Conseil Municipal du 27 mai : des nouvelles caméras pour la Ville, le point sur leurs usages
Ce 27 mai, la Ville va soumettre au vote une demande de financement pour compléter son système de vidéosurveillance à hauteur de 393 758 euros. Mais quel est le rôle de ces caméras, à quoi et à qui servent-elles ? Point sur la situation dans une ville moyenne qui en fait un usage moyen. Notre dossier dans l’Arlésienne en déconfinade, actuellement en kiosque et librairies.
« Soucieuse d’assurer la sécurité de ses concitoyens », la Ville s’apprête à voter une demande d’aides financières pour l’installation de nouvelles caméras de vidéosurveillance peut-on lire dans la délibération soumise au vote du conseil municipal de ce 27 mai. A l’heure où les débats font rage sur le traçage de l’application Stop-Covid (en débat à l’Assemblée nationale le même jour), où des drones survolent nos plages (lire page 19), où le maire de Nice, Christian Estrosi, réclame la mise en place de la reconnaissance faciale sur la voie publique et l’instauration d’un passeport sanitaire, cette délibération pose la question plus large de la fuite en avant technologique pour répondre à des problèmes de société(1). Après les attentats, le coronavirus semble donner un nouvel élan international et national à cette politique de surveillance qui rassure les uns tout en faisant craindre aux autres une atteinte aux libertés. Voilà pour le contexte, mais revenons à nos moutons électriques locaux, nos caméras de rue bien de chez nous.
Ville moyenne, dans la moyenne
La question de la vidéosurveillance n’est pas si vieille à Arles. Les caméras sont en place depuis 2012. « Le maire, ça n’a jamais été son truc », explique-t-on dans les couloirs de l’hôtel de ville. Hervé Schiavetti a juste suivi le mouvement, celui des recommandations de la police nationale et les opportunités de financement qui ne coûtent pas grand chose à la commune, depuis l’instauration d’un fonds spécifique du ministère de l’Intérieur mis en place depuis les années Sarkozy. Aujourd’hui, 115 caméras scrutent rues et parkings arlésiens. D’autres villes appuient plus sur le champignon comme Tarascon avec 120 caméras pour 17 000 habitants, sans parler de Nice où le discours sécuritaire s’accompagne d’investissements massifs pour le nombre de caméras par habitant le plus élevé en France. Dans les services de la ville chargés de déterminer les emplacements, en lien avec la police nationale, on répète : « Au-delà des logiques d’affichage pour plaire à un certain type de population, il vaut mieux une caméra bien placée que quatre qui filment la même chose. » L’employé de la ville prend l’exemple d’une fuite, « ça ne sert à rien de voir quatre fois l’individu dans la même rue qui avance petit à petit, une caméra suffit pour l’identifier ou voir la direction qu’il prend pour la suite de l’enquête ».
Promesses électorales et manque d’évaluation
Que celui qui est contre la sécurité lève le doigt ! En 2020, la solution technologique paraît apporter un progrès en soi et les caméras reviennent souvent comme solution magique, gage d’une prise au sérieux de la question. Comme lors de la campagne électorale des municipales, ponctuée de promesses d’augmentation du nombre de caméras en ville. Le trio de tête du premier tour n’y échappe pas : doubler leur nombre et arriver à 300 caméras fixes et mobiles pour Patrick de Carolis, ajouter des caméras aux entrées et sorties de villages et quartiers pour Nicolas Koukas, une augmentation non chiffrée du parc de caméras pour Cyril Juglaret. Pourtant, dès 2011 la Cour des comptes regrettait l’absence d’évaluation de son efficacité(2). Nous y reviendrons.
Si l’aide est votée, accordée et que toutes les étapes sont validées, ces caméras ne seront pas installées n’importe où. Dans la délibération, il est alors question du futur jardin du Parc des Ateliers, choix justifié par une « forte affluence, manifestations festives, tourisme, fréquentations familles/enfants », ou encore de la rue du 4 septembre, de l’esplanade Charles de Gaulle, du nouveau parking relai à Barriol et son pont d’accès… Des « lieux et points sensibles ».
L’installation et l’emplacement des caméras sont surtout liés à l’institution qui les finance. « La mairie répond aux demandes des gendarmes et de la police, explique-t-on en mairie. Ensuite, il y a les besoins propres à la mairie comme pour les parkings et enfin des collectivités comme la Région qui peut demander des caméras sur la voie publique pour les lycées ou le Département pour les collèges. » Après les concertations techniques, la Ville réalise une délibération comme celle de ce 27 mai pour demander des aides financières à ses partenaires.
Car s’il n’y a pas de caméra à chaque coin de rue, c’est aussi parce que la ville ne roule pas sur l’or et supporterait mal l’investissement de 393 758 euros prévu cette année. La municipalité en prendrait pour sa part 40 % soit 157 503 euros. Elle demande la même somme au Fonds interministériel de la prévention de la délinquance (FIPD). Enfin au conseil départemental, une participation de 20 %, soit 78 752 euros. Côté entretien et coût de fonctionnement, ce sont 60 000 euros qui sont dédiés chaque année pour le réseau urbain et interne(3).
