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Un bijou communal en passe d’être vendu à Maja Hoffmann

Un bijou communal en passe d’être vendu à Maja Hoffmann

Cet été, c’était encore un espace de liberté. Comme l’an passé, l’agence photo Myop y avait établi ses quartiers d’été. « Un repaire de photographes conscients de la portée de leurs images et de leur pouvoir d’information« , pouvait-on lire sur les cimaises blanches placardés aux murs décrépis. Dans les salles des anciens services, culture, urbanisme ou autre, les anciens bureaux montrent des expositions sur la rue d’Aubagne à Marseille ou une série sur « les théâtres de la colère ». Dans la cour intérieure, le public des Rencontres et la jeunesse arlésienne à peu près correspondante se dandinaient.

La magnifique friche administrative accueillait les annexes de la mairie jusqu’en 2017. Alors, les services déménageaient tous au Crédit Agricole, dans le nouveau Pôle de service public, rue Parmentier. Maison de chanoine, couvent puis école communale, le lieu va t-il vivre en 2020 une nouvelle mutation ?



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La semaine prochaine, au conseil municipal du 25 septembre, les élus devront voter pour savoir si oui ou non, le lieu servira « les besoins de l’extension de l’hôtel du Cloître », comme prévoit la délibération provisoire, présentée aux élus avant la date du conseil. Soit pour agrandir l’hôtel retapé par Maja Hoffmann, la milliardaire suisse qui a investi les Ateliers avec sa fondation Luma. Et déjà trois hôtels dans le centre ancien.

« C’est dans les cartons depuis des années, bien avant que les services déménagent », rappelle Yannick Barré, directeur des relations publiques de la fondation Luma. « A cette époque là, elle voulait faire un complexe global du Cloître avec les deux parties [de la rue] ». Mais c’est avant les élections, avant un possible changement de point de vue des élus, que la SCI 2H5, propriété de Maja Hoffmann, a sollicité à nouveau la mairie pour acheter son bâtiment. Au total, un confortable 1094 m² avec une cours intérieure de 200m². Le tout pour la somme d’1,4 millions d’euros, montant évalué par France domaine, le service de l’Etat chargé d’évaluer le patrimoine public lors des ventes.

Plan cadastral contenu dans la délibération qui sera présentée le 25 septembre 2019.

Un conseil municipal surpris et divisé

« Je suis surpris d’une telle vente », s’étonne Christian Mourisard (PS), adjoint au patrimoine, mais qui s’oppose sur certains sujets au maire. « Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de vente aux enchères. Je suis assez surpris qu’on vende a minima, c’est à dire au prix plancher des domaines ».

« Quelle est la nature du projet » questionne, Cyril Juglaret (LR), président du groupe d’opposition Arles ensemble. A la réunion plénière de préparation du conseil municipal, un moment entre élus, le maire Hervé Schiavetti a contredit la version de la délibération provisoire. Ce ne sera pas « une extension de l’hôtel du Cloître », mais une « résidence d’artiste et un centre méditerranéen », a t-il dit devant les élus de tous bords. Comme les idées de la fondation Luma, le projet sera certainement redéfini avec le temps et l’inspiration de la suissesse.

Mais ce qui dérange le plus l’opposition, c’est la méthode. « Je m’interroge sur les conditions d’accès à l’information de la vente du bâtiment », souligne Cyril Juglaret. Mais « pour avoir le choix, il faut qu’il y ait le choix. Il n’y a pas eu d’appel à projets pour pouvoir vendre au plus offrant, choisir le meilleur projet ». Même si « attention », Cyril Juglaret ne s’oppose pas frontalement à ce choix : « je ne dis pas que ce n’est pas le meilleur projet. Et vous ne m’entendrez jamais critiquer quelqu’un qui veut investir ».

Une question démocratique

« La mairie a gagné du temps », concède David Grzyb (Des avenirs à partager – sans étiquette), adjoint à l’urbanisme, rapporteur de la délibération avec Hervé Schiavetti. « Effectivement, on peut remettre en question la forme du choix, mais sur le fond, c’est la meilleure option. La mairie n’aurait pas eu les moyens de trouver un usage à sa charge et le bâtiment se serait dégradé petit à petit. Maja Hoffmann a des moyens incommensurables. D’autres investisseurs auraient fait des choses moins ambitieuses cherchant à rentabiliser leur investissement ». Sauf qu’on ne le saura jamais. « Quelqu’un avec le projet d’un musée ou je ne sais quoi, mais lancer un appel », ponctue Cyril Juglaret.

