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Salin-de-Giraud : le propriétaire des Salins restreint l’accès des villageois aux plages

Salin-de-Giraud : le propriétaire des Salins restreint l’accès des villageois aux plages

C’est un choc des cultures qui se joue à Salin-de-Giraud, village entouré, à l’ouest, par la propriété des Salins du Midi. Le nouveau patron, un riche homme d’affaires empêche peu à peu les habitants du village ouvrier d’accéder librement à leurs plages. Des portails apparaissent et des frais d’entrée surgissent à des endroits où les Saliniers passent depuis des générations. Une bataille entre la propriété privée et l’intérêt collectif se prépare* : la lutte des plages.

« Je sais pas ce que je ferai si on m’enlève mon paradis », témoigne un Salinier, posé avec sa canne à pêche sur un empilement rocheux, là où la mer Méditerranée vient lécher les terrains des Salins du Midi. Il a encore sa « carte de la mer », délivrée par l’entreprise. Un précieux sésame qui ouvre la barrière pour se rendre sur le littoral, espace public inaliénable. Quand Hubert François est arrivé aux commandes de la société, la carte était encore gratuite, héritage d’une époque paternaliste où les habitants de Salin avaient accès à la plage derrière les casiers de récolte du sel, ouvrages qu’ils avaient eux-mêmes construits avec la digue à la mer, ouvrage qui protège le village des coups de mer. Depuis des temps presque immémoriaux, l’accès était libre, puis la barrière est venue protéger le site industriel ayant pour effet de réserver les plages du Sémaphore, de la Courbe et du Grau de la dent aux ouvriers des Salins, à leurs enfants, aux retraités… Un avantage en nature pour ceux qui ont façonné le paysage. Mais la village vit actuellement un changement de cap. Hubert François devient actionnaire majoritaire des Salins du Midi en 2014, dès l’année suivante, une fois seul maître en son terrain, il commence par faire payer la carte à la mer. D’abord 50 euros, puis 100 euros pour les Saliniers depuis cette année. C’est le prix qu’a payé notre pêcheur salinier qui vient toute l’année taquiner le loup et la dorade. Mais si la carte passe un jour « à 400 euros, je ne pourrai plus me le permettre », craint-il. Aujourd’hui, les détenteurs sont de plus en plus rares. Plus aucune carte n’est délivrée aux habitants et ça fait déjà dix ans qu’on n’hérite plus de celle de ses aïeux. Tout se passe comme si, progressivement, le propriétaire voulait mettre à distance les Saliniers de leur privilège séculaire, une plage rien que pour eux, à six kilomètres du village, alors qu’il faut en faire douze pour arriver à Piémanson et la même distance sur des pistes impossibles pour aller à Beauduc. En France, toutes les plages sont dans le domaine public. Elles peuvent être privées pour un temps dans le cadre d’une concession. Ce n’est pas le cas ici. Elles sont juste inaccessibles par un autre chemin qu’une voie privé.

Cette année, c’est la vague qui fait déborder la digue. Jusqu’alors, la carte de la mer, c’était un badge à biper devant la barrière sur la route après l’usine. « Alors, on pouvait la prêter, la passer à ses enfants », raconte-t-on au comptoir du Bar des sports. Maintenant, c’est un système de détection des plaques d’immatriculation. Pire, la plage est désormais accessible aux touristes pour dix euros à pied, douze en vélo et 34 en voiture. « Déjà, nous, on faisait attention, mais les touristes sont dégueulasses, ils laissent leurs déchets, leurs canettes », accuse un habitant qui a vu la différence avec les autres étés. « N’en parlez pas dans votre article, sinon les touristes vont venir en masse », craint-on autour du zinc d’un bar de Salin. « Il veut faire une plage privée pour les riches », suppose un autre habitant en parlant du grand patron Hubert François. Personne ne sait vraiment ce qu’il compte faire à l’avenir. Mais déjà, son attitude irrite comme du gros sel. « C’est quelqu’un qui ne respecte rien, peste un Salinier, ni l’histoire du territoire, ni l’histoire de l’entreprise », résume-t-il pour exprimer un sentiment partagé dans le village. « L’argent ne peut pas tout acheter. » Dans les rues du bout du monde, on sait aussi que « c’est chez lui, il fait ce qu’il veut », « il pourrait même mettre un portail qui couperait l’avenue de Camargue puisque ça lui appartient ». Rencontré sur la propriété privée, un couple détenteur de la fameuse carte croit connaître un peu le personnage : « C’est quelqu’un de très autoritaire qui demande qu’on respecte ses choix. » Et pour la psycho-sociologie du village : « On leur a donné le pouce, ils ont pris le bras », évoquant les Saliniers qui abusent, notamment des maisons qui se vendaient plus cher, avec l’argument de la carte à la mer. Exemple de friction, cette altercation récente entre Hubert François et une grande gueule du village qui ne connaissait pas le visage du patron. « Elle lui a crié dessus en disant : « je suis chez moi ici » alors qu’Hubert François demandait de rouler moins vite sur la petite route qui mène à Faraman. »

