle des effectifs de police, Gérald Darmanin reste flou. Il indique qu’il n’est pas candidat à la mairie d’Arles, ni à la présidence du Département des Bouches-du-Rhône repoussant la compétence de la prévention sur les autres collectivités. Pourtant, le contrat de sécurité est précisément une action conjointe de l’Etat, le Département et de la Ville, qui mènent à l’idéal de sécurité. Est-ce qu’ils ont parlé prévention avec le maire et la présidente du département qui l’entourent ? Pas encore, « on en parlera demain matin avec la présidente (Martine Vassal, Ndlr) […] Il faut tout un village pour éduquer un enfant comme disent les Africains […] ». Le ministre ne répond pas à la question des effectifs d’éducateurs et digresse : « Il ne faut pas voir la sécurité comme un mot négatif comme vous semblez le dire. Au contraire, la sécurité c’est le bien des pauvres. » Pour revenir à la question des effectifs des éducateurs spécialisé de prévention, ni Patrick de Carolis, ni Martine Vassal ne bougent. C’est le micro tendu au ministre, c’est pas le lieu. On reposera la question plus tard aux principaux concernés.

17h36. Une autre étudiante rentrait également de l’école au moment où elle a été interpelée et devait se rendre à la pharmacie avant de regagner son domicile. Elle craint de ne pas pouvoir y arriver à temps pour récupérer les médicaments dont elle a besoin. Plus tard, elle sera fouillée par un policier avant de pouvoir quitter les lieux. Devant son opposition, les agents accepterons de faire appel à une policière.

17h40. Cette jeune femme entre calmement en contact avec les policiers. Avec un stylo et un papier elle tente un relevé du nombre de policiers et la proportion de ceux qui affichent leur numéro de matricule – le RIO. Si les citoyens peuvent être contrôlés, les policiers doivent légalement rendre visible leur RIO. « A peu près la moitié n’était pas lisible ». Les notes de la jeune femme seront confisquées par la police. Selon la couleur du vêtement, on subit ou on joue de la loi.

17h43. « Beh j’allais chez José lui rendre sa casserole, et puis en passant, j’entends que y’a monsieur Darmanin à Arles », ironise Pablo, qui fait partie de la trentaine de personnes retenues qui venaient là certainement pour faire du bruit au passage du cortège du Ministre.

17h45. Au-delà du droit, les policiers menacent de confisquer l’appareil de notre photo-reporter (sans carte de presse) coincée dans l’interpellation massive, si elle prend des photos des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.

17h49. L’attroupement de costards cravates et d’uniformes autour d’un buffet de rafraîchissements se dissipe dans la cour de l’Hôtel de police.

17h50. La fourgonnette noire teintée démarre avec tout son cortège, Gerald Darmanin a rendez-vous pour passer en direct sur le plateau de France 3 à Marseille à 19h. La star de l’aprèm s’éclipse, les forces de l’ordre peuvent libérer les « ennemis ».

17h51. Du côté de l’attroupement des personnes colorées, c’est la fin de la soirée cluster. De toute façon, l’ambiance, sous la menace des 135 euros d’amende par tête, a peiné à décoller. Comme dans toute boîte qui se respecte, il faut faire la queue, sauf qu’ici c’est « les femmes d’un côté, les hommes de l’autre » : c’est l’heure d’un vestiaire absurde, où il s’agit de récupérer ses papiers d’identité. Pour s’extraire de la bamboche, il faudra en passer par une fouille au corps. Si on se demandait en quoi consiste le volet prévention de Gérald Darmanin, on a désormais la réponse.

 

18h04. « Il est 18h04, le couvre-feu est entré en vigueur, je vais vous demander de vous disperser », martèle un CRS responsable.

18h06. Encore une Camille qui n’est pas très amusée par l’absurdité de la doctrine du maintien de l’ordre. « C’est fou cette histoire, en pleine épidémie, on va certainement nous reconfiner la semaine prochaine, et là, ils nous foutent les uns contre les autres ». Juste parce qu’elle correspond à un « profil type », témoigne-t-elle. « Sans aucun motif, la police a-t-elle le droit de confisquer nos papiers et de nous parquer pendant une heure et demi ? », se questionne une autre manifestante.

Suite et fin. En fait, Arles a vécu un déplacement ministériel de Gérald Darmanin classique. Des manifestants et passants enfermés et éloignés, pas étonnant aux vues du contexte, l’homme a « demandé à ne pas voir de remontées d’informations sur les affaires le concernant », informe France info. Les passants et manifestants seront-ils toujours traités de la sorte à chaque déplacement du ministre ? Gérald Darmanin a annoncé qu’il reviendrait toutes les six semaines dans le département.

Eric Besatti, Marie-Océane Dubois et Vanessa Sirven.

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