« Dans cette ville, cela devient automatique de confier tout développement économique à Maja Hoffmann », enfonce Nora Mebareck présidente du groupe PS au conseil municipal. « C’est un des derniers bâtiments public dans ce secteur, on aurait pu accueillir quelque chose d’intérêt général, on peut imaginer des équipements pour la jeunesse, pour la démocratie ».

La démocratie, c’était un des thèmes de rentrée pour Nicolas Koukas (PCF), solidaire du maire dans le groupe Vive Arles au conseil municipal. Interpellé durant sa réunion thématique le 16 septembre sur le manque de concertation de la population, il valide le choix : « Luma est une chance pour la ville d’Arles, c’est un projet privé d’intérêt général. Il sera ouvert aux Arlésiens ». Mais que penser d’une telle décision après des mouvements comme les gilets jaunes et leur sentiment de dépossession des décisions publiques, du patrimoine public ? « Ce n’était pas le moment, la délibération arrive trop tôt », regrette Nora Mebareck (PS).

Pas une question d’argent

Est ce que l’aspect financier joue un rôle dans ce contexte d’approche d’élections municipales ? Une ville pauvre se servirait-elle de la vente de ses bijoux de famille pour équilibrer son budget ? Et soigner un bilan ? « Nous ne sommes pas dans une urgence de vente pour faire des recettes, absolument pas [la ville d’Arles a dégagé 6,77 M€ d’excédent budgétaire en 2018 ndlr]. Après, on encaisse 1,4 millions d’euros, c’est toujours mieux pour une ville comme la nôtre, qui n’est pas riche. Mais ce n’est pas l’objectif premier, nous voulions rassembler nos services dans un soucis d’efficacité [au Crédit Agricole, nouveau pôle de services public ndlr]. Ensuite nous avons un bâtiment qui n’a plus d’usage », explique Patrick Chauvin, le premier adjoint.

En descendant la rue du Cloitre depuis le théâtre antique. Tout droit, l’entrée des annexes. A droite, l’hôtel du Cloître.

La mairie, comme la fondation Luma, se veut rassurante sur l’ouverture aux Arlésiens du projet de Maja Hoffmann. « Jamais aucun espace de Maja ne sera fermé aux Arlésiens », explique Yannick Barré directeur des relations publiques de Luma et ancien auditeur financier de la ville. Ouvert un peu comme l’hôtel Arlatan ? « Plus qu’à l’Arlatan. On va essayer d’accompagner la descente de la rue qui donne directement sur une entrée de l’annexe. L’idée est d’agrandir pour en faire une continuité, une petite rue. Y’a un sujet pour amener les gens », imagine t-il. Mais alors privé ou public ? La propriété sera bien celle de Maja Hoffmann. Rien dans la délibération provisoire n’accorde un droit de passage au public. « On va essayer d’amener les gens, après faut oser faire le pas, passer ». Oser passer dans un autre monde ?

L’ancienne entrée des services annexes.

Une chose pour laquelle tout le monde est d’accord : l’espace des anciennes annexes est un lieu exceptionnel. L’immense cour surplombe le jardin d’été et donne un balcon unique sur le boulevard des Lices. Pour la photo libre et engagée de l’agence Myop qui a utilisé l’espace pour la semaine des Rencontre, l’année prochaine, il y aura un autre lieu dégoté par la mairie.

Cette ancienne maison de chanoine transformée en couvent, puis en école, puis en bureaux de la Ville, se transformera t-elle en quelque chose d’autre qu’une « extension » pour Maja Hoffmann ? Le saura t-on un jour ? Réponse au prochain conseil municipal.

Eric Besatti et Nicolas Puig

Edition 20 septembre 2019, 9h00 : Contrairement à ce qu’écrit, Nicolas Koukas n’a pas encore décidé s’il voterait pour la vente de l’immeuble. Il a rappelé qu’il réfléchissait à sa position lors d’une rencontre avec les habitants de Portagnel, hier soir.

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