Un portail sur la route de Faraman
L’histoire ne dit pas si c’est cette altercation qui a tout déclenché, mais ce printemps, alors que la population était confinée, quelle ne fut pas la stupeur des habitants de Faraman de voir un portail flanqué d’une panneau « propriété privée » apparaître du jour au lendemain sur la route qui mène à leur hameau. Il a été installé au niveau de la grande maison du directeur, juste derrière l’usine en sortant de Salin. « Sans que nous en soyons informés », précise un habitant de Faraman. Pour l’instant, le portail reste toujours ouvert. Mais pourquoi ? « On ne sait pas pourquoi il a mis ça là, témoigne le petit-fils d’un retraité des Salins habitant sur place. Et personne ne le sait. » Pas même les travailleurs de l’usine à qui le propriétaire demande de porter les tee-shirts bleus floqués du logo de l’entreprise quand ils sont dans les rues du village. La rupture avec les usages est profonde. Ce hameau, bien qu’installé sur des terres privées, avec des maisons appartenant toutes au même propriétaire, a toujours été ouvert à la circulation. Mais les temps changent, sur la place de Faraman, l’abribus du réseau des transports de la ville d’Arles est resté bloqué sur les horaires de 2018. Ici, les derniers à ne pas pouvoir être délogés, ce sont les retraités de l’usine qui bénéficient d’un bail à vie. Les autres ont un bail annuel, révocable à chaque reconduction. A Faraman, quand des locataires s’en vont, ils ne sont pas remplacés et les maisons sont laissées à l’abandon, sans entretien. En partant le petit-fils lâche : « Je sais pas, certains disent qu’il veut faire un village de riches, se lancer dans le tourisme de luxe. » Des rumeurs, que l’entreprise entretient avec son mutisme.

Un choc des cultures
« Je ne comprends pas vos questions. Vous aimeriez, vous, que des gens rentrent dans votre jardin sans vous demander ? », décoche Florence Saki, qui depuis Paris, est directrice de la communication et des activités touristiques du groupe Salins du Midi, présent en France, mais aussi au Sénégal ou en Tunisie. « Nous ne donnerons pas suite », répond-elle ensuite dans un mail lapidaire. Pas d’entretien avec Hubert François. Mais alors qui est cet homme ? A 62 ans, Hubert François est actionnaire majoritaire du Groupe Salin avec son frère depuis 2014. Ils l’ont acheté via sa holding familiale Finachef 240 millions d’euros, dont 70 millions en apport personnel. Les messieurs ont les moyens. Cet ancien haut fonctionnaire est passé par le ministère de l’Agriculture et de la Forêt dans les années 1980. Il a notamment été chargé d’une mission de préparation aux États-Unis de la partie agricole et agro-alimentaire du Gatt de l’Organisation mondiale du commerce, « Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce », comme l’explique un article dans Les Echos du 8 octobre 1998. Dans le privé, il passe par l’Office national interprofessionnel des céréales en 1989 en qualité de directeur général adjoint, chargé de la gestion du marché des céréales et de l’intervention au niveau français et auprès de la Commission européenne. Aujourd’hui, il n’est pas que le capitaine des Salins du Midi mais aussi, administrateur des Meuneries du littoral. En bref, l’homme sait investir dans l’agro-industrie, a participé à construire les règles du commerce mondial. « Il vient faire des parties de chasse avec les patrons des patrons, ceux vraiment de la haute », dit-on dans le village. Un élu de la ville d’Arles au franc parler tempère, « c’est un bon mec, il est juste chez lui et il veut qu’on le respecte. Après, tout le monde parle, mais il fait juste son machin dans son coin. »

