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Que fait la justice ?

Que fait la justice ?

Ces dernières années, plusieurs procédures judiciaires impliquent des entreprises espagnoles de travail temporaire. En tant qu’avocat des plaignants dans plusieurs de ces affaires, Yann Prévost est un témoin privilégié de l’aveuglement de la justice sur ces questions.

Elio Moldonano, mort de déshydratation
2011 : Yann Prévost devient l’avocat de la famille d’Elio Maldonado, travailleur agricole équatorien embauché par Terra Fecundis et mort de déshydratation à 28 ans, dans une serre du domaine des Sources, exploitation agricole située à Maillane (13). En janvier 2020, le tribunal correctionnel de Tarascon a rendu son jugement, en prononçant la relaxe de la SARL Les sources représentée par Julian Perez, gérant de l’exploitation agricole. Le procureur de la République n’a pas fait appel de cette décision alors qu’il avait lui-même ouvert l’enquête sur cette affaire. Pour Yann Prévost, le positionnement du procureur est « incompréhensible. Terra Fecundis a continué une activité extrêmement lucrative alors qu’elle était soupçonnée au minimum de frauder les cotisations sociales françaises et au pire de placer les travailleurs dans des conditions de travail indignes. »

Harcèlement et chantage à l’emploi à caractère sexuel évaporés dans la procédure
2018 : Yasmine Tellal, deux de ses collègues femmes et un collègue homme portent plainte contre certains responsables de Laboral Terra. Elles et il comptent le faire pour un ensemble de faits mais surtout pour le harcèlement sexuel et le chantage à l’emploi à caractère sexuel. La plainte de Yasmine Tellal est déposée le 20 février 2018 suite à une convocation de la Police aux frontières (PAF) d’Avignon qui travaille sur une enquête préliminaire traitant du « travail dissimulé » de Laboral Terra. Le procès verbal contient des accusations nominatives et circonstanciées : « il m’a embrassée de force », « ils avaient l’habitude de me toucher sur le corps, ils m’ont touché les seins ou les fesses », « beaucoup de femmes ont couché car elles n’avaient pas le choix ». Mais la plainte ne portera formellement que sur le « travail dissimulé » ou « l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers ». Le procureur de la République du tribunal de grande instance d’Avignon, Philippe Guémas, ne se saisira pas, lui non plus, des éléments portant sur le harcèlement sexuel et le chantage à l’emploi présents dans le procès verbal pour engager des poursuites. Aujourd’hui, les travailleuses souhaitent déposer une nouvelle plainte pour harcèlement et chantage à l’emploi à caractère sexuel devant la même juridiction. A deux reprises, en 2019 et en 2020, nous avons interpellé le procureur de la République sur les raisons de l’absence de ces motifs dans les poursuites actuelles. Celui-ci n’a répondu à aucune de nos deux sollicitations. L’instruction est toujours en cours.

Non-respect du droit du travail aux Prud’hommes d’Arles
2020 : Cinq travailleurs et travailleuses agricoles détachés, dont Yasmine Tellal et Leila Touzani, portent plainte dès 2017 contre Laboral Terra et douze entreprises utilisatrices françaises pour « délit de marchandage, travail dissimulé, de prêt de main-d’œuvre illicite, non respect des contrats de travail, non-respect du salaire minimum, du paiement des heures supplémentaires, des congés payés, retenues frauduleuses sur salaires et privation de visite médicale avant l’embauche, licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Le 22 septembre 2020, le conseil de Prud’hommes d’Arles rendait sa décision. La violation des droits des travailleurs et travailleuses (non-respect du salaire minimum, non-paiement des heures supplémentaires et des congés payés, retenues frauduleuses sur salaires et licenciement sans cause réelle et sérieuse) par huit entreprises et Laboral Terra est retenue mais indemnisée au minimum. C’est un motif de réjouissance pour Yann Prévost : la responsabilité solidaire des entreprises françaises avec Laboral Terra est en partie reconnue. « C’est une première en France, souligne l’avocat. On espère que ça pourra faire jurisprudence. »
En revanche, les principales accusations de cette affaire, les charges principales liées à la fraude au détachement, au délit de marchandage et au prêt de main-d’œuvre illicite n’ont pas été reconnues par le juge. « C’est désespérant, ce genre de procès demande du courage politique de la part du juge, tonne l’avocat. Dans cette affaire, la convention du détachement n’est pas valide. On ne peut pas détacher quelqu’un qui est déjà en France ! (Les contrats de travail espagnols étaient signés à Avignon alors que les travailleurs habitaient déjà en France ndlr). » La déception et la colère sont grandes et trois des cinq travailleurs entendent bien aller au bout en faisant appel de cette décision, « pour tous les autres qui suivront après nous », assure Yasmine Tellal.

Hélène Servel

Sommaire du dossier :
Les détachés du droit

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l’Arlésienne n°18 – hiver 2024