De l’emplacement de la caméra et de son utilité
La vidéoprotection porte mal son nom. Elle ne protège pas des agressions, des vols à l’arrachée ou des cambriolages, mais elle peut aider à l’enquête. Comme ce cas cocasse connu dans les services de la mairie où le cambrioleur d’un commerce du centre-ville passait tranquilou sous les caméras, caisse-enregistreuse sous le bras. En revanche, là où les caméras règlent une situation de façon drastique, c’est dans les parkings. « Depuis l’installation des caméras à Gabriel Péri, Sixte Quenin, Lamartine ou encore Hortus, il y a moins de vols, quasiment plus rien, plus de voitures cassées », nous souffle-t-on à la mairie. La commissaire Valla confirme : « Les délinquants connaissent l’emplacement des caméras » et préfèrent donc les coins moins surveillés, comme l’a prouvé la vague de dégradation de véhicules cet hiver. Les caméras déplacent le problème et ne font pas baisser la délinquance de manière globale. Selon une des rares enquêtes scientifiques sur l’efficacité de la vidéosurveillance, elle est « utile » dans 1 à 2 % du total des enquêtes en moyenne, « décisive » pour 0,5 % des enquêtes pour infractions sur la voie publique(2).
« Ce n’est pas l’alpha et l’oméga, c’est un outil qui permet de démarrer une enquête, explique la commissaire Anne Valla, en poste depuis le 2 mars. Parfois, la caméra nous permet de commencer une enquête. Dans des vols à l’arrachée ou autre effraction, notre service investigation peut retrouver la personne à partir d’une image. » Aujourd’hui, à Arles, c’est encore l’œil humain qui met une identité sur les visages, pas comme à Paris où certaines caméras permettent le croisement de fichiers informatiques, sait la commissaire.
Derrière les caméras
Quand on fait coucou à la caméra, un des quatre agents habilités de la police municipale peut nous répondre depuis son fauteuil au Centre de supervision urbaine (CSU). On ne le saura pas, c’est tout. Au CSU, les agents sont devant les écrans seulement pendant la journée, exception faite pendant les grandes manifestations comme la féria où les horaires sont élargis. La nuit, les caméras continuent de tourner, mais personne derrière. Légalement, les images filmées peuvent être conservées un mois. A Arles, elles le sont 15 jours puis « les enregistrements sont (automatiquement, ndlr) détruits à l’issue de cette période ». Il faut dire que ça pèse son poids en données, des centaines d’heures de film. « L’enregistrement d’une caméra, en 15 jours, ça équivaut à un téraoctet de données stockées », soit 1 000 gigaoctets. Ça en fait des clefs USB…
Pendant cette quinzaine de jours, différents services de police, de gendarmerie et les magistrats peuvent visionner les images ou demander une copie « dans le cadre de réquisitions et de procédures légales », indique la mairie. Généralement, les forces de l’ordre se déplacent au CSU pour regarder les enregistrements. « Les échanges sont très fréquents entre les agents municipaux du centre de supervision et la police nationale, explique-t-on. Si un suspect est recherché, les forces de l’ordre peuvent demander au CSU d’être vigilant et de prévenir s’il apparaît quelque part. »
Et puis, il y a vous. Vous qui passez tous les jours devant les yeux de la Ville, vous pouvez vérifier que vous êtes filmé sous votre meilleur profil. D’après la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « le responsable de traitement doit faire droit à toute demande de visionnage des enregistrements par une personne qui a été filmée, sous réserve du respect des droits des tiers, ce qui peut nécessiter le masquage ou le « floutage » d’une partie des images ».
A Arles, le dispositif de vidéosurveillance est dans la moyenne des villes moyennes. On est moyen, en somme. Et loin de la demande d’utilisation de la reconnaissance faciale comme à Nice, même si les caméras en sont techniquement capables, si la législation évolue afin de supporter le logiciel nécessaire. D’ailleurs, peut-être même que nous pourrions suivre l’exemple de San Francisco, berceau des nouvelles technologies, et nous engager à interdire ce type de surveillance(4). Et garder en tête l’expression de son président du conseil de surveillance, Aaron Peskin : « Aujourd’hui, il faut remettre le génie dans sa bouteille. »
Eric Besatti et Pauline Pidoux
1. Vous êtes filmés, enquête sur le bluff de la vidéo-surveillance, Armand Colin, 2018, Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS.
2. « La vidéosurveillance est-elle efficace ? », Le Monde, 17 mais 2018. En libre consultation.
3. Les caméras de la ville ne sont pas que dans les rues mais aussi dans le réseau «interne», c’est-à-dire dans certains bâtiments comme le musée Réattu qui, pour répondre aux normes européennes, en compte 72.
4. Voir le documentaire Tous surveillés, 7 milliards de suspects de Sylvain Louvet, diffusé sur Arte et disponible sur Youtube.