Le maire d’Arles à la rescousse ?
Au mois de juin dernier, pendant la campagne des municipales, les inquiétudes des Saliniers s’étaient invitées lors du passage de Patrick de Carolis. Pendant son intervention devant les électeurs, le futur maire voyait un projet de centre de remise en forme à Salin pour le développement du village. Puis, interpellé sur la question de l’accès à la mer des Saliniers, « tout en restant mystérieux, il nous avait dit que les Salins du Midi ont besoin de la ville sur des dossiers, et que l’accès sera dans la balance des négociations », se souvient Fabrice Trinh, trésorier de l’association Constantin, à qui les Saliniers peuvent faire confiance pour monter au créneau. Ce dernier avait obtenu de Patrick de Carolis qu’il déclare publiquement sa position pour l’accès aux plages aux Saliniers : « Je peux vous le mettre par écrit », avait-il déclaré dans la salle municipale de Salin. Pour l’instant, la parole est restée lettre morte et le nouveau maire ne s’est pas encore rendu à Salin comme il s’était engagé à le faire tous les trimestres (1). « C’est trop tôt pour vous répondre, je suis en train de regarder le plan de développement de Salin-de-Giraud et on y arrivera. Je passe des journées à mon bureau sur ça, sur tous les dossiers que je dois créer, que je veux avancer, parce que c’est un grand chantier », nous glissait Patrick de Carolis, fin août. Depuis, l’élue à Salin de la ville d’Arles, Eva Cardini, a parlé des projets pour le village : paillotes sur la plage de Piémanson, développement du cyclo-tourisme, augementation de l’offre culturelle dans La Provence du 19 septembre. Mais rien sur l’accès à la mer. Elle précise avoir « reçu l’ordre » de ne pas répondre, pour l’instant, à l’Arlésienne.

L’association Constantin, du nom d’un personnage qui animait le port du Grau de la dent n’est pas pressée. Ce port, dont l’accès se fait par les terres des Salins du midi, était au centre d’une discorde il y a quelques années. Hubert François demandait aux membres de l’association d’enlever leur bateau. L’association revendiquait alors le droit d’être présente. « Il a fallu lui rappeler qu’un port est situé sur le domaine public maritime, se souvient Fabrice. Les membres de l’association salariés par les Salins du Midi avaient été priés de démissionner sous peine de perdre leur carte à la mer. » « Si on m’enlève la carte de la mer, je suis mort », avait lancé l’un d’eux. Mais Fabrice, la carte, il ne l’a pas, donc pas de chantage possible. A l’époque, Hubert François avait fini par lâcher des cartes à tous ceux qui avaient leurs bateaux au port devant « l’émoi suscité dans le village », se souvient le secrétaire de l’association.

Fabrice Trinh ne comprend pas l’attitude du propriétaire envers les habitants. Cet été, alors qu’il avait terminé la rédaction d’un tract qu’il s’apprêtait à diffuser dans le village, les bruissements des rumeurs sont montés jusqu’aux oreilles de Christian Delacoste, le directeur général des salins d’Aigues-Mortes et de Salin-de-Giraud qui l’a invité à venir discuter. Le directeur recruté par Hubert François a écouté les revendications de l’association et la demande des 1200 cartes soit une par Salinier contre 400 aujourd’hui. Pour l’heure, « l’association Constantin a pour objectif d’établir un dialogue et/ou un rapport de force avec la direction des Salins du Midi afin de réussir à faire respecter les droits des Saliniers, garantir aux Saliniers l’accès à leur plage », promet le responsable. Propriété privée et intérêt collectif, sujet théorique passionnant, qui n’en est qu’à son incipit salinier. « Il va y avoir une bataille », se prépare Fabrice Trinh. « Une propriété privée, ça peut être soumis à une servitude », engage-t-il comme nouvelle piste.

Eric Besatti

1. Mise à jour au 19 mars : Patrick de Carolis s’est déplacé sur le marché de Salin le 13 mars dernier, soit une visite au bout de huit mois, il s’est vu offrir une carte de membre de l’association Constantin mais ne l’a pas signalé sur le compte rendu de sa page facebook.

*Le 11 mars, la direction des Salins du Midi a encore durci les règles d’accès aux plages en envoyant une lettre à tous les détenteurs de carte d’accès. Les Saliniers, ont prévu une manifestation le samedi 20 mars à 14h place Badin pour une marche devant les barrières pour défendre l’accès à la plage de leur village.

Article initialement publié dans l’Arlésienne n°9, « Premières lignes », disponible sur notre boutique en ligne et la Maison de la presse d’Arles.

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